Équateur : A Guayaquil, commandos des garde-côtes contre narcos «Spiderman»

23/01/2024 mis à jour: 04:00
AFP
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Des membres du «Commando des gardes-côtes» équatoriens sur la rivière Guayas

A Guayaquil, grand port de la côte sud-ouest de l’Equateur et épicentre du narcotrafic dans ce pays, le combat contre les bandes criminelles a lieu non seulement dans les quartiers mais aussi sur l’eau, dans les nombreux bras de mer et mangroves qui enserrent l’immense cité portuaire. Le bateau des garde-côtes file plein moteur sur les eaux de la rivière Guayas. 

A droite une verdoyante mangrove qui masque les exploitations de crevettes disséminées partout dans l’immense estuaire. A gauche, les maisons en briques de l’un de ces quartiers de misère, territoires des gangs qui sèment la terreur dans la ville. Et au milieu, tel un porte-avions, un immense porte-conteneurs d’une vingtaine de mètres de hauteur se fraye un chemin dans l’étroit canal.
 

L’estuaire de Guayaquil et ses 28 ports (dont l’un en eau profonde), c’est le poumon de l’économie équatorienne : hors pétrole, 80% des exportations du pays sortent par ce golfe, notamment ses produits-clés, comme la banane et la crevette. C’est aussi le paradis des narcos pour sortir la cocaïne venue de la Colombie et du Pérou voisins, alors que l’équateur est «devenu le principal distributeur de cocaïne» au monde, rappelle le capitaine de frégate Fernando Alvarez. «70% de la cocaïne qui arrive en Europe vient d’Equateur, et 80% de cette cocaïne sort de Guayaquil», explique à l’AFP cet officier du «Commando des gardes-côtes», unité locale de la marine aux avant-postes de la lutte contre ce trafic.
 

Contamination

«Toute la ville est connectée à des canaux. C’est une tâche très, très compliquée que de contrôler tout ça...»,   confie un autre officier, sous couvert d’anonymat. Le grand chenal naturel qui relie la ville à la pleine mer s’étend sur près de 75 kilomètres de long. Les narcos agissent partout, à l’intérieur des ports, sur les canaux et aussi plus au large. Il y a d’abord le transport classique, par embarcation, vers l’Amérique du Nord. En vingt ans, les trafiquants sont passés d’embarcations artisanales, aux go-fast des «pangas», aux semi-submersibles, jusqu’aux sous-marins...

 «Une montée en puissance en adéquation avec tout l’argent dont ils disposent.» Une route qui passe notamment par le sud ou le nord de l’archipel protégé des Galapagos, 1100 km à l’ouest, et suppose une intense contrebande de carburants. Avec l’explosion du fentanyl aux Etats-Unis, la consommation de cocaïne s’est réorientée vers l’Europe. Le trafic a suivi le même chemin, alors que «de cette région de Guayas sortent des navires marchands à destination du monde entier, principalement vers l’Europe». Classiquement, «la contamination (par des cargaisons clandestines de cocaïne) se fait en amont, avant l’embarcation des marchandises». «Mais elle a lieu également à la sortie des ports, où les bateaux sont pris d’assaut par les narcos», souligne le commandant Alvarez. 

Ce dernier mode opératoire est peu connu. «La drogue est stockée dans des secteurs riverains des canaux, habités ou pas. Avec des petits bateaux, les trafiquants abordent clandestinement les grands navires et les contaminent». «Partout il y a des mangroves, c’est très facile de se cacher», fait remarquer l’autre officier. «Ces criminels sont de vrais Spiderman !» Tels des pirates, «ils s’approchent en pirogues et montent à l’assaut des immenses tanker et porte-conteneurs à l’aide d’échelles ou de grappins. Ils enlèvent les scellés des conteneurs pour y cacher la drogue et repartent aussi vite». Ils agissent généralement la nuit ou à l’aube, parfois avec la complicité de l’équipage ou partie.
 

Toujours plus violents

«Se faisant souvent passer pour des pêcheurs, ils sont très bien organisés.» Ils suivent ensuite la progression des navires pour gérer la réception de la marchandise dans les ports européens. «Si nous jugeons qu’il y a un risque de contamination, nous embarquons à bord un groupe tactique, chargé de protéger le bateau», précise M. Alvarez. Des compagnies maritimes font aussi appel à des escortes de sécurité privée. 

En général, les gangs évitent la confrontation. Mais «ils n’hésitent pas à ouvrir le feu. Et jettent leurs armes à l’eau quand nous les interceptons». «Ils sont toujours plus violents. Ils s’adaptent sans cesse.» Ils vont jusqu’à menacer les militaires, dont beaucoup refusent de donner leur nom ou montrer leur visage face caméra. Ils tentent aussi de les acheter, confie une source sécuritaire étrangère. 

Les gangs travaillent avec trois acteurs transnationaux du trafic, les cartels mexicains de Sinaloa, de Jalisco Nueva Generacion et la mafia albanaise (elle-même liée à la Ndrangheta italienne). Près de 80% des délits sont désormais en lien avec la drogue, précise M. Alvarez. L’activité des gardes-côtes - en charge par ailleurs de la protection des Galapagos de la prédation des flottes de pêche chinoise et espagnole - s’en trouve considérablement modifiée, de l’aveu même du capitaine de frégate.

L’état d’urgence décrété en début de semaine pour mettre fin à la crise sécuritaire inédite que connaît depuis le 9 janvier l’équateur «a changé les choses en notre faveur», se félicite l’officier : «Il a modifié les règles de l’usage de la force, ces bandes étant désormais considérées comme des forces combattantes, cela nous permet de répondre de façon plus robuste.»

 

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