Espagne : Des dizaines de milliers d’Espagnols dénoncent l’amnistie des indépendantistes catalans

19/11/2023 mis à jour: 04:37
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Les Espagnols sont déscendus hier dans la rue pour dénoncer l’amnistie des indépendantistes catalans

Des dizaines de milliers d’Espagnols se sont rassemblés, hier à Madrid, pour dénoncer la future loi d’amnistie des dirigeants et militants séparatistes catalans qui a permis au gouvernement de gauche d’être reconduit, rapporte l’AFP.

Environ 170 000 personnes, selon la préfecture, se sont réunies sur la place Cibeles, autour de la célèbre fontaine du même nom, en plein cœur de la capitale espagnole. «Ils savent qu’ils n’ont pas les votes pour faire ce qu’ils sont en train de faire. Voilà pourquoi nous leur disons avec cette manifestation», a déclaré Alberto Nunez Feijoo, accusant Pedro Sanchez d’élever les Espagnols «les uns contre les autres». Egalement présent à la manifestation, le leader du parti d’extrême droite, Vox Santiago Abascal, a estimé que cette loi était «aussi grave qu’un coup d’Etat». Les deux dirigeants ne sont pas apparus l’un aux côtés de l’autre, bien que A. Feijoo ait tenté, en septembre dernier, d’être investi comme Premier ministre avec le soutien de S. Abascal, sans parvenir à obtenir une majorité au Parlement. 

Depuis deux semaines, des manifestations ont eu lieu tous les soirs devant le siège du Parti socialiste à Madrid, et certaines d’entre elles ont dégénéré, donnant lieu à plusieurs dizaines d’interpellations. Il y a quelques jours, Bruxelles a de fait réclamé des explications à Madrid sur ce projet de loi d’amnistie, indiquant avoir «été contactée à ce propos par un grand nombre de citoyens».

Arrivé deuxième aux législatives du 23 juillet derrière le chef de file de la droite, Alberto Nunez Feijoo (PP), le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, au pouvoir depuis 2018, est parvenu à être reconduit jeudi, après avoir négocié tous azimuts pour obtenir le soutien de formations régionalistes, dont les partis indépendantistes catalans. En échange de leurs voix, indispensables à la formation d’une majorité, il a accepté plusieurs concessions, dont l’adoption prochaine d’une très polémique loi d’amnistie pour les dirigeants et militants séparatistes poursuivis notamment pour leur implication dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.

Il y a six ans, les indépendantistes ont tenté de faire sécession de l’Espagne en organisant un référendum d’autodétermination. Après un vote largement favorable à l’indépendance en Catalogne, le Tribunal constitutionnel espagnol a invalidé les résultats du scrutin et l’a déclaré illégal.

Le Premier ministre a prêté serment vendredi, au lendemain de sa reconduction au pouvoir par le Parlement. Le responsable socialiste a promis, devant le roi Felipe VI, de «s’acquitter fidèlement des devoirs incombant au chef de gouvernement» et de respecter «la Constitution», lors d’une cérémonie au palais de la Zarzuela, demeure de la famille royale espagnole. Maintenant qu’il a prêté serment, le dirigeant socialiste de 51 ans, au pouvoir depuis 2018, va pouvoir annoncer, dans les jours à venir, la composition de son nouveau gouvernement avec ses alliés de la coalition d’extrême gauche Sumar.

L’investiture de P. Sanchez par le Parlement est «un acte de haute trahison», a estimé ce jour-là un haut dirigeant du PP, Elías Bendodo, qui a accusé le Premier ministre d’avoir «vendu l’Espagne» aux indépendantistes. «Nous continuerons à soutenir toutes les mobilisations et tous les appels à s’opposer» à ce «gouvernement issu d’un pacte anticonstitutionnel», a assuré, de son côté, Santiago Abascal, le chef de Vox, qui dénonce depuis plusieurs jours un «coup d’Etat» institutionnel.
 

Un mandat «complexe»

Signe de l’extrême tension, cinquante militaires espagnols à la retraite ont publié, vendredi dernier, un manifeste très critique envers la gauche appelant «les responsables de la défense de l’ordre constitutionnel» à «destituer le Premier ministre» et à «convoquer» de nouvelles élections. Ces membres de l’association des Officiers Militaires Espagnols (AME) sont principalement d’anciens chefs et officiers de l’armée, selon le quotidien El Debate, bien que leurs noms ne soient pas inscrits en bas du manifeste. De son côté, El País a pu vérifier la liste des signataires et affirmé que cette même association a promu, en 2018, un manifeste justifiant la tentative de coup d’État militaire du 18 juillet 1936.

Interrogée sur ce climat explosif, la porte-parole du gouvernement, Isabel Rodriguez, a reconnu que ce nouveau mandat de Pedro Sánchez s’annonce «complexe» et «difficile» mais a jugé que le gouvernement a «démontré» ces dernières années qu’il est «capable de gérer» des situations «extrêmement compliquées». La Constitution espagnole de 1978 a créé un système de communautés autonomes qui ne forment pas un État fédéral mais un système décentralisé avancé et assez peu homogène. 

Ainsi, les 17 régions, appelées «communautés autonomes», disposent de larges compétences depuis le rétablissement de la démocratie après la fin de la dictature franquiste en 1975, notamment en matière de santé ou d’éducation. Mais le Pays basque (nord) et la Catalogne (nord-est) ont encore plus de pouvoirs. Ces régions sont dotées, par exemple, d’une police et leur langue, au même titre que celle de la Galice (nord-ouest), est co-officielle dans le pays. Un niveau très important d’autonomie qui n’a pas pour autant éteint le sentiment séparatiste en Catalogne, théâtre, en 2017, d’une tentative de sécession, ou au Pays basque, secoué jusqu’en 2011 par la lutte armée de l’ETA et où les héritiers de sa vitrine politique conservent un poids important. «A travers leur vote, les citoyens espagnols nous ont dit le 23 juillet que l’Espagne ne pouvait être gouvernée que si l’on reconnaissait le pluralisme politique de leur pays mais aussi sa diversité territoriale», a reconnu le week-end dernier P. Sanchez. 

En conséquence, ces formations sont bien décidées à obtenir le plus de concessions possibles de la part du Premier ministre. Les indépendantistes catalans ont, par exemple, arraché ces derniers jours l’adoption prochaine d’une loi d’amnistie pour leurs dirigeants et militants poursuivis par la justice pour les événements de 2017, à l’image de Carles Puigdemont. Ils ont également obtenu l’effacement de 15 milliards d’euros de dettes de la Catalogne à l’égard de l’Etat central ou le transfert de la gestion des trains régionaux et estiment qu’il «est temps d’avancer vers l’autodétermination, vers un référendum», selon les termes récents du président régional catalan, Pere Aragonés.

 De son côté, le président régional basque, Inigo Urkullu, a estimé fin août qu’un nouveau mandat de Sanchez représenterait une «opportunité» pour «faire de nouveaux pas» vers plus d’«autonomie pour les nationalités historiques», c’est-à-dire les Basques, les Catalans et les Galiciens. Sa formation, le PNV, a d’ailleurs obtenu de futurs transferts de compétences en échange du soutien de ses députés à l’investiture de Pedro Sanchez.

Héritière de la branche politique de l’ETA et membre de la coalition indépendantiste basque Bildu, Sortu est allée jusqu’à juger que la reconduction du socialiste permettrait «d’établir le camp de base, en vue d’effectuer l’ascension jusqu’à (la création d’une) République basque», selon un document interne publié par El País.
Avant même la loi d’amnistie, les socialistes espagnols ont permis cet été l’usage du basque, du catalan ou du galicien à la tribune de la Chambre des députés, revendication historique des nationalistes, et demandé que ces trois langues puissent être reconnues à l’avenir comme langues officielles de l’Union européenne (UE). 
 

Toutes ces concessions, justifiées par la gauche par l’existence d’une réalité «plurinationale» en Espagne, provoquent la fureur de la droite et de l’extrême droite. Cette dernière est farouchement opposée au modèle territorial actuel et rêverait de revenir à une centralisation maximale.  
 

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