Face au géant japonais : La BD sud-coréenne mise sur le gratuit

28/01/2024 mis à jour: 06:45
AFP
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Corentin Leconte, alias Blakendwite au 51e Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, le 26 janvier 2024. ​ (YOHAN BONNET / AFP)

Face aux gros tirages des mangas japonais, la bande dessinée sud-coréenne a choisi le modèle de la gratuité et d’attirer de jeunes auteurs français approchés lors du Festival international de la BD à Angoulême.

 Librairies dans l’espace Manga City, expositions de «mangakas» consacrés en centre-ville, boutiques éphémères d’éditeurs : dans la cité charentaise, le Japon est partout. La Corée du Sud, avec son format du webtoon, a une présence plus discrète. Mais pour la dirigeante de l’application Webtoon en Europe, Yeojung Kim, elle compte. «Angoulême, c’est l’endroit où les créateurs français et européens se rassemblent. La France est le pays où nous sommes venus approfondir notre relation avec les auteurs. Nous devons y être», dit-elle à l’AFP. 

La Corée a sa propre tradition de bande dessinée, le «manhwa», qui a traversé une vaste crise dans les années 1990-2000. En 2004, le géant de l’internet sud-coréen Naver lançait la plateforme Webtoon, sur un modèle révolutionnaire : de la BD en ligne, produite dès l’origine sur des outils numériques, et gratuite. Sur l’application Webtoon, arrivée en France en 2019, les deux millions d’utilisateurs mensuels peuvent lire des bandes dessinées entières sans débourser un centime. 

A une condition: la patience. Car, à partir d’un certain nombre d’épisodes, la suite est bloquée pendant une semaine. Pour éviter d’attendre, il faut payer. 
 

C’est cette impatience chez leurs lecteurs que cherchent à susciter les auteurs. Le paiement leur assure de bien meilleurs revenus. «La vente de chapitres nous permet de vraiment vivre de notre création», confirme Natacha Ratto, 29 ans, autrice de Sex, Drugs & RER, série publiée par Webtoon. «Il y a un contrat qui assure une base: tant d’euros pour tant d’épisodes. 
 

Mais les paiements forfaitaires, quand le lecteur paie, c’est un plus qui change beaucoup de choses», ajoute-t-elle. Elle a été repérée par Webtoon sur Instagram. Sans diplôme d’école, ni contacts dans l’édition, elle a été séduite par l’approche sud-coréenne. Idem pour Blakendwite, autre jeune auteur français, âgé de 25 ans. «L’avantage du webtoon, c’est qu’il est plus ouvert aux auteurs débutants. Il n’y a pas la prise de risque d’un éditeur de BD franco-belge ou de manga qui engage beaucoup d’argent pour imprimer», souligne-t-il.  
 

Rythme effréné  

Corentin Leconte, de son vrai nom, avait beaucoup investi pour percer dans le manga, en apprenant la langue. 
Il a tenté des concours d’éditeurs nippons, où il finissait très près des places qui lui assuraient d’être édité. «Je devais écrire et me vendre en japonais. J’ai fini par faire un ‘burn-out’», confie-t-il. Sur sa série webtoon Have You Seen This Man ?, il partage les revenus avec une coautrice. «Avec l’aide au logement et les revenus de ma conjointe, on peut s’en sortir», assure-t-il. Au prix toutefois de très longues journées de travail. La série mise sur la qualité du dessin. «C’est un rythme effréné pour livrer un épisode par semaine. Si j’étais seul, je ne ferais pas 60 cases aussi soignées, mais 30 beaucoup plus simples. 

C’est un choix.» Il sait que, pour attirer un éditeur classique, le rendu doit être irréprochable. 
 

Et si cette cohorte d’auteurs de webtoons, âgés de moins de 30 ans, a grandi dans un monde où le smartphone a toujours existé, elle voit toujours l’édition en volume, l’arrivée en librairie, comme son idéal. Cécile Garcia, 27 ans, est ainsi en train de transformer les 87 épisodes de Mez et les filles de Sar, dont elle est scénariste, en deux tomes à paraître aux éditions du Héron d’argent. Un boulot énorme: «Les moyens de la narration sont très différents, entre le webtoon qu’on fait défiler vers le bas et la page papier. J’invente une mise en page qui n’existait pas. Heureusement, j’ai fait du graphisme»  

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