Tout a commencé lors d’une réunion entre Bachir Chihani (1), deuxième responsable de la région des Aurès et un groupe de moudjahidine installé à Djebel Labiadh, près de Tebessa. Chihani informera les moudjahidine que le gouvernement français ne voulait pas que les événements insurrectionnels touchent le Sahara. «Il faut vraiment des volontaires qui joindront la région de Oued Souf afin d’y enclencher une bataille. Ainsi, nous allons démentir les dires des Français qui soutiennent que le Sud algérien est resté indemne de tous les mouvements de révolte», lancera Chihani à l’adresse des moudjahidine présents. Le premier à lever la main fut Hama Lakhdar (2), un jeune nomade de la région d’El Oued…
Badreddine K. (*) Journaliste
Le mois d’août de l’année 1955 a été riche en événements de révolte, de mouvements d’insurrection contre le colonisateur français. Ce mois historique, durant lequel des centaines de batailles ont été livrées dans toutes les wilayas par des moudjahidine braves et intrépides, vient une année après le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954.
Toutes les contrées du pays étaient au rendez-vous de la sédition. Le Sud était de la partie. La région de Oued Souf avait déjà pris conscience que la lutte armée contre l’occupant français était l’ultime solution. Le Souf est, durant ce mémorable mois, entré de plain-pied dans la Révolution algérienne.
Tout a commencé lors d’une réunion entre Bachir Chihani (1), deuxième responsable de la région des Aurès et un groupe de moudjahidine installés à Djebel Labiadh, près de Tebessa. Chihani informera les moudjahidine que le gouvernement français ne voulait pas que les événements insurrectionnels touchent le Sahara. «Il faut vraiment des volontaires qui joindront la région de Oued Souf afin d’y enclencher une bataille.
Ainsi, nous allons démentir les dires des Français qui soutiennent que le Sud algérien est resté indemne de tous les mouvements de révolte», lancera Chihani à l’adresse des moudjahidine présents. Le premier à lever la main fut Hama Lakhdar (2), un jeune nomade d’El Oued. Il fut suivi par 35 moudjahidine.
Le groupe a entamé son départ à destination d’El Oued, le 2 août 1955. Pour arriver au lieu où ils devaient y aller, ils ont marché pendant 6 jours sur une distance de 300 km. Ils marchaient la nuit et se reposaient la journée. Car, l’aviation française rodait autour de la frontière tunisienne. Ils arrivèrent à un endroit appelé Ogla Khadra et s’y rassemblèrent le soir.
Une caravane qui ramassait les crottes de chameaux remarqua sur le sable des empreintes de chaussures en plastique. Arrivés dans la première localité, Guemmar, les membres de ce convoi racontèrent aux habitants ce qu’ils avaient vu sur leur chemin, à savoir les empreintes de chaussures. Autrement dit, des hommes ont parcouru cet itinéraire.
Ce qui n’était visiblement pas coutumier dans la contrée. Ces déclarations furent aussitôt récoltées puis transmises aux autorités coloniales qui ne tardèrent pas à envoyer des patrouilles sur les lieux indiqués. Entre-temps, les moudjahidine s’installèrent dans une palmeraie, dénommée Hood Chika, qui appartenait à un colon français. Sous un soleil de plomb des journées caniculaires d’un mois d’août, la température avoisinait les 50°, la première patrouille de l’armée française fut attaquée par les moudjahidine.
La première victime fut l’adjudant français qui commandait la patrouille. Quand ils ont vu que leur chef a été abattu, les soldats prirent la fuite. Un des moudjahidine prit la casquette du militaire français assassiné et la donna à Hama Lakhdar.
Une autre patrouille, composée de 14 soldats, à leur tête un sergent martiniquais nommé Fourgier, qui vadrouillait aux environs, n’était pas au courant de l’accrochage qui s’était produit auparavant. A cause des fortes et suffocantes chaleurs qui prévalaient, ils ont fini par se mettre à l’ombre dans une bicoque ouverte. Ils désignèrent un de leurs acolytes pour aller chercher de l’eau où se trouvait une petite palmeraie.
Les combattants algériens se positionnèrent non loin de cette baraque et Hama Lakhdar, faisait signe avec sa casquette. Les militaires français les prirent pour leurs compatriotes. Dès que les moudjahidine s’approchèrent davantage, les Français crièrent : «Non ce ne sont pas des nôtres.» Mais c’était trop tard pour eux. Le groupe de Hama Lakhdar les ont déjà braqués avec leurs armes en les sommant de lever haut les mains.
Hama Lakhdar : acte de bravoure et de défense de la patrie
Le Martiniquais prit sa mitraillette pour tirer, il fut aussitôt criblé de balles et mourut sur place. Les autres éléments de cette patrouille furent ligotés et tous égorgés. Une fois cet acte de bravoure et de défense de la patrie achevé, les vaillants guerriers regagnèrent la palmeraie Hood Chika.
L’armée française, ayant eu vent de ce qui s’était passé dans cette localité, déclencha illico presto une opération de ratissage dans toute la région. Les officiers ont vite compris que les moudjahidine se sont retranchés dans la palmeraie à la forte densité de palmiers, soit plus des 400 arbres.
Un accrochage fut aussitôt déclenché opposant pas moins de 2500 militaires français à une quarantaine de moudjahidine, tous des nomades. Le colonisateur a fait appel à l’aviation, venue de Aïn Arnat, près de Sétif. Des bombes furent lancées sur la palmeraie, mais la majorité d’entre elles n’explosa guère car le sable n’était pas assez dur, tandis que les projectiles, de 100 kg chacun, s’étaient avérés très lourds.
Et cet échec cuisant enregistré par cette méthode de bombardement à l’aide des avions avait contraint l’armée française à changer son fusil d’épaule et, sans jeu de mot aucun…, elle recourut à l’usage des armes à feu. Les 8 et 9 août de l’année 1955, les héroïques révolutionnaires soufis livrèrent une bataille acharnée contre l’ennemi français.
Hama Lakhdar a été blessé lors de cet affrontement par des balles de mitrailleuse d’un avion qui l’a touché à la jambe qui giclait du sang. Il tomba ainsi au champ d’honneur. Son corps fut exposé dans le village d’à côté, appelée El Djadida, pendant trois jours. En véritables martyrs, trente-cinq moudjahidine ont connu le même triste sort, alors que six autres ont pu rejoindre leur base de départ.
Cette bataille a fait venir à El Oued Jacques Soustelle, alors gouverneur général de l’Algérie, pour décorer les soldats français assassinés. Il exigea des autorités locales de ne plus laisser se dérouler des batailles tout près des agglomérations et de les contenir en plein désert.
Cela dit, cette bataille a fait savoir à tout le monde que le Sahara est une région, bel et bien, rattachée au nord du pays et que la Révolution était générale à travers tout le territoire national. Les Français furent, en revanche, très choqués par cette bataille, qui a pu tenir en haleine toute une armée avec ses avions, ses milliers de soldats, de légionnaires, et de parachutistes contre un groupe d’une quarantaine de moudjahidine.
Un survivant de cette bataille se trouve actuellement à Chréa, dans la wilaya de Tebessa. Il a raconté qu’après Hood Chika, il s’était engagé dans la bataille d’El Djorf à Tebessa. Il a confié à ses proches que la bataille d’El Djorf, qui a duré 7 jours, n’était pas aussi difficile que celle de deux jours de Hood Chika.
Par ailleurs, ce qui est déplorable, c’est que la commémoration en bonne et due forme, à la grandeur de cet événement historique, est de plus en plus négligée par les autorités locales. Pis encore, certains cercles influents, qui ignorent complétement la célébration de cette bataille, veulent effacer ce pan de l’histoire de la Révolution algérienne.
Aux autorités locales notamment la wilaya et l’APW d’El Oued, de réagir pour faire de cette date un anniversaire, un moment de recueillement sur les tombes de ces valeureux chouhada pour leur rendre un vibrant hommage, eux, qui se sont sacrifiés pour que vive l’Algérie libre et indépendante. Mieux, une stèle digne de leur sacrifice sur laquelle seront inscrits en lettres d’or les noms des quarante martyrs doit être érigée sur les lieux de ce combat. Un vœu émis par l’ensemble de la population qui ne doit pas être pieux… B. K.
(1) Le chahid Bachir Chihani, alias Messaoud Eddib, a mis en échec, grâce à son intelligence et son ingéniosité, la stratégie du gouverneur général de l’Algérie de l’époque, Jacques Soustelle, qui voulait «étouffer la Révolution dans l’œuf ». Youcef Menasria, professeur d’histoire à l’université de Batna qui s’exprimait lors d’une rencontre organisée à El Khroub en commémoration du 59e anniversaire de la mort du moudjahid Chihani a mis en exergue «la capacité de ce symbole de la guerre de Libération nationale de contrecarrer toutes les tactiques de l’administration coloniale et ses efforts d’étouffer à la naissance la glorieuse Révolution».
Le sens de l’organisation et les capacités de «réplique immédiate» de Messaoud Eddib, dans la Wilaya I historique, ont été déterminants à l’aube de la Révolution, a ajouté le Pr Menasria avant de s’attarder sur les aptitudes de ce meneur d’hommes qui avait prôné de libérer le pays par les armes «bien avant le 1er Novembre 1954». Les participants à cette rencontre commémorative ont évoqué un «soldat infatigable, au courage exemplaire». Chihani Bachir, né en avril 1929 à El Khroub, est décédé le 27 octobre 1955, dans les Aurès, alors qu’il venait à peine de boucler sa 26e année. Le corps du commandant de la célèbre bataille d’El Djorf (Tebessa), le 22 septembre 1955, repose depuis le 24 octobre 1984 au Carré des martyrs du cimetière El Alia, à Alger.
(2) Il s’agit du leader martyr moudjahid Muhammad Al Akhdar Amara, connu sous le nom de (Hama Lakhdar), né dans la ville d’Al Djadida, affiliée à la municipalité d’Al-Dabila, vers 1930, dans une famille rurale conservatrice, connue pour son adhésion aux valeurs religieuses et nationales et ses membres vivaient de pâturage des moutons et des chameaux dans le désert adjacent à Oued Souf. L’amour de l’aventure, la révolte contre la situation misérable et la réponse à l’injustice des colonialistes ont fait naître en lui un nouvel esprit qui l’a poussé à se rendre dans la ville tunisienne de Gafsa et à apporter quelques armes. Il en a gardé une et a vendu le reste.
Lorsqu’éclate la Révolution de libération, il s›y joint et devient commandant de plusieurs batailles, dont la plus importante fut la bataille de Hassi Khalifa le 17 novembre 1954, qui fut la première bataille de la Révolution algérienne et qui immortalisa la région de Oued Souf avec ses exploits révolutionnaires, et en fait un pionnier dans ce domaine. Il dirige également la bataille de Sahn Al Rutam le 15 mars 1955, commandée par le commandement de l’Aurès et la bataille de Hood Chika, incluse dans les événements du 20 août 1955, qui fut l’une des plus grandes batailles de la Révolution algérienne, qui a duré du 8 au 10 août 1955. C’était une bataille qui appelait le souverain français à venir personnellement dans la vallée pour verser des larmes pour les dizaines de soldats français tombés sur le champ de bataille.