Les élections législatives en Inde débutent vendredi pour une durée de six semaines, la victoire apparemment inéluctable du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi suscitant des inquiétudes pour l’état de santé de la plus grande démocratie du monde. M. Modi est encore très populaire après deux mandats, au cours desquels l’Inde a accru son influence diplomatique et son poids économique.
Selon une enquête publiée l’an dernier, il bénéficiait d’une opinion favorable de 80% des Indiens après presque une décennie au pouvoir. Il a déjà donné au parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) deux victoires écrasantes en 2014 et 2019 en jouant sur la fibre religieuse de l’électorat hindou. Cette année, il a inauguré dans la ville d’Ayodhya un grand temple dédié à la divinité Ram, bâti sur le site d’une mosquée vieille de plusieurs siècles détruite par des fanatiques hindous.
Cet événement, très attendu par ses militants, a bénéficié d’une ample couverture médiatique et de festivités publiques dans toute l’Inde. «La nation est en train de créer la genèse d’une histoire nouvelle», a-t-il clamé aux milliers de personnes rassemblées pour la cérémonie, parmi lesquelles des célébrités de Bollywood et des stars du cricket. Les analystes politiques l’ont d’ores et déjà donné vainqueur face à une coalition de partis d’opposition qui n’a pas encore nommé son candidat pour le poste de Premier ministre. Plusieurs enquêtes criminelles ouvertes contre ses opposants ont fait réagir le Haut Commissaire des droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, et des organisations de défense des droits humains, qui estiment que les élections sont biaisées. «Je n’ai pas besoin que les Nations unies me disent que nos élections doivent être libres et équitables», a rétorqué le ministre des Affaires étrangères S. Jaishankar devant la presse pendant sa campagne ce mois-ci. «Le peuple indien y veillera, a-t-il ajouté. Pas d’inquiétude à cet égard.»
Arrestations et gel des comptes
Le Congrès, principal parti d’opposition qui a dirigé le pays presque sans interruption pendant des décennies après l’indépendance de l’Inde, n’est plus que l’ombre de lui-même et ne gouverne plus que dans trois des 28 Etats du pays. Ses dirigeants ont constitué une coalition avec plus d’une vingtaine de partis régionaux pour affronter le BJP et ses rouages électoraux bien huilés et généreusement financés. Mais le bloc est en proie à des différends sur les accords de partage des sièges, et a subi la défection vers le gouvernement d’un de ses dirigeants. La coalition accuse le gouvernement de M. Modi d’instrumentaliser la justice pour neutraliser certains dirigeants de l’opposition, visés par des enquêtes criminelles, dont le ministre en chef de Delhi Arvind Kejriwal. Arrêté en mars, ce dernier est actuellement en détention, son parti ayant été accusé d’avoir perçu des pots-de-vin en échange de licences d’alcool accordées à des entreprises privées. Le leader du Congrès Rahul Gandhi, 53 ans, dont le père, la grand-mère et l’arrière-grand-père ont tous été Premier ministre, a été brièvement écarté du Parlement l’an dernier après avoir été reconnu coupable de diffamation. Les comptes bancaires de son parti sont gelés depuis février par le fisc indien, à la suite d’un différend sur des déclarations de revenu datant d’il y a cinq ans. «Nous n’avons pas d’argent pour faire campagne, nous ne pouvons pas soutenir nos candidats», a prévenu Rahul Gandhi en mars. «Notre faculté de livrer la bataille électorale a été endommagée.»
«Mépris de toute dissidence»
Rahul Gandhi blâme le gouvernement pour le recul démocratique et le nationalisme hindou qui inquiète la minorité musulmane du pays, forte de 220 millions de personnes dans ce pays de plus de 1,4 milliard d’habitants. Sous les mandats de M. Modi, l’Inde est devenue la cinquième économie mondiale devant le Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale. Les défenseurs des droits affirment que la liberté de la presse est de plus en plus attaquée. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Modi en 2014, l’Inde a perdu 21 places dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, se situant au 161e rang sur 180 pays. Son troisième mandat, s’il le remporte, «sera encore plus caractérisé par le mépris de toute dissidence», a prédit à l’AFP le politologue Suhas Palshikar.
Au total, 970 millions d’Indiens seront appelés à élire les 543 membres de la chambre basse, soit plus que la population totale des Etats-Unis, de l’Union européenne et de la Russie réunis. Le vote se déroulera en sept étapes entre le 19 avril et le 1er juin, avec plus d’un million de bureaux de vote à travers le pays. Les bulletins de vote de tout le pays seront dépouillés le 4 juin. Les résultats sont généralement annoncés le même jour.