En Colombie, menaces sur les traditionnels jeux taurins

15/02/2023 mis à jour: 15:17
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Le taureau charge dans tous   les sens semant le chaos parmi des centaines de toreros amateurs, sous les   acclamations des spectateurs enfiévrés. Chaque début d’année, les «corralejas»,   jeu taurin où les matadors amateurs sont autorisés à descendre dans l’arène,   enflamment les Caraïbes colombiennes. Un combat brutal, souvent ensanglanté, et profondément ancré dans la   culture colombienne, mais dans le collimateur des parlementaires écologistes et   de la nouvelle majorité de gauche. Le héros du jour s’appelle Eliecer Molina. Ce grand gaillard à chapeau de   paille est acclamé dans les gradins, où il vient récupérer quelques pesos pour   ses exploits. Un pansement de fortune lui couvre l’oeil gauche, sérieusement   blessé par une entaille. Ce brave torero de 37 ans vit habituellement de «petits boulots»,   explique-t-il. «J’ai mal calculé» la distance, commente-t-il à propos de sa   blessure.  Les corralejas sont un héritage direct de la colonisation espagnole. Mais   en beaucoup plus populaires et informelles que les classiques corridas   organisées dans les grandes villes comme Cali ou Medellin. Le taureau n’y meurt pas, alors que le public est invité à venir se mesurer   à la bête dans l’arène. L’AFP a assisté à l’un de ces spectacles taurins à Guaranda, dans le   département de Sucre (nord). Dans un amphithéâtre monté pour l’occasion, 58   taureaux ont été exhibés, prêtés par de riches éleveurs, pour le plus grand   plaisir des habitants de cette ville de 15.600 habitants. Par plaisir et «par nécessité, j’ai eu cette vie», raconte Ricardo   Rodriguez, un ouvrier encorné ce soir-là à la jambe droite, avec 36 points de   suture en prime. Il est un des «banderilleros» courant derrière le taureau pour lui planter des tiges d’acier colorées sur le dos. D’autres s’amusent à   combattre le bovin avec des bonnets ou des parasols. La construction de l’arène a duré 12 jours. Elle sera démantelée et   reconstruite dans une autre ville. Et ainsi de suite, comme un cirque Pinder à   la colombienne. Un tir de poudre à canon annonce l’entrée des taureaux. Un par un, et par   roulement d’une dizaine de minutes, ils pénètrent furieusement dans l’arène,   fendent la foule paniquée. La plupart des toréadors amateurs décampent et déguerpissent dans les   gradins. Quelques-uns affrontent sans crainte les bêtes aux cornes menaçantes.   Des cavaliers viennent également les piquer.  Dans les tribunes, les vendeurs de nourriture sont partout. Des spectateurs   sont allongés dans des hamacs. L’alcool coule à flots, au son des fanfares. Les corralejas de Guaranda se poursuivront pendant près d’une semaine, sous   le patronage des politiciens locaux qui paient pour avoir leur nom sur l’arène   de près de 3000 personnes.  En Colombie comme ailleurs, lutte contre la souffrance animale oblige, le   débat fait rage ces dernières années sur l’interdiction des corridas et autres   «spectacles cruels d’animaux». L’arrivée au pouvoir du président de gauche Gustavo Petro, anti-corrida   assumé, pourrait bien accélérer la prohibition. En juin dernier, il avait appelé à «ne plus autoriser de spectacles   entrainant la mort d’animaux ou de personnes», après la mort de six personnes   dans l’effondrement d’une tribune d’une arène de corraleja. Un projet de loi, porté par les écologistes, est actuellement à l’examen au   Congrès. Très populaires, les corralejas sont un sujet plus sensible que les   classiques corridas. A l’origine, le projet de loi visait la tauromachie, les combats de coqs et   les corralejas. Mais ces dernières ont été écartées par certains parlementaires   qui considèrent cette tradition comme trop profondément ancrée dans la culture   du pays. Pour la sénatrice animaliste Andrea Padilla, à l’origine de ce projet, les   corralejas ne sont que de la «violence exercée sur des êtres sensibles», une   tradition «en train de tomber en désuétude», assure-t-elle à l’AFP, fustigeant   des nouveaux «jeux du cirque» romains «pour le divertissement de quelques   élites». La sénatrice entend désormais que l’utilisation d’instruments tranchants,   l’entrée des mineurs et la vente d’alcool soient réglementées dans les   corralejas. Il n’existe pas de chiffres officiels des décès ou de blessés lors de ces   fêtes, par les taureaux ou dans les fréquents effondrements de gradins. En   1980, près de 500 personnes sont mortes lors de l’effondrement d’une arène.  En Amérique Latine, la tauromachie est aujourd’hui interdite au Brésil, en   Argentine, en Uruguay, au Chili et au Guatemala. Le Costa Rica a ses   corralejas, mais au cours desquelles les taureaux ne sont pas blessés. A Guaranda, on s’inquiète bien sûr de ces initiatives qui pourrait mettre   fin à la fête. Pour Dionisio Suarez, l’un des organisateurs, les corralejas   sont comme «une tradition» qui «se sent, qui se vit», et qui «va jusqu’au sang». Si l’événement le plus attendu de l’année est interdit, «les gens mourront   de faim», assure-t-il en outre, alors que l’économie de la région repose aussi   sur le bétail. Pedro Chaves, 57 ans, s’amuse avec ses deux petits-enfants, âgés de huit et   deux ans. «Nous devons leur inculquer la même culture que la nôtre (...) cela   se transmet de génération en génération». «Nous devons aussi profiter des   derniers moments» des corralejas, prédit-il.

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