Etats-Unis : A Seattle, un opéra en porte-voix des Afghanes

28/02/2023 mis à jour: 09:01
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Maureen McKay, John Moore et Karin Mushegain dans A Thousand Splendid Suns au Marion Oliver McCaw Hall Seattle

La réalisatrice afghane Roya Sadat était sur le point de lancer la production à Seattle d’un opéra tiré du roman Mille soleils splendides lorsque lui est arrivée la nouvelle de la chute de sa ville natale, Hérat, aux mains des talibans.

Pour sa première incursion dans la mise en scène d’opéra, Roya Sadat mène l’adaptation du best-seller de son compatriote Khaled Hosseini, sorti en 2007, qui brosse le destin de deux femmes aux vies marquées par la répression des droits et libertés sous le joug brutal des talibans dans les années 1990. D’abord conçu comme un regard sur cette page sombre de l’histoire de l’Afghanistan, cet opéra n’avait soudainement plus rien d’historique au moment où les fondamentalistes reprenaient le pouvoir dans le pays en août 2021. Leur retour transformait à la fois le monde de Roya Sadat et celui auquel elle voulait donner vie sur scène. Il ajoutait à l’importance de ce spectacle, alors que les talibans resserraient méthodiquement leur emprise sur les libertés des femmes, après avoir pourtant juré qu’ils régneraient différemment cette fois. «Quand j’ai commencé, je me disais ‘‘Essayons d’avoir plus d’éléments symboliques, et d’alterner entre le surréel et le réel’’», se rappelle Roya Sadat lors d’un entretien à l’AFP avant la première représentation de l’oeuvre, le 25 février à Seattle, dans l’Etat de Washington (nord-ouest). «Pour moi, le changement n’a pas été qu’émotionnel. Il a affecté la façon dont j’envisageais la structure de l’opéra, et j’ai décidé qu’il faudrait que j’utilise plus de réalisme et que je mette en évidence la réalité de la situation», des couleurs aux costumes en passant par la scénographie, poursuit-elle.

Traditions musicales mêlées

Cette situation sur le terrain, la cinéaste ne la connaît que trop bien, après avoir dû se battre lors du premier passage au pouvoir des talibans, lorsque les arts étaient sévèrement contrôlés, avant de devenir l’une des premières réalisatrices du pays à l’issue de leur renversement en 2001. Au coeur de ses films, dont Three dots et  A Letter to the President, se trouvent les femmes et leur persévérance face à l’adversité. Un thème que Roya Sadat a retrouvé dans Mille soleils splendides et qu’elle continue d’explorer dans l’opéra du même nom, récit selon elle de la résilience des femmes, «toujours les premières à souffrir» des conflits et de la violence politique. «Les femmes sont aujourd’hui les seules à mener une courageuse dissidence en Afghanistan», affirme-t-elle. «Même si les talibans les torturent, même s’ils les bannissent, elles gardent leurs voix.» Avec cet opéra, «nous appelons à ce que cette voix soit bien écoutée».

La compositrice Sheila Silver a commencé à travailler sur l’œuvre il y a près de quinze ans, ayant trouvé en cet ouvrage la matière pour un opéra, avec la profondeur des personnages de Laila et Mariam et leur lien forgé au milieu de vies ballottées par les bouleversements politiques et familiaux. «L’opéra est quelque chose qui est hors du commun, et elles sont hors du commun», dit-elle.

«Leur résilience et leur amour l’une pour l’autre les nourrissent, et elles survivent grâce au pouvoir de cet amour.» Pour son travail, avec le librettiste (auteur du livret) Stephen Kitsakos, Sheila Silver a mêlé les usages occidentaux de l’opéra avec ceux de la musique d’Afghanistan. Elle a étudié les traditions musicales hindoustanie -- «la musique classique de l’Afghanistan», dit-elle, présente dans le pays depuis le XVIe siècle -- et en a incorporé ses structures mélodiques et harmoniques. L’opéra ouvre ainsi avec le violoncelle répondant au bansuri (une flûte en bambou), le tout sur un bourdon traditionnel (un accord longuement maintenu), qui situent l’auditeur, même sans costumes ou décor. Pour un spectacle où les voix sont l’alpha et l’omega, la consultante culturelle afghane Humaira Ghilzai a notamment travaillé sur le langage corporel, afin de ne pas avoir sur scène «un paquet de gens en robes afghanes parlant et marchant comme des Occidentaux», et aider à entraîner l’assistance dans «un monde différent». En plus de contribuer à plusieurs événements organisés par l’Opéra de Seattle mettant à l’honneur la culture et l’art afghans, elle a cherché à rapprocher la communauté afghane de ce monde mal connu de l’opéra -- comme il l’était pour elle -- et à encourager davantage de «croisement des cultures». Elle et Roya Sadat ont partagé les efforts visant à rendre l’œuvre plus authentique, précise-t-elle, ainsi que le sentiment de devoir attirer les regards vers la situation «bouleversante» du pays que sa famille a fui en 1979 lors d’un autre violent chapitre de son histoire. «Je ressens une énorme responsabilité avec cette production, car le monde a détourné son attention de l’Afghanistan.»

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