Enfants de l’immigration post-coloniale : Sociologie des vacances au bled

15/02/2022 mis à jour: 16:26
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Les illustrations culturelles (livres, films, documentaires, chansons…) ne manquent pas pour aborder le rapport des enfants à l’Algérie des parents. Une étude sociologique vient à présent expliquer, voire ordonner ce sentiment d’appartenance
 
Paris
De notre bureau
 
Vacances des enfants au pays. La tradition s’est développée depuis que l’immigration algérienne de travail s’est étoffée avec le regroupement familial. Ce n’est plus le père de famille qui visite les siens au pays, mais les enfants, avec les parents, qui voyagent pour garder le lieu avec oncles, tantes, cousins, grands-parents. 

La sociologue Jennifer Bidet s’est penchée sur ce thème et a publié récemment son enquête réalisée en Algérie et en France «Vacances au bled. La double présence des enfants d’immigrés», aux éditions Raison d’agir, collection Cours et travaux. Aujourd’hui maîtresse de conférences à l’université Paris-Descartes, ses travaux portent sur les rapports sociaux de classe, de sexe et de «race» entre terre d’immigration et pays d’«origine». En se centrant sur l’étude de descendants d’immigrés, elle analyse les formes de recomposition des liens familiaux à distance des dynamiques inversées de reclassement social dans la migration avec ses formes d’assignation nationale ou ethnique.
 

Dans Vacances au bled, elle rappelle que depuis plusieurs décennies, les débats politico-médiatiques et les travaux scientifiques questionnent l’intégration des enfants de l’immigration postcoloniale à la République française. Elle explique que le livre renverse la perspective «en étudiant leur sentiment d’appartenance à la nation algérienne. Que signifie ‘être algérien’ quand on a toujours vécu en France, et que la connaissance de ce pays se réduit à de courts séjours de vacances ?», sachant que les mécanismes mentaux d’auto-identification pluriels restent vivaces
 

A partir d’archives, d’observations et d’entretiens collectés sur les deux rives de la Méditerranée, cette enquête donne à voir comment cette bi-nationalité de fait est vécue.Elle constate que «les vacances au bled font apparaître des appartenances territoriales et familiales plus éclatées que l’opposition binaire ‘‘Français/Algérien’’. Selon les situations, les descendants d’immigrés se jouent des catégorisations ethniques pour définir leur place».
 

Elle écrit que «les récits et expériences de ce sentiment d’appartenance nationale varient selon les parcours de vie des descendantes et descendants d’immigrés, faisant éclater la fausse homogénéité de la ‘‘deuxième génération’’».
Les vacances au bled révèlent les positions sociales divergentes des enfants d’immigrés et de leur famille entre les deux sociétés, soulignant les dynamiques de mobilité sociale en migration.
 

Dans les maisons familiales ou sur les plages, leurs statuts d’enfants d’ouvriers immigrés sont rebattus – tout comme leurs rôles de genre et leurs assignations ethno-raciales.
 

Dans un long article publié sur journals.openedition.org, Éric Marlière estime que l’ouvrage de Jennifer Bidet, tiré de sa thèse, présente «une enquête ethnographique originale sur un sujet complexe, les phénomènes migratoires transnationaux».
 

Pour lui «il s’agit plus précisément d’analyser les pratiques de vacances dans le pays d’origine des parents (le bled), en l’occurrence l’Algérie, pour saisir les formes d’appartenance nationale (sociale, sexuée, familiale ou amicale) et les enjeux de positionnement dans les rapports sociaux que ces séjours mettent en œuvre chez les descendants d’immigrés».
 

Jennifer Bidet précise pour sa part que lors de son enquête, son identification comme «française» et «non musulmane» lui a attribué un statut spécifique sur le plan du genre : «catégorisée comme ‘non-musulmane’, j’étais moins assujettie à certaines règles tacites associées à la préservation de la réputation des jeunes femmes célibataires».
«L’hypothèse centrale du livre repose sur l’idée qu’à la ‘double absence des immigrés’ succède la double présence des enfants d’immigrés», note Eric Marlière.
 

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