L’un des aspects les plus marquants de cet événement, le premier du genre dans la région, réside dans la diversité
des participants aux ateliers, réunissant toutes les tranches d’âge.
Loin de la simple définition d’une petite figure façonnée en bois, carton ou tissu, manipulée à la main ou par des fils, la marionnette s’impose aujourd’hui comme un véritable art autonome. Plus encore, elle a acquis avec le temps une reconnaissance mondiale en tant qu’outil thérapeutique puissant. Cependant, dans la wilaya de Constantine, cet art a connu une éclipse inquiétante ces dernières années, relégué aux oubliettes malgré son potentiel éducatif, culturel et psychologique. Ceux qui s’efforcent de préserver cet héritage demeurent insuffisamment valorisés. Face à cette réalité, Constantine accueillera, du 19 au 23 décembre, le Festival international du théâtre d’objets, une initiative audacieuse pour ressusciter le théâtre des marionnettes dans cette région.
Ce projet, mûri depuis le mois de novembre grâce à une série de formations ciblées, est le fruit de la collaboration entre trois associations locales, déterminées à raviver cet art dans la capitale de l’Est algérien. «Je tiens à souligner que l’idée de cet événement revient à Chamseddine Naseri, conseiller au secteur de la jeunesse et des sports de la wilaya», a déclaré Slimane Guerrioune, conseiller jeunesse et président de l’Association culturelle de la maison de jeunes Ahmed Saâdi de la ville de Constantine, lors d’une interview accordée à El Watan.
Il a précisé que cette initiative repose sur une alliance entre la Ligue culturelle et scientifique de Constantine, l’Association nationale du théâtre de marionnettes et l’Association culturelle de la maison de jeunes Ahmed Saâdi. Et d’ajouter : «L’objectif est de former les encadreurs du secteur de la jeunesse et des sports afin qu’ils puissent accompagner leurs groupes et redonner vie à un art en déclin». Ce festival se positionne comme une première dans la wilaya, visant à restaurer toutes les techniques liées à l’univers de la marionnette. «Dans d’autres pays, la marionnette a considérablement évolué, dépassant le cadre restreint de la simple poupée», a affirmé M. Guerrioune.
Il a souligné que les formations ont intégré quatre ateliers aux approches diversifiées : «Le premier concerne le théâtre à fils, le deuxième la manipulation à vue, où le manipulateur se produit sur scène, sans le castelet, exigeant une énergie, une concentration et un dévouement intenses. Le troisième est focalisé sur la marionnette géante, souvent utilisée dans les carnavals et les cérémonies d’ouverture, et le dernier atelier propose la manipulation à gant, une technique classique revisitée pour l’occasion».
Les ateliers ont été animés par des experts, dont deux Tunisiennes et un Algérien de Oued Souf. Au-delà de la maîtrise des techniques de manipulation, ces ateliers ont également mis l’accent sur la confection des marionnettes. Les participants ont découvert une atmosphère conviviale et stimulante, s’initiant à des outils tels que visseuses, marteaux, et autres. «Ils ont scié, collé, vissé, parfois pour la toute première fois», a confié M. Guerrioune, précisant que chaque apprenant a créé sa propre marionnette avant d’en apprendre les subtilités de la manipulation.
Faire émerger l’enfant qui sommeille en nous
L’un des aspects les plus marquants de cet événement réside dans la diversité des participants aux ateliers, réunissant toutes les tranches d’âge, des jeunes aux quinquagénaires issus des cadres de la jeunesse et des sports. La formation intensive, lancée en novembre et s’étalant sur huit jours, a rassemblé aussi bien des responsables de la DJS que des membres d’associations. Cette initiative ne s’arrête pas là, puisqu’elle se poursuivra bien au-delà du festival.
«Dès la semaine suivant la formation, qui s’est déroulée du 5 au 12 novembre, les organisateurs ont instauré des sessions régulières deux jours par semaine, les dimanches et lundis, tout au long de l’année. Jusqu’à présent, 28 personnes ont été formées. Ensuite, un système de rotation sera mis en place : ceux ayant appris la confection de marionnettes à fils partageront leurs connaissances avec un autre groupe, et vice-versa. Cet échange entre apprenants se poursuivra jusqu’à la fin décembre», a expliqué Slimane Guerrioune.
Les participants auront l’opportunité de se produire sur scène dans les prochains jours, une expérience qui leur permettra de récolter les fruits de leurs efforts. «Concevoir une marionnette est une chose, mais la manipuler et monter un spectacle en est une autre», a souligné M. Guerrioune. L’atmosphère des préparatifs était particulièrement conviviale, enrichie par la présence des deux sexes et, surtout, par la participation enthousiaste de personnes âgées. « La pérennité de cette formation est un engagement que nous devons tenir», a-t-il insisté, annonçant la création d’une commission dédiée.
Celle-ci aura pour mission de visiter les établissements de jeunesse et de sports afin de les accompagner dans la relance de cet art. Pour Chamseddine Naseri, metteur en scène, écrivain et initiateur de cet événement, la marionnette faisait partie intégrante des activités des maisons de jeunes dans les années 1980 avant de disparaître avec le départ en retraite des anciens animateurs. «Aujourd’hui, après plus de 25 ans, il ne reste rien de cet héritage», a-t-il déploré.
M. Naseri, également conseiller principal dans le secteur de la jeunesse et des sports et spécialiste des arts dramatiques, a précisé que, bien que la formation des cadres jeunesse s’étende sur quatre ans et inclue des disciplines comme les arts dramatiques, le chant lyrique ou la musique, la marionnette en est absente. Pourtant, certaines formes de cet art ont été classées au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.
A une époque, la marionnette était même surnommée le «cinéma des pauvres». Selon M. Naseri, les participants formés à l’occasion de ce festival seront amenés à créer de nouveaux groupes dans les établissements de jeunesse pour initier enfants et jeunes à cet art et produire des spectacles. «Nous prévoyons d’organiser, au printemps prochain, un concours de wilaya, où tous les établissements de jeunesse pourront présenter leurs groupes. Ce serait une avancée considérable pour Constantine si nous parvenons à faire émerger au moins douze troupes actives avant de promouvoir davantage cet art», a-t-il conclu avec espoir.
Un outil thérapeutique
Evoquant l’impact profond de la marionnette, Chamseddine Naseri a souligné son rôle thérapeutique, particulièrement en Allemagne, où elle est utilisée pour accompagner les malades. «La marionnette exerce une magie singulière sur les enfants, influençant positivement leur psychologie.
Cette fascination ne s’arrête pas à l’enfance : chaque adulte porte en lui un enfant intérieur qui peut aussi en bénéficier», a-t-il affirmé. Il a également rappelé que cet art, tout en restant fidèle à ses origines, a su évoluer à l’ère de la technologie. Aujourd’hui, des outils tels que le data-show permettent de projeter les figures avant leur apparition sur scène, créant un effet d’anticipation.
Les dimensions des marionnettes se métamorphosent parfois sous nos yeux : un objet inanimé se met en mouvement avant de prendre une taille impressionnante. Pour Naseri, «l’art de la marionnette est en pleine métamorphose, tout en préservant son authenticité. Notre objectif est de relancer les formes traditionnelles et, pourquoi pas, d’innover par la suite».
Le festival, en accueillant des participants étrangers, offrira une occasion précieuse de s’enrichir d’expériences variées. Par ailleurs, un détail significatif a marqué la formation préparatoire : plusieurs marionnettes confectionnées arboraient des habits traditionnels algériens, mettant en valeur la richesse du patrimoine culturel national. Ainsi, la marionnette devient également un vecteur de transmission des traditions locales.
Cette dimension thérapeutique a été confirmée par Meryem Zeyeni, modéliste tunisienne et militante pour la culture de l’enfance. Elle a partagé une expérience marquante avec El Watan, relatant qu’au cours d’une visite dans un établissement pour enfants, une fillette autiste, initialement isolée, a peu à peu interagi avec une marionnette, imitant les autres enfants.
Selon Zeyeni, «la marionnette n’est pas seulement un outil de divertissement ou d’apprentissage pour les enfants, elle peut également être bénéfique pour les adultes». Elle a révélé que sa propre expérience avec cet art a été déterminante dans son parcours de guérison. «Après des complications de santé, j’ai perdu mon travail et mes cheveux pendant cinq ans.
Durant cette période, en me déplaçant dans différents établissements avec mes marionnettes, j’ai ressenti une transformation intérieure». Elle a ajouté que cet art pourrait également offrir un soutien aux femmes ayant subi des violences. Les ateliers organisés dans le cadre du festival ont, en effet, permis à plusieurs femmes de s’initier à des compétences comme la sculpture ou la couture, dans une ambiance empreinte d’harmonie et de joie.
Ces femmes ont mis à profit leur imagination pour créer des marionnettes qu’elles présenteront sur scène, une surprise qui promet d’émouvoir le public. Certaines ont même envisagé d’utiliser la marionnette comme support pour raconter des contes aux enfants, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives créatives. «L’art de la marionnette est un océan infini», a déclaré Zeyeni avec enthousiasme, ajoutant qu’il peut également constituer un métier pour les jeunes.
Enfin, les organisateurs ont sollicité l’expertise algérienne en invitant Hafiane Abdelhakim, un ancien de la marionnette depuis 1978, originaire de la wilaya de Oued Souf. Optimiste, M. Hafiane a affirmé que «la marionnette connaît un renouveau en Algérie. Avec ces ateliers et les associations impliquées, elle reviendra en force». Ainsi, le festival se présente non seulement comme une célébration artistique, mais aussi comme un espace de guérison, de transmission et d’innovation.