Des milliers d’agriculteurs ont manifesté hier dans différentes régions d’Espagne, bloquant des routes et des infrastructures à l’aide de tracteurs afin de protester contre la politique agricole européenne et dénoncer la précarité régnant dans le secteur, rapporte l’AFP.
Mobilisés à l’appel d’une fédération de syndicats agricoles régionaux appelée «Union de Uniones» (l’Union des Syndicats), mais aussi de groupes organisés sur WhatsApp, les manifestants se sont rassemblés à l’aube sur des dizaines d’axes routiers, notamment à l’entrée des grandes villes. Ils ont réclamé des mesures concrètes face aux difficultés rencontrées par de nombreuses exploitations.
Selon la Direction générale du trafic, des opérations escargots et des blocages ont notamment eu lieu dans les provinces de Tolède (centre), Séville (sud), Murcie (sud-est) et Gérone (nord-est). Le port de Malaga, en Andalousie (sud), a indiqué sur le réseau social X que ses accès avaient eux aussi été bloqués.
Trois principaux syndicats agricoles espagnols (Asaja, Coag, UPA), qui ne participaient pas au mouvement d’hier, ont prévu d’autres manifestations dans les prochains jours, notamment demain à Salamanque (centre) et vendredi à Bilbao (Nord). Ces trois syndicats, qui dénoncent une politique européenne trop complexe, des normes trop contraignantes et la concurrence jugée déloyale des produits étrangers, ont été reçus en urgence vendredi par le ministre de l’Agriculture, Luis Planas, qui s’est engagé à «travailler» pour répondre à la crise du secteur.
Mais cette réunion n’a pas suffi à désamorcer la crise, qui agite depuis janvier plusieurs pays de l’Union européenne (UE), dont l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la France. «Le gouvernement comprend les préoccupations du secteur, nous prenons les choses en main», a assuré hier, à l’issue du Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Pilar Alegria, mettant en avant les efforts financiers réalisés pour aider les agriculteurs touchés par la sécheresse.
Selon Mme Alegria, 140 000 agriculteurs vont ainsi bénéficier d’une aide de 270 millions d’euros, débloquée par l’Exécutif.
Pour sa part, la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, a dit comprendre les «préoccupations» des agriculteurs, confrontés à de lourdes «charges bureaucratiques». «Nous devons moduler les objectifs européens de durabilité, ce que l’on appelle l’Europe verte, au rythme exigé par le secteur», a-t-elle estimé, tout en dénonçant ce qu’elle a qualifié de «manipulation» de ces règles environnementales.
Le «Pacte vert» de l’UE, décliné dans une série de législations environnementales, qui ne sont pour la plupart pas encore entrées en vigueur, est vivement critiqué en Espagne par le parti d’extrême droite Vox, qui l’accuse de vouloir «détruire» l’agriculture ibérique. L’Espagne, souvent qualifiée de «potager de l’Europe», est le premier exportateur européen de fruits et légumes. Le secteur agricole espagnol est néanmoins en difficulté, en raison notamment du manque de pluies qui sévit depuis trois ans dans la péninsule Ibérique.
Par ailleurs, une vingtaine de tracteurs et des dizaines d’agriculteurs ont manifesté hier devant le Parlement européen à Strasbourg, pour interpeller les eurodéputés réunis en session plénière. Deux manifestations distinctes étaient organisées : l’une de la coordination rurale, pour dénoncer l’importation de produits qui ne sont pas soumis aux mêmes normes qu’en France, et l’autre de la confédération paysanne opposée aux «nouveaux OGM».
Des tracteurs devant le Parlement européen
A quelques mètres de là, une autre manifestation réunissait des membres de la Confédération paysanne et de 12 organisations écologistes, telles que Greenpeace, Les Amis de la terre ou Générations futures. Ces militants venus de toute la France, certains déguisés en abeilles ou en vaches, demandent aux députés européens de rejeter la proposition de la Commission européenne d’assouplissement des règles sur les «nouvelles techniques génomiques» (NGT), visant à développer des variétés végétales résistantes aux aléas climatiques ou aux insectes.
A la veille d’un vote des eurodéputés sur cette proposition, Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, s’inquiète qu’il n’y ait ni évaluation, ni traçabilité ni étiquetage de ces «nouveaux OGM», redoutant une contamination de l’agriculture biologique et une «uniformisation» des cultures. «Voter pour ce texte, c’est aller contre le droit des citoyens à choisir leur alimentation, c’est tuer la filière biologique, la culture paysanne, en supprimant la diversité de productions et c’est développer les pesticides et les engrais azotés», a-t-elle déclaré.
Face à la colère du monde agricole, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a enterré hier un projet législatif visant à réduire l’usage des pesticides.
Dans un geste envers les agriculteurs, la Commission a déjà proposé la semaine dernière une dérogation partielle aux obligations de jachères et une limitation des importations ukrainiennes, tout en promettant de «simplifier» la Politique agricole commune (PAC).
Lundi, des dizaines d’agriculteurs italiens au volant de leurs tracteurs ont convergé aux portes de Rome en espérant pouvoir y entrer nombreux afin de présenter leurs revendications au gouvernement.
Partis de Toscane (centre-nord), une cinquantaine de tracteurs devraient atteindre dans l’après-midi le périphérique romain et stationner aux abords de la via Nomentana, une artère reliant le cœur de la capitale.
Leur intention est d’y rester toute la semaine, jusqu’à une manifestation devant rassembler entre 1500 et 2000 tracteurs vendredi, a indiqué Andrea Papa, cofondateur du mouvement Riscatto agricolo (Redressement agricole). «Nous sommes venus pour rencontrer le ministre de l’Agriculture et lui demander l’ouverture d’une table ronde permanente», a expliqué ce céréalier de 33 ans. A Turin (nord), environ 200 tracteurs sont massés près du périphérique et prévoient d’y demeurer toute la semaine, selon un photographe de l’AFP.
Les agriculteurs italiens, qui manifestent en région depuis plusieurs jours, exigent notamment une juste rémunération, la suppression des taxes sur le carburant et une revalorisation du prix du lait, moins de normes écologiques et plus de contrôle des espèces nuisibles (sangliers).
Depuis le Japon où elle est en visite officielle, la cheffe du gouvernement, Giorgia Meloni, a expliqué «la colère des agriculteurs» par «une lecture idéologique de la transition écologique» qui, selon elle, consiste à «défendre l’environnement en combattant les agriculteurs».
La dirigeante d’extrême droite et son Exécutif reprochent régulièrement à Bruxelles d’imposer, au nom de la transition écologique, des normes contraires aux intérêts industriels et agricoles de l’Italie.
Rome, principal bénéficiaire du plan de relance européen après la pandémie de Covid-19, l’a récemment renégocié à la hausse pour porter de cinq à huit milliards d’euros les aides consacrées à son agriculture, a rappelé Mme Meloni.
Elle a également fait valoir que l’Italie «a fait l’effort de prolonger les aides sur le gasoil». «Nous avons fait le maximum», a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse. L’Italie est la 3e puissance agricole de l’UE, derrière la France et l’Allemagne, avec une production de 71,5 milliards d’euros en 2022, selon la Commission européenne.