Emeutes en Nouvelle-Calédonie : Un élargissement du corps électoral met le feu aux poudres

18/05/2024 mis à jour: 13:26
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C'est une réforme constitutionnelle qui a suscité la colère des habitants de la Nouvelle-Calédonie

Les émeutes en Nouvelle-Calédonie ont conduit le gouvernement à prendre des mesures fermes, comme si ce territoire d’outre-mer, colonisé en 1853, était uniquement un territoire français, identique aux autres. 

D’ailleurs, sans relation aucune, alors que le soulèvement s’aggravait à Nouméa, un séminaire du comité de décolonisation de l’ONU se tenait à Caracas (Venezuela), en présence du reste d’une délégation algérienne. L’avenir des dix-sept derniers territoires à décoloniser sur la planète (dont la Nouvelle-Calédonie sous administration française) a été abordé du 14 au 16 mai dans le cadre de la quatrième Décennie internationale de l’élimination du colonialisme (2021-2030).
 

Pour le pouvoir français, il suffirait de réponses autoritaires pour ramener le calme. Après les 27  000 policiers et gendarmes (et des militaires pour protéger les lieux sensibles tels que l’aéroport), après l’état d’urgence proclamé mercredi, le ministre de la Justice a ainsi ajouté hier à l’édifice répressif une circulaire demandant «une réponse pénale empreinte de la plus grande fermeté à l’encontre des auteurs des exactions perpétrées». «Les faits d’une extrême gravité dirigés contre les personnes et les biens commis en Nouvelle-Calédonie constituent des atteintes graves à l’ordre public.» 


Les mineurs de plus de 13 ans sont particulièrement visés dans cet appel… Est-ce que les milices lourdement armées d’autodéfense des Caldoches seront aussi concernées ? En quelques jours, la situation explosive sur l’archipel du Pacifique a rappelé d’autres faits de violence subis en France, comme les émeutes de juin 2023, ou de façon récurrente dans les départements français d’outre-mer, notamment à La Réunion ou encore à Mayotte…
 

UNE DÉRIVE SANGLANTE ET, POUR FINIR, LE PLUS LÂCHE DES ABANDONS

Avec la hantise du «maintien de l’ordre», une notion qui rappelle les débuts de la Guerre d’Algérie il y a soixante-dix ans. Le juriste Antoine Leca y fait référence dans une contribution au Monde : «Il faut que la République prenne ses responsabilités et ne réédite pas la tragédie algérienne avec une fermeté de façade, des promesses non tenues, une dérive sanglante et, pour finir, le plus lâche des abandons. La République doit la vérité aux habitants de ce pays, qui ne doivent pas ignorer que ‘‘les colonies sont faites pour être perdues’’, comme disait Henry de Montherlant [1895-1972].»
 

D’ailleurs, très vite Daniel Goa, le chef du principal parti indépendantiste, a exhorté le gouvernement à «rapatrier ses cowboys policiers et militaires». « Ce sont simplement de jeunes adolescents qui veulent crier leur soif de liberté, de dignité et qui veulent une égalité des chances». Et, depuis la France, Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise (LFI) : «La solution ce n'est pas les renforts de troupes. C'est l'abandon du projet incendiaire et le retour à la patience du dialogue.» Olivier Faure, patron des socialistes, estime qu’«après avoir mis le feu aux poudres, les mêmes nous expliquent qu’il faudrait rétablir l’ordre. Mais la réalité, c’est que sur ce territoire, rien n’est possible sans dialogue».


DE PROFONDES INÉGALITÉS SOCIALES
 

Un dialogue fondé sur des faits réalistes qui démontrent le déficit d’équilibre social et économique dans un contexte d’exacerbation identitaire et de rejet de certains populations privilégiées, un rejet qui se manifeste à leur égard par la violence destructrice et des propos racistes, comme des insultes 
envers les blancs ou des expressions du genre «ici c’est Kanaky, rentre chez toi». 

Il faut dire que, selon une compilation des données publiées par Le Monde sur son site internet, la vie est beaucoup plus chère par rapport à la «métropole» française et donc plus chère encore pour les laissés-pour-compte. Près de la moitié de la population kanak n’a pas dépassé le brevet des collèges, alors que plus de la moitié dans la population  européenne atteint le niveau du bac +2 et plus. Et question chômage, les kanak en paient le prix fort : plus de 15% contre 5% pour les Européens. 

Aujourd’hui, les Kanak tendent à devenir minoritaires à 41% de la population après l’arrivée des néo-calédoniens ces dernières années selon les derniers chiffres connus de 2019. La population néo-calédonienne d’origine européenne, ou autres (océaniennes, asiatiques) devient prépondérante. Ce qui inquiète les autochtones.
 

 

DÉBLOQUER LE CORPS ÉLECTORAL RÉDUIRAIT LA PLACE DE LA POPULATION NATIVE

Ainsi en Nouvelle-Calédonie, comment résoudre la crise sans poursuivre les engagements pris en 1988 de dépasser l’emprise historique de la présence coloniale qui remonte à 1853 ? Pour la chercheuse au CNRS Isabelle Merle : «Il faut rappeler l’histoire singulière de ce territoire au sein de l’Empire colonial français (…) une colonie de peuplement où devaient s’installer des migrants français. L’histoire coloniale, nous devons l’assumer pleinement.» 

Dans les années 1980, les affrontements avait été déclenchés entre les Kanak et les Caldoches, descendants des premiers colons français. Le conflit s’estompe avec les accords de Matignon de 1988 qui scellent la réconciliation avec un rééquilibrage économique et un partage du pouvoir politique, avec comme cap l’autonomie progressive du pouvoir local. Trois référendums sur l’indépendance étaient programmés. Ils ont eu lieu en 2018, 2020 et 2021. Non à 56% puis 53% et enfin en 2021 (en plein Covid) à 96%, vote que les indépendantistes appelaient à boycotter, d’où le résultat considéré par eux comme inacceptable.
 

La crise était donc toujours ouverte, alors que  le gouvernement Macron, accroché au bon score de 2021, a décidé en cette année 2024 de dégeler le corps électoral par une révision constitutionnelle l’élargissant pour les élections provinciales à tous les natifs calédoniens résidents depuis au moins dix ans. C’est ce qui, entre autres raisons sociales, économiques et identitaires explicitées plus haut, a mis le feu à Nouméa. Pour Isabelle Merle, cela «réveille la peur d’un peuple colonisé d’être envahi, d’être mis en minorité, de disparaître». Vendredi, dans Libération, une Kanak résume cet état d’esprit. «Avec le dégel, ce sont les blancs, les loyalistes, qui vont décider de ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie. Nous, on veut bien vivre ensemble, mais on ne veut pas être minoritaires dans notre propre pays.»  En tout cas pas minoritaire dans les urnes. : 

Rapidement après le début des émeutes, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLKS) a demandé l’«apaisement» et condamné le vote mardi à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnel, déjà entériné par le Sénat, «afin de préserver les conditions d’obtention d’un accord politique global entre les responsables calédoniens et l’Etat français».


ARRÊTER DE VOIR DES INGÉRENCES PARTOUT  

Mais la situation en Nouvelle-Calédonie n’est plus vraiment franco-française. Déjà le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence, ce qui a fait réagir Mathilde Panot, cheffe de file des députés LFI, trouvant «extrêmement suspect de penser que l’Azerbaïdjan pourrait mettre 10% du peuple kanak dans la rue». «Je crois qu’il faut arrêter de voir des ingérences partout et traiter les problèmes politiquement.»Par ailleurs, les îles du Pacifique Sud ont internationalisé l’affaire, selon Le Monde  «ces événements auraient pu être évités si le gouvernement français avait écouté et n’avait pas imposé le projet visant (…) à modifier l’électorat des citoyens et à changer la répartition des sièges au Congrès», a regretté, mercredi,  le Groupe Fer de lance mélanésien (GFLM), une alliance régionale regroupant la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les Fidji, les Salomon et le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). 

Fondée en 1988 pour soutenir la volonté de décolonisation des peuples mélanésiens, elle a appelé Paris à accepter «la proposition du FLNKS d’établir une mission (…) de médiation dirigée par une personnalité de haut rang mutuellement agréée». Face à cela, autour du président Emmanuel Macron, du Premier ministre, Gabriel Attal, et du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le gouvernement français cherchait hier encore une voie politique pour desserrer l’étau et sortir de cette grave crise. 

 

France 
De notre correspondant  Walid Mebarek

 

 

 

 

Des quartiers de Nouméa hors de contrôle  

Situation plus calme» : les autorités françaises se sont réjouies hier d'un recul des violences en Nouvelle-Calédonie désormais sous état d'urgence, même si certains quartiers de Nouméa restaient hors de contrôle, au cinquième jour des émeutes contre une réforme électorale dans cet archipel français du Pacifique sud. «L'état d'urgence a permis, pour la première fois depuis lundi, de retrouver une situation plus calme et apaisée dans le grand Nouméa», la capitale de l'archipel, «malgré les incendies d'une école et de deux entreprises», s'est félicité le représentant de l'Etat dans ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle. Depuis lundi, ces violences, les plus graves survenues en Nouvelle-Calédonie depuis la fin des années 1980, ont fait 5 morts, dont deux gendarmes, et des centaines de blessés. La crise a débuté par une mobilisation indépendantiste contre une réforme constitutionnelle du collège électoral, rejetée par les représentants du peuple autochtone kanak.   Le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, a concédé que trois quartiers défavorisés de la plus grande agglomération du territoire, en majorité peuplés de Kanak, restaient aux mains de «centaines d'émeutiers».   Les émeutes, qui ont essentiellement touché l'agglomération de Nouméa, ont déjà causé pour 200 millions d'euros de dégâts, selon des estimations locales. La réforme constitutionnelle, qui a mis le feu aux poudres, a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.  
Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant.  Le texte voté vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral et marginaliser «encore plus le peuple autochtone kanak».R.I.
 

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