Un bateau de guerre américain a traversé le détroit de Taïwan hier, a affirmé la marine américaine, effectuant une navigation de routine dans l’étroit bras de mer séparant l’île autonome de la Chine continentale, le jour même où s’ouvrait le Congrès national du peuple à Pékin, rapporte l’AFP.
Le destroyer à missiles guidés de classe Arleigh Burke, USS John Finn, a emprunté «une zone du détroit de Taïwan qui se trouve au-delà des eaux territoriales de tout Etat côtier», a déclaré la Septième flotte dans un communiqué. «Dans ce corridor, toutes les nations jouissent des libertés de navigation et de survol en haute mer, ainsi que d’autres usages internationalement légaux de la mer, liés à ces libertés», a-t-elle souligné.
Pékin, qui considère Taïwan comme faisant partie intégrante de son territoire, a intensifié la pression militaire et politique sur Taipei ces dernières années et réagit avec colère lorsque des navires de guerre étrangers exercent leur «liberté de navigation» dans la zone. De fait, les navires américains transitent depuis de nombreuses années via le détroit de Taïwan, entre la mer de Chine méridionale et la mer de Chine orientale et ont même multiplié les traversées afin de renforcer le fait que ces deux zones sont des voies navigables internationales.
Le ministère de la Défense taïwanais a déclaré avoir suivi l’activité dans «la mer et l’espace aérien environnants» pendant la traversée du navire de guerre américain, ajoutant que la «situation était normale». Pékin a dénoncé le «battage médiatique» suscité par le passage du navire de guerre américain dans le détroit, affirmant que sa marine et son armée de l’air l’ont suivi «tout du long». «Les troupes sur place restent en état d’alerte permanente pour répondre à toutes les menaces et provocations à tout moment», a déclaré le colonel Shi Yi, porte-parole de l’armée chinoise, dans un communiqué.
Risque d’«escalade»
Ce même jour, les garde-côtes philippins ont accusé les forces chinoises d’avoir provoqué des collisions avec deux de leurs bateaux et d’avoir blessé quatre membres de ses personnels avec des canons à eau, en marge d’une mission de ravitaillement en mer de Chine méridionale. Les accrochages se sont produits dans le secteur du Second Thomas Shoal des îles Spratleys, revendiquées par les deux pays et théâtre régulier d’incidents.
Les Philippines y maintiennent des troupes en permanence. Le ministre des Affaires étrangères philippin a indiqué avoir convoqué le représentant chinois à Manille et lui avoir signifié qu’il juge «inacceptables» ces «actions agressives». Les garde-côtes chinois ont souligné avoir «pris des mesures de contrôle» contre des «navires philippins après leur intrusion dans les eaux proches du récif Ren’ai dans les îles Nansha», selon la toponymie chinoise des lieux, sans fournir davantage de détails. La flottille philippine, constituée de deux bateaux ravitailleurs et de deux bateaux d’escorte, a été prise à partie au moment de s’approcher du Second Thomas Shoal, où des unités philippines sont stationnées à bord d’un navire échoué, le BRP Sierra Madre.
Un des bateaux ravitailleurs, le Unaizah May 4, a été ciblé par des jets d’eau simultanés de deux navires chinois, qui ont brisé les vitres de son poste de commandement et fait quatre blessés, selon Manille.
Ce bateau a également été victime d’une «collision mineure», selon cette source, et a dû rebrousser chemin sans avoir pu débarquer sa cargaison et les militaires destinés à relayer les troupes stationnées. L’autre bateau ravitailleur, le Unaizah May 1, a lui pu débarquer normalement son chargement sur le BRP Sierra Madre. Un navire d’escorte philippin a également été victime d’une «collision mineure» qui a «entraîné des dommages structurels mineurs», selon les autorités philippines. Les navires chinois ont «harcelé, bloqué, déployé des canons à eau et exécuté des manœuvres dangereuses dans une nouvelle tentative d’entraver ou de gêner illégalement une mission de réapprovisionnement et de rotation de routine», a accusé le gouvernement philippin.
Le porte-parole des garde-côtes chinois, Gan Yu, a de son côté accusé les forces philippines d’avoir «volontairement» heurté un bateau chinois, lui causant une «éraflure». Pékin a exprimé de «vives protestations», a ajouté la porte-parole de la diplomatie chinoise, Mao Ning, selon qui les navires philippins «tentaient de transporter des fournitures et des matériaux de construction» pour consolider le BRP Sierra Madre. L’ambassadeur américain à Manille, MaryKay Carlson, a, lui, accusé la Chine de procéder à des «manœuvres dangereuses» qui «mettent des vies en danger». Le représentant de l’UE, Luc Veron, s’est de son côté dit «troublé».
Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, y compris des eaux et des îles proches des côtes de plusieurs pays voisins, en dépit d’une décision de la justice internationale en 2016. Les Philippines, Brunei, la Malaisie, Taïwan et le Vietnam revendiquent également plusieurs récifs et îlots dans cette mer, dont certaines zones pourraient receler de riches réserves de pétrole. En décembre, des navires chinois avaient déjà tiré au canon à eau sur des bateaux philippins.
Ce nouvel incident intervient au lendemain d’une intervention du président philippin, Ferdinand Marcos, qui a de nouveau affiché sa fermeté face à la Chine. «Nous ne céderons jamais ne serait-ce qu’un centimètre carré de notre territoire», a souligné lundi le chef d’Etat en marge d’un sommet de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) et de l’Australie, à Melbourne. Pékin fait peser la menace d’ «une nouvelle escalade», a estimé Renato de Castro, professeur de sciences politiques à l’université De La Salle de Manille.
Budget militaire augmenté
Les relations entre Manille et Pékin se sont détériorées depuis l’élection en 2022 du président Marcos, qui a décidé de renforcer les liens avec les Etats-Unis, alliés traditionnels du pays, et de s’opposer aux actions de Pékin en mer de Chine méridionale. Une approche qui a contrasté avec celle de l’ancien président Rodrigo Duterte, qui avait mis de côté les différends maritimes avec Pékin en échange de promesses d’investissements.
Par ailleurs, la Chine a annoncé hier un budget militaire en hausse de 7,2% pour 2024. Identique à celui de 2023, ce taux a été confirmé par le ministère des Finances durant la session annuelle du Parlement. La Chine prévoit de dépenser 1665,5 milliards de yuans (231,4 milliards de dollars) pour sa défense – ce qui reste plus de trois fois inférieur aux Etats-Unis.
’Empire du Milieu maintient une «croissance raisonnable» de son budget militaire pour «sauvegarder sa souveraineté, sa sécurité et ses intérêts de développement», a justifié lundi Lou Qinjian, le porte-parole de la session parlementaire. Il augmente depuis plusieurs décennies, globalement au diapason de la croissance économique.
Le pays consacre 1,6% de son PIB à son armée, bien moins que les Etats-Unis (3,5%) ou la Russie (4,1%), selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). L’essor militaire chinois est toutefois vu avec suspicion par les Etats-Unis, le Japon ou les Philippines, pays avec lequel la Chine se dispute le contrôle d’îlots en mer de Chine méridionale.
Il suscite également des craintes à Taïwan, île de 23 millions d’habitants que la Chine espère «réunifier» avec son territoire, ou encore en Inde, avec laquelle des escarmouches éclatent parfois le long de leur frontière contestée dans l’Himalaya.
De son côté, la Chine dit s’inquiéter des alliances militaires nouées par ses rivaux régionaux avec les Etats-Unis ou encore de l’Otan, qui la présente désormais comme un «défi» pour les «intérêts» de ses membres. Le chef de ladite Alliance, Jens Stoltenberg, a encore déclaré en janvier que la Chine «se rapproche de nous», car «nous la voyons en Afrique, nous la voyons dans l’Arctique, nous la voyons essayer de contrôler les infrastructures critiques».
Selon le Sipri, Pékin compte 410 têtes nucléaires en 2023 (+60 en un an), loin derrière Washington (3708) et Moscou (4489). D’après cette même source, les Etats-Unis sont le pays ayant les dépenses militaires les plus élevées, avec 877 milliards de dollars en 2022, selon les derniers chiffres disponibles.
Suivent la Chine (292), la Russie (86,4), l’Inde (81,4), l’Arabie Saoudite (75), le Royaume-Uni (68,5), l’Allemagne (55,8) et la France (53,6).