L’Ukraine a confirmé hier que les forces russes opéraient un «retrait rapide» des régions de Kiev et Tcherniguiv, dans le Nord de son territoire, visant à «prendre pied» dans l’Est et le Sud, où de nouvelles évacuations de civils étaient prévues dans la journée.
Après une nuit de bombardements dans le centre et l’est du pays, la Croix-Rouge s’apprêtait samedi à tenter de faire sortir des civils de Marioupol (Sud-Est), un port stratégique et assiégé de la mer d’Azov où la situation humanitaire est catastrophique.
«Après un retrait rapide des Russes des régions de Kiev et de Tcherniguiv (...), il est tout à fait clair que la Russie a choisi une autre tactique prioritaire», a écrit un conseiller présidentiel ukrainien, Mykhaïlo Podoliak, sur la messagerie Telegram.
Il s’agit de «se replier vers l’Est et le Sud, garder le contrôle de vastes territoires occupés et y prendre pied de façon puissante», poursuit-il.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait déjà affirmé que les Russes se préparaient à des «attaques puissantes» dans l’Est, notamment sur Marioupol où quelque 160 000 personnes seraient toujours bloquées et dont au moins 5000 habitants ont été tués depuis le début de l’invasion russe le 24 février, selon les autorités locales.
Pour les Russes, le contrôle de Marioupol permettrait d’assurer une continuité territoriale depuis la Crimée jusqu’aux deux Républiques séparatistes prorusses du Donbass (Donetsk et Lougansk). Impossibles pendant des semaines, les évacuations ont commencé à petite échelle.
Vendredi, «les couloirs humanitaires ont fonctionné dans trois régions : Donetsk, Lougansk et Zaporojie. Nous avons réussi à sauver 6266 personnes, dont 3071 de Marioupol», a affirmé le président Zelensky dans la nuit de vendredi à samedi.
«Notre ville n’existe plus»
L’AFP a assisté à l’arrivée d’une trentaine de bus d’évacuation dans la ville de Zaporojie vendredi soir. En arrivant dans la banlieue de Zaporojie, certains évacués pleuraient de soulagement.
«Nous avons pleuré lorsque nous avons vu des soldats au poste de contrôle avec des écussons ukrainiens sur leurs bras», a confié Olena, sa petite fille dans les bras. «Ma maison a été détruite. Je l’ai vu sur des photos. Notre ville n’existe plus». Plusieurs personnes ont raconté à l’AFP avoir dû marcher 15 kilomètres ou plus pour quitter Marioupol, avant de trouver des véhicules privés, puis de terminer leur voyage par un trajet en bus de 12 heures à travers une série de points de contrôle, au lieu de trois heures avant la guerre.
Ces habitants de Marioupol avaient réussi à rejoindre la ville de Berdiansk, occupée par les forces russes, où elles ont été prises en charge par le convoi, selon des témoignages à l’AFP et des responsables officiels. Hier, sept couloirs humanitaires étaient prévus dans l’Est et le Sud-Est, selon la Première ministre Iryna Verechtchouk.
Le ministre turc de la Défense Hulusi Akar a offert samedi le «soutien maritime, en particulier pour l’évacuation de Marioupol des civils et des blessés turcs ou d’autres nationalités», selon l’agence de presse officielle Anadolu.
Après avoir dû renoncer à atteindre Marioupol vendredi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a annoncé qu’il essaierait à nouveau samedi «de faciliter le passage en toute sécurité de civils de Marioupol». Mais «pour que l’opération réussisse, il est essentiel que les parties respectent les accords et fournissent les conditions nécessaires et les garanties de sécurité», a aussi souligné le CICR.
Retrait russe de Tchernobyl
Des conditions fragilisées par la poursuite des combats. La Russie a accusé vendredi l’Ukraine d’avoir mené une frappe par hélicoptères sur son sol et agité la menace d’un durcissement des négociations. Kiev n’a pas commenté, M. Zelensky déclarant à la chaîne américaine Fox News qu’il «ne discutait pas de (ses) ordres en tant que commandant en chef».
L’attaque a touché les installations de stockage de carburant du géant de l’énergie Rosneft à Belgorod, ville russe à environ 40 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine.
Pour le ministère britannique de la Défense, la destruction de réservoirs de pétrole à Belgorod ainsi que les explosions dans un dépôt de munitions près de la ville ajouteront «probablement une pression supplémentaire à court terme sur les chaînes logistiques russes déjà très sollicitées».
L’Ukraine a de son côté averti que les soldats russes ayant quitté la centrale nucléaire de Tchernobyl – site du pire accident nucléaire au monde, en 1986 – après des semaines d’occupation avaient pu être exposés à des radiations, jugeant que «la Russie s’était comportée de manière irresponsable à Tchernobyl» en creusant des tranchées dans les zones contaminées et en empêchant le personnel de la centrale de remplir ses fonctions.
Depuis la nuit de vendredi à samedi, plusieurs régions, notamment dans le centre et l’est, ont été bombardées. Les frappes ont touché des quartiers résidentiels à Kharkiv (est), selon la présidence citant les autorités régionales, mais aussi des infrastructures à Dnipro (centre) selon le gouverneur régional, ou encore des localités dans les régions de Donetsk et Lougansk (est), ainsi que Kherson (sud).
Des bombardements ont aussi atteint des infrastructures à Krementchouk (centre, région de Poltava), siège de la plus grande raffinerie de pétrole ukrainienne, a indiqué la présidence ukrainienne, tandis que le ministère russe de la Défense annonçait samedi matin avoir détruit avec «des armes de haute précision» des dépôts d’essence et de carburant diesel de la raffinerie. Ces dépôts servaient à fournir du carburant aux forces ukrainiennes dans le centre et dans l’est du pays, selon un communiqué du ministère.
Nouvelle aide américaine
Des «missiles russes» ont également mis hors service deux aérodromes militaires des régions de Poltava et Dnipropetrovsk (centre), selon la même source. A Kharkiv, les bombardements se poursuivaient samedi matin par intermittence, en particulier sur le district de Saltivka, un quartier déjà en grande partie détruit et déserté par ses habitants, hormis quelques réfugiés dans les caves, a constaté l’AFP sur place.
«Donnez-nous des missiles. Donnez-nous des avions», a plaidé le président ukrainien Volodymyr Zelensky sur Fox News. «Vous ne pouvez pas nous donner des F-18 ou des F-19 ou tout ce que vous avez ? Donnez-nous les vieux avions soviétiques (...). Donnez-moi quelque chose pour défendre mon pays».
La demande a été entendue par les Etats-Unis, qui ont annoncé jusqu’à 300 millions de dollars supplémentaires d’aide militaire à l’Ukraine, en complément de l’aide militaire allouée depuis l’invasion, représentant plus de 1,6 milliard.
Les pourparlers de paix entre les responsables ukrainiens et russes ont repris vendredi par vidéo, mais le Kremlin a prévenu que l’attaque à Belgorod ne pouvait «être perçue comme créant des conditions confortables pour la poursuite des négociations».
Aujourd’hui, le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les Affaires humanitaires, le Britannique Martin Griffiths, sera à Moscou afin d’essayer d’obtenir un «cessez-le-feu humanitaire» en Ukraine, a annoncé vendredi le chef des Nations unies, Antonio Guterres.