Entretien / Amar Bendjedda. Président de l'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel (ANIRA) : « Les chaînes de télévision doivent se conformer aux exigences de la nouvelle loi sans délai »

15/08/2024 mis à jour: 15:51
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 Le cahier des charges contenant les nouvelles règles régissant la création et le fonctionnement des chaînes TV, les radios, les radios sur Internet et les Web TV vient d’être publié au Journal officiel n°53 du 7 août 2024. Ce dispositif juridique remplace celui en vigueur depuis 2016. Amar Bendjedda, le président de l’Agence nationale indépendante de régulation audiovisuelle (ANIRA), explique dans cet entretien les nouveautés apportées par ce cahier des charges rénové et les principales préoccupations auxquelles il répond.


 

Entretien réalisé par Zine Cherfaoui

 

Quel est votre point de vue sur ce cahier des charges ? Est-ce qu'il répond à vos attentes ?

Ce nouveau cahier des charges, qui abroge celui de 2016, s'inscrit dans une dynamique de transformation du secteur audiovisuel en Algérie. Il intervient à un moment où le paysage médiatique est en pleine mutation, marqué par l'émergence de nouvelles technologies ainsi que la prolifération des réseaux sociaux et des plateformes numériques. En tant qu'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel (ANIRA), nous considérons que ce texte répond largement à nos attentes.

L'objectif principal de ce cahier des charges est de garantir un équilibre entre la protection du public, la promotion de la production culturelle et audiovisuelle nationale, et la préservation d'une concurrence équitable. Il vise à adapter les règles régissant le secteur audiovisuel aux réalités d'un marché en constante évolution, tout en maintenant des normes de qualité élevées.

Nous avons activement participé à l'élaboration de ce texte, conformément à notre mission d’études et de consultations définie par la loi sur l'audiovisuel. Cette loi nous confère la responsabilité de formuler des avis sur tout projet législatif ou réglementaire concernant l’activité audiovisuelle. Dans ce cadre, nous avons proposé des réformes alignées avec notre vision d'un secteur audiovisuel moderne, transparent et en phase avec les évolutions technologiques. Nos contributions ont été largement prises en compte par le gouvernement, attestant d'une collaboration réelle pour répondre aux défis actuels tout en anticipant ceux à venir.

Ce cahier des charges ne se limite pas à réguler les chaînes de télévision et de radio traditionnelles, mais encadre également les nouvelles formes de médias telles que les Web TV et les radios sur Internet. Il représente une étape significative vers une réglementation plus claire et transparente, visant à mieux protéger le public tout en encourageant l'innovation et la diversité dans le secteur audiovisuel.

Il est bien connu que les chaînes privées en Algérie ont vu le jour dans des conditions exceptionnelles, avant même l'adoption des lois nécessaires. Nous avons dépassé cette étape, et l'Algérie est désormais engagée dans des réformes fondamentales pour structurer ce secteur. Avec ces réformes, notre pays se dirige vers une législation moderne qui adopte des règles solides et instaure une autorité indépendante.

Le décret adopte une approche équilibrée et globale de la régulation, combinant les principes d’autorégulation, de co-régulation et de régulation codifiée. Il favorise l'autorégulation en invitant les chaînes à adopter leur propre charte de déontologie, rédigée par leurs soins et intégrant des valeurs professionnelles internationalement reconnues, sans préjudice de la charte élaborée par le Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie de la profession de journaliste.

En effet, le décret favorisera la transition des chaînes de fait vers celles soumises à la loi, constituant une nouvelle étape dans l'histoire de l'audiovisuel en Algérie.

 

En quoi ce nouveau cahier des charges est-il différent de celui promulgué en 2016 ? Qu’apporte-t-il de nouveau ? A quelle(s) préoccupation(s) répond-il ?

Le cahier des charges de 2024 introduit des changements significatifs par rapport à celui de 2016, en s’adaptant aux évolutions rapides du secteur audiovisuel et en répondant à des préoccupations plus contemporaines. Une des nouveautés majeures concerne l'élargissement du champ d'application aux nouvelles plateformes de diffusion comme les Web TV et les radios sur Internet, qui sont désormais pleinement intégrées au cadre réglementaire. Cela permet de soumettre tous les acteurs, qu'ils soient traditionnels ou numériques, aux mêmes règles éthiques et déontologiques.

Le texte introduit également des obligations accrues pour les propriétaires de chaînes en matière de gestion des ressources humaines. Les employeurs sont désormais tenus de respecter leurs obligations sociales envers les journalistes, techniciens et autres personnels, notamment en matière de sécurité sociale. De plus, les chaînes doivent assurer la formation continue de leur personnel pour garantir que leurs compétences évoluent avec le secteur. L'accent est mis sur l'emploi de journalistes professionnels, avec l'exigence que la moitié de la rédaction soit composée de journalistes titulaires de la carte professionnelle.

En matière de contenu, le cahier des charges insiste sur l'obligation pour les diffuseurs de promouvoir la production nationale et de valoriser le patrimoine culturel algérien, tout en veillant à ce que les contenus reflètent la diversité de notre société. Il impose aussi des règles pour préserver l’intégrité des vidéos diffusées, interdisant l'usage de technologies trompeuses qui pourraient altérer le sens des images comme par exemple en utilisant l’intelligence artificielle générative. Les chaînes doivent également veiller à ce que leur logo soit affiché en permanence durant la diffusion, à l'exception des segments publicitaires, afin de garantir une identification claire pour le public.

Un autre aspect innovant du texte est l’obligation pour les chaînes de publier leur grille de programmation au moins quinze jours à l'avance, renforçant ainsi la transparence et l'information du public. En outre, les chaînes sont désormais tenues de proposer un service de rattrapage (TV catch-up), permettant aux téléspectateurs de revoir les programmes manqués. Cette mesure vise à renforcer l’engagement du public envers les chaînes tout en répondant aux nouvelles habitudes de consommation.

Le cahier des charges de 2024 apporte également des précisions sur les responsabilités des diffuseurs en matière de protection des enfants et des adolescents. Il établit des critères plus stricts pour la classification des programmes et renforce les obligations des diffuseurs en matière de signalétique et de contrôle parental, répondant ainsi à des préoccupations sociétales.

Enfin, ce nouveau cadre réglementaire a été conçu pour être plus flexible et adaptable, permettant ainsi à l'ANIRA de répondre plus rapidement aux évolutions du secteur et aux défis futurs, tout en maintenant un niveau élevé de protection du public.

 

Quelles sont les dispositions prévues par le nouveau cahier des charges pour encadrer les périodes électorales ?

Le nouveau cahier des charges contient des dispositions spécifiques pour encadrer la couverture médiatique durant les périodes électorales. Ces mesures sont essentielles pour garantir une couverture équilibrée et équitable de l'ensemble des candidats et des partis politiques, assurant ainsi une véritable égalité des chances dans la compétition électorale.

Durant les périodes électorales, les chaînes de télévision et les radios sont tenues de respecter des règles strictes de neutralité et d'impartialité. Elles doivent veiller à ce que le temps d'antenne accordé à chaque candidat ou parti soit équitable, sans favoriser une candidature ou une formation politique au détriment des autres. Ce principe est fondamental pour maintenir la confiance du public dans les médias et dans le processus démocratique.

Le cahier des charges impose également une vigilance accrue quant à la véracité des informations diffusées pendant ces périodes sensibles. Les médias sont responsables de s'assurer que les informations qu'ils transmettent sont exactes, équilibrées et non manipulatoires, afin de ne pas influencer indûment le choix des électeurs. Les chaînes doivent aussi respecter les périodes de silence électoral prévues par la loi, durant lesquelles toute propagande est interdite.

En cas de non-respect de ces règles, l'ANIRA est habilitée à prendre des mesures disciplinaires contre les diffuseurs fautifs, allant de l'avertissement à la suspension de la diffusion, selon la gravité de l'infraction. Ces dispositions visent à garantir que les médias jouent leur rôle de manière responsable pendant les élections, en contribuant à un débat public éclairé et équitable.
 

Dans ce nouveau texte, il est question pour les chaînes de télévision de respecter de grands principes. De quels principes s’agit-il ?

Les grands principes énoncés dans le nouveau cahier des charges constituent le socle de la régulation du secteur audiovisuel. Ils visent à concilier la liberté d'expression avec les responsabilités qui en découlent, en respectant les droits fondamentaux des citoyens ainsi que les valeurs de la société algérienne.

Tout d'abord, les chaînes doivent se conformer aux dispositions constitutionnelles ainsi qu'à la législation et réglementation en vigueur, notamment celles relatives à la souveraineté nationale, à l'unité territoriale et à l'identité culturelle et morale du pays. Il est impératif que les médias préservent la sécurité nationale, la défense du pays, et veillent à ne pas compromettre les intérêts économiques et les politiques extérieures de l'Algérie.

Le texte souligne également l'importance de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, en garantissant une couverture médiatique équitable et impartiale. Ce principe assure que toutes les opinions peuvent s'exprimer librement, tout en respectant les règles de neutralité et d'indépendance.

Enfin, les chaînes de télévision doivent veiller à ce que leurs programmes respectent les normes de qualité tout en étant accessibles à tous les publics, notamment les enfants. Il est également souligné l'importance de respecter les valeurs éthiques et culturelles de la société et de promouvoir un contenu qui reflète la diversité culturelle de la nation.

 

Les programmes des chaînes de télévision sont également soumis à plusieurs exigences. Ces exigences sont de quel(s) ordre(s) ?

Les programmes des chaînes de télévision doivent respecter un ensemble d'exigences rigoureuses qui couvrent plusieurs aspects essentiels, notamment la qualité, l'éthique et la diversité des contenus diffusés.

Premièrement, les exigences portent sur le contenu des programmes. Les chaînes sont tenues de diffuser des programmes qui respectent les valeurs culturelles et morales de la société algérienne. Cela inclut l'obligation de ne pas diffuser de contenus susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine ou de promouvoir des comportements illicites ou immoraux.

Deuxièmement, il existe des exigences en matière de diversité et de pluralisme. Les chaînes doivent veiller à ce que leurs grilles de programmes reflètent la diversité des opinions, des cultures et des régions d'Algérie. Cela signifie également qu'elles doivent accorder une place importante à la production nationale et aux contenus en langue arabe et amazighe, contribuant ainsi à la valorisation de notre patrimoine culturel.

Troisièmement, les chaînes doivent respecter des exigences en matière de protection des enfants et des adolescents. Cela inclut la mise en place de signalétiques claires pour les programmes pouvant contenir des scènes violentes, ou inappropriées pour un jeune public, ainsi que la diffusion de ces programmes à des heures tardives pour éviter leur exposition aux enfants.

Enfin, les exigences incluent également des critères de qualité technique. Les chaînes sont tenues de garantir une qualité de diffusion optimale, qu'il s'agisse de la clarté de l'image, du son ou de la continuité des services, pour offrir au public une expérience audiovisuelle satisfaisante.

Ces exigences sont conçues pour assurer que les contenus diffusés sur les chaînes de télévision respectent des standards élevés de qualité et d'éthique, tout en répondant aux attentes et aux besoins du public algérien.
 

Il est également question d’une classification spéciale des programmes. De quoi s’agit-il exactement ?

La classification spéciale des programmes introduite dans ce nouveau cahier des charges vise à renforcer la protection des publics, notamment des mineurs, en régulant plus strictement l'accès aux contenus sensibles.

Cette classification consiste à catégoriser les programmes selon leur nature et leur contenu, en fonction de leur degré de violence et d'autres thèmes sensibles. Chaque catégorie de programme est associée à une signalétique spécifique qui doit être clairement affichée avant et pendant la diffusion du programme concerné.

Par exemple, les programmes contenant des scènes de violence ou des images pouvant choquer un jeune public seront classés dans des catégories restreintes, avec des symboles distinctifs pour avertir les téléspectateurs. De plus, ces programmes seront diffusés à des heures tardives, afin de limiter leur accès par les enfants et les adolescents.

Le but de cette classification est de fournir aux parents et aux téléspectateurs les informations nécessaires pour faire des choix éclairés concernant les contenus qu'ils souhaitent regarder. Elle permet également d'imposer aux chaînes de télévision une responsabilité accrue dans le choix des horaires de diffusion et dans l'édition des contenus sensibles.

Ce système de classification s'inspire des meilleures pratiques internationales en matière de régulation audiovisuelle et constitue une réponse aux préoccupations croissantes concernant l'exposition des jeunes publics à des contenus potentiellement nuisibles.
 

La problématique de la publicité sur les chaînes de télévision est-elle prise en charge par ce nouveau décret ?

Oui, le nouveau décret aborde en détail la problématique de la publicité sur les chaînes de télévision. Il établit des règles précises pour encadrer la diffusion des publicités, visant à protéger les téléspectateurs tout en assurant une concurrence équitable entre les annonceurs.

Récemment, la publicité télévisée a connu des dérives, notamment pendant le Ramadhan, ce qui a conduit l’autorité à intervenir pour mettre fin aux dépassements de la durée maximale autorisée. Avec la publication de ce nouveau décret, les chaînes doivent désormais se conformer à des règles claires.

Le décret fixe des limites strictes sur le volume de publicités diffusées par heure, avec une durée maximale de 8 minutes par heure, et une exception à 10 minutes pendant le Ramadhan. Il impose également des restrictions sur les écrans publicitaires au sein des programmes pour éviter leur encombrement, ce qui peut altérer l’expérience des téléspectateurs et la qualité des programmes.

Pour assurer transparence et concurrence, le décret exige que les chaînes établissent une tarification des publicités et la communiquent aux annonceurs, tout en conférant à l'autorité de régulation le pouvoir de fixer le prix minimum. De plus, la diffusion de publicités pour des produits pharmaceutiques ou des compléments alimentaires nécessite une autorisation préalable du ministère de la Santé. Les publicités doivent respecter les normes éthiques, éviter les messages trompeurs et ne pas porter atteinte aux valeurs culturelles et morales de la société algérienne.

Enfin, le décret introduit des mécanismes de contrôle et de sanction pour les chaînes qui enfreignent ces règles. L'ANIRA dispose de moyens renforcés pour surveiller les contenus publicitaires et intervenir en cas de manquement, marquant un progrès vers une régulation plus efficace et protectrice pour le public.

En résumé, ce nouveau cadre vise à équilibrer les intérêts commerciaux des diffuseurs avec les droits des téléspectateurs, tout en assurant une plus grande transparence dans le secteur de la communication audiovisuelle.
 

Quand ce décret entrera-t-il en vigueur et comment sera-t-il mis en œuvre ?

Les lois promulguées sont exécutoires sur le territoire de la République algérienne démocratique et populaire dès le jour suivant leur publication au Journal officiel. Selon l'article 4 du Code civil, les lois doivent être appliquées immédiatement après leur publication et entrer en vigueur après un jour franc.

La nouvelle loi audiovisuelle, promulguée en décembre 2023, stipule que les chaînes doivent adapter leurs activités aux nouvelles dispositions dans un délai d'un an, soit jusqu'au 2 décembre 2024. Pendant cette période, les textes d'application de l'ancienne loi sur l'audiovisuel resteront en vigueur jusqu'à la publication des nouveaux textes d'application.

Le décret exécutif actuel, qui remplace le texte d'application de 2016, n’accorde toutefois pas de période transitoire pour la conformité des chaînes. Ainsi, ce décret est censé être mis en œuvre immédiatement après sa publication au Journal officiel.

Bien que le décret introduise de nombreuses réformes et nouvelles règles, l'ANIRA et toutes les chaînes doivent se conformer aux exigences de la loi sans délai. Les dispositions générales, éthiques et relatives au contenu des programmes doivent être appliquées immédiatement, et nous ne voyons pas d'obstacles majeurs à une mise en œuvre rapide.

Pour les aspects nécessitant une transition technique plus longue, l'autorité prendra en compte le délai raisonnable nécessaire pour que les chaînes s’adaptent aux nouvelles exigences. Avant d'engager des mesures de contrôle, l'ANIRA tiendra compte de la date à laquelle les chaînes commenceront à adapter leurs activités aux nouvelles règles.

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