Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, était attendu hier en Arabie Saoudite, rapporte l’AFP, première étape d’une tournée dans la région du Golfe qui le mènera par la suite au Qatar et aux Emirats arabes unis. Périple à travers lequel il vise à attirer les investissements et renforcer les liens commerciaux avec son pays, confronté à de grandes difficultés économiques. En cinq ans, la livre turque a perdu plus de 80% de sa valeur par rapport au dollar.
Le chef de l’Etat turc, proche du Qatar, s’est récemment rapproché de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis, avec qui il a longtemps entretenu des relations tendues. «Nous avons fait beaucoup de progrès dans nos relations avec les pays du Golfe», a-t-il déclaré à Istanbul avant son départ pour Djeddah, à l’Ouest saoudien. «Le volume de nos échanges bilatéraux avec les pays du Golfe est passé de 1,6 milliard de dollars à environ 22 milliards de dollars au cours des 20 dernières années», a-t-il observé. Lors des réunions prévues dans le cadre de sa tournée, «nous chercherons les moyens de faire augmenter ce chiffre encore plus», a-t-il indiqué.
A Djeddah, le président Erdogan doit rencontrer le roi Salmane et le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui dirige de facto le richissime royaume pétrolier depuis 2017. Il s’agit de la deuxième visite du chef de l’Etat turc en Arabie Saoudite depuis le rapprochement entre Riyad et Ankara, après une période de tension qui a atteint son paroxysme en 2018 avec l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul. Critique du prince, notamment dans les colonnes du Washington Post, Jamal Khashoggi a été vu pour la dernière fois alors qu’il pénétrait dans les locaux du consulat de son pays à Istanbul, le 2 octobre 2018, pour y effectuer une démarche administrative.
Il n’en est jamais ressorti et son corps n’a jamais été retrouvé. A l’époque, le président turc a accusé les «plus hauts niveaux du gouvernement saoudien» d’avoir commandité l’assassinat. En juillet 2020, le procès de 26 ressortissants saoudiens, dont deux proches du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), accusés par la Turquie d’avoir assassiné Jamal Khashoggi, s’est ouvert à Istanbul, en l’absence des intéressés. Cinq ont été condamnés à la peine capitale, depuis commuées, et huit accusés à des peines de 7 à 20 ans de prison. Mais début avril 2022, la justice turque a finalement décidé de se débarrasser du dossier Khashoggi en le renvoyant aux autorités saoudiennes. Le même mois, Erdogan a effectué une visite en Arabie Saoudite pour apaiser les tensions entre les deux pays.
Aussi, la Turquie a soutenu en 2011 les différents mouvements de révoltes dans les pays arabes en Tunisie, en Egypte, en Libye et la mouvance des Frères musulmans pour lesquels la monarchie saoudienne est hostile.
Après la réconciliation entre les Etats du Golfe en 2021, des rapprochements diplomatiques ont eu lieu dans la région. En parallèle, la rivalité qui opposait les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite à la Turquie et au Qatar et les divisions apparues suite aux révoltes arabes se sont atténuées.
En juin 2021, Erdogan a déclaré dans un entretien à la chaîne de télévision étatique turque TRT que la Turquie souhaite avec l’Egypte et les pays du Golfe un partenariat «gagnant-gagnant». «Nous voulons exploiter au mieux les opportunités de coopération avec l’Egypte et améliorer nos relations selon le principe gagnant-gagnant.» Et d’ajouter : «Cela est valable également pour les pays du Golfe», en référence à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis avec lesquels à l’époque la Turquie entretenait des relations tendues.
Contexte de rapprochement régional
En février, le chef d’Etat turc a effectué sa première visite officielle aux Emirats arabes unis, quelques mois après celle à Ankara du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed Ben Zayed. Avant sa réélection, Erdogan a remercié les pays arabes du Golfe pour leurs récentes contributions financières à la Banque centrale de Turquie. En janvier 2022, les Banques centrales turque et émiratie ont signé un accord financier d’un montant équivalent à 5 milliards de dollars, visant notamment à juguler la dégringolade de la livre turque. Aussi, Ankara a vendu des drones à Abou Dhabi. Riyad pourrait en acquérir, à la suite des récentes discussions sur la coopération en matière de défense entre les deux pays. Le Koweït et Oman ont également manifesté leur intérêt pour les systèmes de défense turcs.
Le réchauffement des relations entre Ankara et des voisins arabes a lieu dans un contexte de rapprochement diplomatique entre des pays du Moyen-Orient, notamment l’Arabie Saoudite et l’Iran. Dans la foulée, le 12 avril, le ministre syrien des Affaires étrangères a effectué une visite surprise en Arabie Saoudite, une première depuis le début les révoltes arabes de 2011. Deux semaines plus tard, la Tunisie nomme un ambassadeur à Damas. Avant cela, peu après le séisme de février, le chef de la diplomatie égyptienne a été dépêché à Damas pour une visite «humanitaire». En mai, la Syrie est réintégrée dans la Ligue arabe.
La Turquie, qui a soutenu des opposants à Damas depuis 2011 et appelé à la chute d’Al Assad, a pris des initiatives pour renouer avec son voisin. Fin décembre 2022, les ministres turc et syrien de la Défense se sont entretenus lors d’une réunion tripartite à Moscou. Il s’agit de la première rencontre officielle à ce niveau entre Ankara et Damas depuis le déclenchement du conflit syrien. Mais Al Assad estime qu’un rapprochement implique «la fin de l’occupation» turque du territoire syrien.
Par ailleurs, en ce qui concerne le conflit russo-occidental sur l’Ukraine, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et la Turquie ont adopté une même vision. Une vision d’équilibre pour ne pas froisser leurs relations avec les Etats-Unis, leurs alliés traditionnels et la Russie. Comme ils entretiennent de bonnes relations économiques avec la Chine.