Hassen Khelifati. PDG d’Alliance Assurances : «Sans une révision urgente des tarifs, le secteur des assurances risque un blocage systémique»

11/09/2023 mis à jour: 18:54
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Photo : D. R.

Le secteur des assurances en Algérie fait face à des enjeux cruciaux. Dans cet entretien, Hassen Khelifati, P-DG d’Alliance Assurance, parle des défis et opportunités liés à l’évolution du marché, de la digitalisation, de l’accès au marché international et de la nécessité de réformes pour renforcer ce secteur.

- Quel état des lieux faites-vous du secteur des assurances en Algérie ?

En fait, l’état actuel du marché des assurances en Algérie est bien connu, car il a été maintes fois discuté. Tant qu’il n’y a pas de changements majeurs et irréversibles, il restera inchangé. Bien qu’aujourd’hui les autorités publiques aient annoncé la révision de la loi sur les assurances pour cette année, elle ne sera mise en œuvre qu’au dernier trimestre de 2023, voire jusqu’en 2024. C’est une avancée significative. En termes de chiffres et en analysant l’année de 2022, le secteur a enregistré un chiffre d’affaires de 162 milliards de dinars, ce qui représente une progression d’environ 6% par rapport à 2021 qui était de 153 milliards de dinars.

La majeure partie de cette croissance provient des assurances dommages, notamment l’assurance automobile, industrielle et la responsabilité civile, avec une progression d’environ 6 milliards de dinars, soit une augmentation de 4,7%. Ensuite, nous avons les assurances de personnes, notamment l’assurance voyage, qui ont connu un regain d’intérêt.

Cependant, lorsque l’on considère les indicateurs internationaux de performance du secteur des assurances, tels que le taux de pénétration, on constate que chaque année, l’objectif de dépasser 1% de ce taux semble de plus en plus difficile à atteindre. Cela s’explique, en partie, par le fait que notre PIB augmente, mais que nous n’arrivons pas à tirer profit de cette croissance.

En 2021, notre taux de pénétration était de seulement 0,7%. En 2022, notre PIB s’élevait à 193 milliards de dollars, tandis que la production d’assurances était estimée à 1,1 milliard de dollars, soit moins de 0,6% en termes de taux de pénétration.

Pour l’année 2023, le président de la République a annoncé une projection du PIB à 225/245 milliards de dollars. Cela signifie que nous pourrions encore régresser en termes de taux de pénétration. Comparé aux taux de pénétration à l’international, nous sommes très loin de la  moyennes arabe (1,5%), africaine (3%)  et internationale (7%).

- Concrètement, pourquoi une telle situation ?

Il est clair qu’il existe deux problématiques majeures : une problématique légale, concernant la révision des textes de loi, et une problématique opérationnelle qui demande des décisions supplémentaires, notamment la révision des tarifs, en particulier pour les assurances automobiles, ainsi que des ajustements dans l’application de la réglementation sur la CatNat et la responsabilité civile.

Ces problèmes nécessitent, à la fois, des décisions gouvernementales, telles que les arbitrages sur les tarifs et les révisions légales, ainsi que des actions du ministère des Finances pour garantir un fonctionnement efficace. Globalement, nous espérons que la nouvelle loi à venir apportera des avancées significatives.

Cependant, il est important de noter que l’annonce d’une agence de régulation liée au ministère des Finances a suscité des préoccupations, car une autorité de régulation totalement indépendante aurait été préférable.

Les pratiques discriminatoires continuent d’exister, même si les autorités publiques affirment qu’il n’y a pas de différence entre les entreprises publiques et privées. Des exemples concrets montrent que les appels d’offres remportés par le privé peuvent facilement être annulés. Donc, bien que des réformes aient été annoncées dans le secteur des assurances en Algérie, des défis subsistent, notamment en ce qui concerne les tarifs, la concurrence et la régulation.

En matière de concurrence déloyale,  nous avons, à titre d’exemple, une compagnie d’assurance qui exerce illégalement depuis 2017 et qui capte une grande partie du chiffre d’affaires du secteur automobile. Il est sûr qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour que le marché des assurances en Algérie puisse atteindre son plein potentiel, estimé entre 5 et 8 milliards de dollars annuellement, contrairement au 1 milliard actuel.

- Quels sont les secteurs spécifiques de l’industrie des assurances en Algérie qui montrent un potentiel de croissance significatif dans les années à venir ?

L’assurance automobile est la plus souvent évoquée en Algérie. Même si elle représente près de 50% du marché, elle enregistre beaucoup de problèmes. Actuellement, nous avons les tarifs d’assurance automobile les plus bas au monde qui ne reflètent pas le coût réel des accidents dans le pays.

La Responsabilité Civile Automobile (RC) est une garantie obligatoire qui coûte en moyenne 2100 dinars par an par véhicule en Algérie. Mais une étude récente démontre que pour cette RC, les assurances encaissent bien moins qu’elles ne déboursent arrivant jusqu’à 7,65 fois plus.  Le problème  réside dans le fait que quelqu’un ayant une voiture d’une valeur de 800 000 dinars paie  autant que celui qui a une voiture valant 15, 20 ou 30 millions de dinars.

Il y a donc une inégalité et un manque d’équité entre les assurés. Il faut résoudre ce problème de prix en urgence.  Aussi, si nous examinons les chiffres, nous constatons, par exemple, que l’assurance des personnes représente moins de 10% du marché. Cependant, ce pourcentage pourrait être beaucoup plus élevé avec un marché financier plus dynamique.

L’assurance agricole reste aussi très faible, représentant moins de 1,6% du marché.  Dans ces secteurs, beaucoup de changements sont nécessaires. Par exemple, nous avons proposé de revoir l’approche de l’assurance agricole où l’État rendrait cette assurance obligatoire pour tous les acteurs du milieu agricole.

Dans un premier temps, il subventionnerait cette assurance, offrant des subventions allant jusqu’à 87 voire 90%. Avec ce modèle, en cas de catastrophe, ce sont les assureurs qui interviendraient en premier pour indemniser les agriculteurs ou les opérateurs agricoles qui auront ainsi participé à hauteur d’au moins 10%. À terme, l’État se retirerait progressivement de cette obligation.

Cette approche vise à développer la culture de l’assurance, à responsabiliser les acteurs du secteur agricole et à réduire la charge sur l’État. Cela dit, il y a d’autres secteurs à considérer. Par exemple, l’Agence nationale des microcrédits a octroyé un grand nombre de prêts, mais il n’y a pas d’assurance pour ces crédits en cas d’incendie ou de perte. Nous avons proposé la création d’un pool d’assurance et d’une assurance intégrée au moment de l’octroi des crédits, couvrant les périodes allant de cinq à dix ans.

Cela contribuera à  protéger l’argent public et encourager les opérateurs à adhérer à l’assurance et à en comprendre les avantages. Cela ne peut se faire sans  prendre des décisions courageuses et mettre en place des réformes significatives. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons augmenter le taux de pénétration de l’assurance de 1, 2 voire 3 %, et nous aider à rattraper notre retard. Il est inutile d’utiliser les mêmes approches qui ont échoué par le passé. Il faut explorer de nouvelles solutions, et nous en avons proposé quelques-unes.

Par exemple, j’ai discuté avec le ministre des Finances, il y a deux semaines, et j’ai suggéré que nous pourrions, avec deux ou trois décisions opérationnelles, doubler peut-être le taux de pénétration cette année. Cela pourrait être mis en œuvre au niveau du ministère des Finances sans nécessiter l’arbitrage du gouvernement.

- La digitalisation de l’industrie des assurances est en croissance à l’échelle mondiale. Quelles sont les tendances numériques dans ce secteur en Algérie et qu’est-ce que cela pourrait apporter en termes d’expérience client?

Le digital ne peut qu’être bénéfique et pour l’assuré et pour l’assureur. Il offre de la transparence dans le processus d’assurance, simplifiant la souscription et la gestion des polices. Les clients peuvent comparer différentes offres, obtenir des services d’urgence rapidement, même de l’étranger, et accéder à de nouvelles expériences.

En outre, pour les compagnies d’assurance, l’intelligence artificielle et la gestion des données massives (Big Data) permettent de mieux comprendre le comportement des clients, ce qui peut conduire à des offres plus innovantes.Il y a aussi la blockchain, une technologie émergente, qui pourrait bientôt jouer un rôle très intéressant dans le secteur de l’assurance.

Nous avons été leader dans ce sens en lançant l’application My alliance pour faciliter l’expérience client. Nous en avons des résultats plus que positifs.  Avec le soutien du ministère des Finances, notamment de la Commission de supervision, de la Direction générale du Trésor, de la Direction des assurances et du Bureau unifié des assurances, nous avons aussi  lancé à la fin de 2022 la plateforme E-recours . Elle vise à résoudre le problème de la liquidation inter-compagnies.

Ainsi, si un sinistre ne relève pas de la garantie tous risques, la compagnie d’assurance doit se tourner vers la compagnie adverse. Une procédure qui prenait beaucoup de temps et avait entraîné un grand nombre de dossiers en souffrance depuis longtemps. Jusqu’à fin août, nous avons réussi à liquider environ 520 000 de ces dossiers, représentant environ 12 milliards de dinars d’échanges entre les compagnies.

Cependant, cette plateforme, dans le cadre de la numérisation du secteur, a mis en évidence l’incapacité financière du secteur. Sans une révision urgente des tarifs, nous risquons de nous retrouver face à un blocage systémique. Toutes les compagnies pourraient être affectées, car elles ont fonctionné pendant 20 ans avec des tarifs trop bas. Aujourd’hui, elles sont confrontées à des centaines de milliers, voire des millions de dossiers en instance, et elles font face à un mur.

- Quels sont les défis pour le secteur de l’industrie des assurances en Algérie et le marché international et, surtout, pour les compagnies qui aspirent à franchir les frontières et intégrer le marché mondial?

L’internationalisation du secteur des assurances est complexe et concurrentielle, avec de grandes compagnies financièrement solides et techniquement avancées opérant sur les marchés internationaux, que ce soit en Afrique, en Occident ou dans le monde arabe. Avant de penser à conquérir des marchés internationaux, il est essentiel de consolider nos propres entreprises localement. Cela nécessite une réforme opérationnelle et une régulation plus robuste.

Pour attirer de nouvelles générations vers le secteur de l’assurance, il est nécessaire de créer un environnement attractif avec des projets innovants. Aujourd’hui, de nombreuses compagnies d’assurances luttent pour leur survie, en particulier les compagnies privées. La régulation doit établir des règles claires pour favoriser une concurrence loyale et un secteur solide.

Il est important de reconnaître que l’internationalisation n’est pas une solution miracle, elle nécessite une base solide pour réussir. Avant de penser à conquérir l’international, nous devons d’abord nous concentrer sur le renforcement de notre secteur des assurances localement. C’est pourquoi nous avons proposé plusieurs mesures opérationnelles pour améliorer la situation, et nous sommes prêts à relever le défi si nos propositions sont prises en compte par les décideurs au niveau du ministère des Finances ou du Premier ministre.

Voir l’entretien vidéo dans le nouveau numéro de le Point VIP sur notre chaîne Youtube, https://elwatan-dz.com et nos réseaux sociaux.


 

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