Exposition à Nanterre : La trajectoire algérienne du photographe Elie Kagan

22/02/2022 mis à jour: 00:38
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Elie Kagan dans les années 90 dans son domicile

La première exposition temporaire du nouveau lieu La contemporaine est consacrée à Elie Kagan dans le bâtiment de Bruno Gaudin à l’entrée du campus de l’université Paris Nanterre. 
 

Grâce à ce photographe, il nous reste les images chocs de la répression des Algériens, le 17 Octobre 1961. Engagé d’abord dans cette représentation violente des derniers mois de la guerre d’Algérie (on lui doit aussi des photos exceptionnelles de la manifestation réprimée du 8 Février 1962 à Charonne), il sera ensuite engagé jusqu’en 1963 dans la création à Alger de Révolution africaine. De retour en France, il photographiera les moments sociaux les plus saillants, dont les manifestations contestataires du régime gaulliste en 1968.
 

Audrey Leblanc, cocommissaire de l’exposition explique : «Élie Kagan s’inscrit dès les années 1960 dans la corporation des photographes de presse professionnels. Actif de 1961 à 1996, ses photographies forment une archive visuelle de la vie politique et culturelle française de la seconde moitié du XXe siècle à Paris. 
 

Dans cette perspective de professionnalisation, ses photographies du 17 octobre 1961 répondent à la définition canonique du scoop alors qu’ils ne sont que quelques-uns à avoir photographié la répression de la manifestation algérienne (AFP, Europress, Georges Ménager et Raymond Darolle pour Paris Match, Georges Azenstarck pour L’Humanité…). A la une de L’Express du 19 octobre 61 dans un usage ambigu, les images de Kagan font aussi le 27 octobre la une d’une «Édition spéciale» de Témoignage chrétien où l’édito d’Hervé Bourges marque les esprits, puis celle de Lo Specchio en Italie – toutes deux dénonçant la brutalité de cette répression ».
 

En décembre 1961, le ministère de l’Information du FLN s’empare de ces images : «Elles montrent des corps et, face à la censure d’Etat, elles sont très investies par les milieux militants qui œuvrent à la reconnaissance politique du massacre et les brandissent comme preuves à charge.»
 

LES SOUVENIRS DE MARGUERITE LANGIERT
 

C’est au début 1963, qu’Elie Kagan rejoint l’équipe de Révolution africaine en tant que chef du service photo salarié. Il part à Alger avec femme et enfant. Il n’y restera que quelques mois. A son retour en France, quelques mois plus tard, Élie Kagan travaille toujours dans l’atmosphère protestataire des années 60 dont il se fait un témoin à l’objectif acéré, pour Gamma ; l’Agence de presse Libération (APL) ; United Press International ; The Associated Press. Et pour la presse militante dont Droit et Liberté ; Tribune socialiste ou Témoignage chrétien ou encore (Rouge–hebdomadaire trotskiste-, ou Action…). De manière ponctuelle pour Le Nouvel Observateur : L’Express ; Paris Match ; Le Figaro ; La Documentation française ; Le Monde, Libération ; Lutte ouvrière ; La Vanguardia…). 
 

L’exposition rend compte de cette démarche créatrice d’actualité, jusqu’aux années 90 ?
 

Dans le très richement documenté catalogue de l’exposition, l’ex-épouse de Kagan, Marguerite Langiert (dont il divorça en 1973) explique que son mari était «un journaliste politique, engagé même, et moi je militais contre la guerre d’Algérie au sein de l’UNEF qu’on appelait l’UNEF minoritaire parce que nous étions minoritaires de gauche dans une UNEF à l’époque très majoritairement de droite, surtout dans des écoles comme la mienne. J’étais aussi à l’UEJF, l’Union des étudiants juifs de France, résolument contre la guerre d’Algérie. 
 

C’est d’ailleurs comme ça que j’ai découvert La Question d’Henri Alleg et la torture, sujet dont on ne parlait pas beaucoup en province. Le grand sujet de la classe de philosophie avait été l’entrée des chars à Prague et non la guerre d’Algérie. Nous nous sommes mariés et nous avons eu très vite une petite fille, en 1961.(…) On avait un petit labo à domicile et je l’assistais beaucoup. J’ai vu des Algériens blessés ou tués surgir du vide pour apparaître dans le révélateur. J’étais comme un témoin».
 

«ON CONNAISSAIT SON TRAVAIL SUR LES RATONNADES»
 

Puis, elle parle du départ pour Alger en pleine effervescence révolutionnaire post-indépendance, en 1963. 
«On connaissait son travail sur les ratonnades, y compris en Algérie et on lui a demandé de devenir le photographe de Révolution africaine, avec l’idée de transmettre la technique et de former des Algériens à la photo. (…) 
Donc me voilà partie, enfant sous le bras, dans un pays sans plus d’organisation. Une vraie aventure. (…) J’ai créé la première documentation de ce journal. Rien n’existait quand on est arrivés. Il n’y avait que des bureaux et l’expérience des uns et des autres dans leurs domaines et moi qui n’en avait aucune. (…) Kagan collaborait déjà beaucoup avec le MRAP, organisme créé clandestinement pendant la guerre sous une autre appellation, qui publiait un mensuel : Droit et Liberté. (…) Jacques Vergès, le directeur de Révolution africaine, était le plus souvent absent, de même que sa compagne, Djamila Bouhired, qui occupait cette fonction depuis la création. 
 

Et puis après c’était Vergès. Nous, on est partis à l’été 1963. Nous avons très peu connu Mohammed Harbi, leur successeur à la tête du journal.» Dans le même catalogue, la professeure Malika Rahal explique le travail de Kagan à Révolution africaine : «Les photographies de Kagan apparaissent dans les différentes sections du journal. Toutefois, ce sont ses photoreportages qui marquent. Ses images renforcent la dimension d’histoire vécue des reportages, tout en soulignant les dynamiques collectives : il excelle à trouver un angle pour saisir les enfants d’une salle de classe, une foule dans la rue, ou un groupe d’ouvriers en discussion, sans les écraser. 

Certains portraits font connaître les leaders africains. D’autres représentent des personnalités algériennes, comme la photographie de Mohamed Khemisti et de son épouse Fatima, publiée le 13 avril. Toutefois, ses portraits les plus saisissants sont ceux d’anonymes évoqués dans les articles, tels celui d’un autre enfant cireur, ou les visages de personnes modestes et multiples qui deviennent, par le jeu de l’image et du texte, les visages de l’Algérie de 1963.» 

Paris
De notre bureau   Walid Mebarek
 

 

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