Son nom est sur toutes les lèvres, chanté, scandé, son visage sur les t-shirts et les casquettes. Pourtant, au premier grand meeting de sa coalition dimanche à Dakar, le candidat d’opposition Bassirou Diomaye Faye n’occupe pas le-devant de la scène : il est toujours derrière les barreaux. Qu’importe, une foule compacte de milliers de sympathisants rempli un terrain de football sablonneux du quartier Parcelles assainies, dans le nord de la capitale sénégalaise.
Quelques-uns ont trouvé un point de vue avantageux en grimpant sur la barre transversale des buts. D’autres suivent le meeting depuis les toits terrasse des immeubles alentours. «Tout le monde est venu pour montrer notre force, montrer que nous sommes majoritaires dans le pays», explique posément Abdourahmane Sankhare, un professeur de sciences de 30 ans. Bassirou Diomaye Faye, candidat de l’opposition antisystème, est en prison depuis presque un an pour «outrage à magistrat». Secrétaire général et membre fondateur du parti dissous Pastef, il est l’un des 19 candidats à la présidentielle désormais fixée au 24 mars après avoir été ajournée.
Les spéculations vont bon train sur une prochaine sortie de prison à la faveur d’une loi d’amnistie récemment votée ou d’une remise en liberté provisoire, mais la campagne a débuté sans lui. Ses soutiens rencontrés dimanche le répètent à l’envi: l’important, c’est le projet et pas le candidat. Le fait qu’il soit encore détenu, «ça nous motive encore plus», assure Ramatoulaye Diédhiou, une assistante de 28 ans. «De toute façon, s’il est élu, il ne va pas gouverner en prison!» «Notre rêve le plus fou, abonde Abdourahmane, c’est de le voir sortir de prison pour aller directement à la présidence.»
Autre grand absent incontournable des rassemblements de la coalition : Ousmane Sonko, arrivé en troisième position à la présidentielle de 2019, également en prison, et dont la candidature a été invalidée. Il a appelé à voter pour son camarade de lutte Diomaye Faye, inspecteur des impôts et domaines comme lui. Son visage figure sur pratiquement tous les supports de la coalition, en vis-à-vis de celui du candidat officiel, avec le slogan «Ousmane mooy Diomaye» (Ousmane, c’est Diomaye en ouolof). «Quand Ousmane dit que tout ce qui appartient au peuple doit revenir au peuple, ça me parle. Qu’il y aura plus de justice, ça me parle aussi», explique Ramatoulaye.
«Pas assez de dix ans»
Samedi, les cadres de la coalition ont présenté leur programme à la presse, avec plusieurs mesures fortes : la disparition du poste de Premier ministre et la création d’un poste de vice-président, la création à terme d’une monnaie nationale en lieu et place du Franc CFA, et la renégociation des contrats sur les hydrocarbures dont la production doit débuter en 2024. «Notre programme est long et riche.
On n’aura pas assez de dix ans pour tout mettre en oeuvre», affirme Fary Yague, étudiante de 26 ans en cinquième année de transport logistique. «Il nous faudra 50 ans au pouvoir», dit-elle en souriant. La plupart des supporters rencontrés se disent persuadés d’une victoire dès le premier tour. D’après les analystes politiques, l’élection s’annonce comme très indécise et personne n’est assuré d’être au second tour. Le candidat du camp présidentiel Amadou Ba, qui revendique le bilan des 12 années au pouvoir du président Macky Sall, devait faire un déplacement en périphérie de Dakar dimanche, avant son «meeting d’ouverture de campagne» lundi à Mbacké, à 200 km à l’est de la capitale. L’ancien maire de Dakar Khalifa Sall et l’ex-Premier ministre Idrissa Seck, également cités comme des prétendants, ont eux aussi commencé à aller à la rencontre des électeurs.
Dimanche soir, des clips de campagne des candidats ont commencé à être diffusés par la télévision publique. Sauf celui du camp Diomaye Faye, qui avait été enregistré par son directeur de campagne : le conseil de régulation des médias a justifié cette décision en arguant que ce temps d’antenne est réservé aux seuls candidats.
Le Sénégal entre en campagne présidentielle
Le Sénégal est entré samedi en campagne, un sprint de deux semaines pour sortir d’un mois de crise et choisir son cinquième président, lors d’une élection qui s’annonce plus que jamais indécise. Les Sénégalais devaient voter le 25 février. Le président Macky Sall a cependant reporté au 3 février le scrutin, juste avant l’ouverture de la campagne. L’un des principaux candidats au scrutin et ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, a lancé sa campagne samedi après-midi avec une tournée de plusieurs quartiers de la capitale. Quelques centaines de sympathisants, qui avaient patiemment attendu son arrivée dans une ambiance festive, aux sons de percussionnistes et de chansons diffusées à plein volume par de grosses enceintes, l’ont accueilli dans un joyeux vacarme, sous les applaudissements. Avec le début de la campagne, les Sénégalais vont pouvoir se rassembler librement sur tout le territoire autour des 18 hommes et une femme qui, tous, briguent un premier mandat. Les débats et les messages abonderont dans les médias, sous le contrôle d’organes veillant à l’égalité des temps de parole. La campagne est réduite par la force des choses de trois à deux semaines.