France : Des théâtres sortent de scène à la rencontre de publics éloignés

10/02/2024 mis à jour: 21:39
AFP
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«Auberlywood», la vie telle qu’elle se représente en rêve, de Koumarane Valavane

Au théâtre de La Commune à Aubervilliers, banlieue populaire au nord de Paris où une bonne partie de la population est d’origine immigrée, les rentrées culturelles se succèdent avec toujours le même constat : un public parisien. 

Pour remédier à «ce problème», le centre dramatique national (CDN) subventionné par l’Etat a «inventé un format : la pièce d’actualité», explique l’ancienne directrice du théâtre Marie-José Malis, à la tête de La Commune pendant 10 ans (2014-2024). «Des artistes connus réalisent sur commande des pièces spécialement pour Aubervilliers deux fois par an», détaille l’artiste.  «Les gens les plus pauvres sont les plus étrangers à la question de la culture», a pu observer le metteur en scène hispano-argentin Rodrigo Garcia en se promenant dans Aubervilliers, rapporte Marie-José Malis. En traversant l’avenue principale, le scénographe croise sur sa route une dizaine de kebabs et y plante son décor pour jouer Hamlet avec des comédiens professionnels et amateurs, le tout diffusé en direct au cinéma. 

«Ce n’est peut-être pas la recette miracle mais la population s’est habituée à ce que régulièrement, il y ait des petites annonces qui disent ‘si vous voulez participer à une pièce ou si vous avez des choses à nous raconter, venez nous voir», se réjouit Mme Malis. 

Un squat de migrants a servi de support à une création et la pièce d’actualité actuellement à l’affiche à La Commune, «Auberlywood», est un clin d’œil à la communauté indienne de la ville. Mise en scène par le Franco-Indien Koumarane Valavane, la pièce «sonde les vies rêvées» des habitants d’Aubervilliers à la sauce Bollywood. «Le théâtre doit être perçu comme un service public», estime Julia Vidit, à la tête du théâtre de la Manufacture à Nancy, en Lorraine, dans l’est de la France. «Est-ce que je joue pour tout le monde ou un public blanc ? C’est une question qui m’anime», confie-t-elle. 
 

Théâtre de tréteaux

Le CDN Nancy Lorraine joue la carte de l’itinérance artistique et présente ses créations dans les quartiers, villages, résidences pour personnes âgées dépendantes, écoles... «Le but n’est pas d’aller dans les quartiers pauvres et se dire qu’après ils vont venir au théâtre. L’important c’est qu’ils aient une expérience théâtrale», affirme Mme Vidit. «Les personnes éloignées du théâtre en ont une idée très belle mais leurs vies les ensevelissent sous une tonne de problèmes», analyse Mme Malis. «A Aubervilliers, les gens ont une vie précaire, des femmes se lèvent à 4h du matin pour aller faire le ménage dans les bureaux. Le théâtre n’est pas leur préoccupation». Elle souhaite davantage de productions «hors les murs», du «théâtre de tréteaux sur les parvis des cités». 

Associer des amateurs aux créations artistiques permet aussi de rencontrer «un public nouveau dans le théâtre», constate Julia Vidit. Le lieu «devient un rendez-vous pour les groupes d’amis». Pour tenter de diversifier leur audience, les théâtres proposent aussi des pièces l’après-midi ou un système de halte-garderie. Au Blanc-Mesnil, une autre banlieue au nord de Paris, le maire, irrité par la programmation jugée «bobo» de son théâtre vide de ses administrés, a viré sa direction pour y produire davantage de divertissement. «Il est important de se rappeler qu’on peut se faire plaisir avec un orchestre ou un théâtre de boulevard. Je propose du Muriel Robin comme des concerts de jazz», expose le nouveau responsable, Philippe Bellot.

 Les jeunes de la ville peuvent aussi assister ou participer à de l’improvisation. Près de 60% du public réside dans le coin. «La culture et l’histoire théâtrale dans la France du Moyen Age étaient d’abord tournées vers les populations. C’était de grandes fêtes, les gens s’emparaient des histoires, il y avait des scènes de liesse qui se jouaient un peu partout en ville», explique Nabil Berrehil, comédien dans la pièce «Auberlywood». 

Pour l’acteur, «une déconnexion s’est faite aujourd’hui, avec beaucoup d’entre-soi, et cela ne rend pas hommage à ce qu’est essentiellement le théâtre». 
 

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