Egypte : L’économie en chute libre et la classe moyenne avec elle

18/01/2023 mis à jour: 06:22
AFP
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Avec une livre égyptienne divisée par deux depuis mars, l’inflation a grimpé en décembre à 21,9% et les prix des denrées alimentaires ont pris 37,9%, selon les chiffres officiels

C’est arrivé comme un coup de tonnerre et on a dû rogner sur tout» : en Egypte, entre dévaluation et inflation, la classe moyenne se rapproche du seuil de pauvreté. Manar, mère de deux enfants, a fait une croix sur les vacances à l’étranger et s’interroge désormais sur l’avenir, dans un pays qui s’engage dans de douloureuses réformes réclamées par le Fonds monétaire international (FMI). 

«Le semblant de vie qu’on avait a disparu, maintenant on ne pense plus qu’au prix du pain ou des œufs», affirme à l’AFP cette femme au foyer de 38 ans qui refuse de donner son nom de famille. Avec une livre égyptienne divisée par deux depuis mars, l’inflation a grimpé en décembre à 21,9% et les prix des denrées alimentaires ont pris 37,9% selon les chiffres officiels, la plupart des biens étant importés. Mais pour Steve Hanke, professeur à l’université John Hopkins aux Etats-Unis et spécialiste de l’hyperinflation, l’inflation atteint en réalité 101% selon ses calculs qui prennent en compte pouvoir d’achat et taux de change - officiel et au marché noir.

«Jamais connu ça»

Et, comme lors de la brutale dévaluation de 2016, là encore pour un prêt du FMI, la classe moyenne et les plus pauvres sont en première ligne. 

A l’époque déjà, le président Abdel Fattah al-Sissi parlait du «plus dur programme de réforme économique en Egypte» et en appelait à la mère de famille et à ses sacrifices pour tenir les cordons de la bourse. Mais pour Salma, traductrice de 41 ans qui préfère témoigner sous pseudonyme, la «discipline militaire» ne suffit pas. «Le salaire de mon mari a perdu 40% de sa valeur en six mois», dit-elle à l’AFP. Et rogner sur les courses ne permet de gagner qu’à la marge face aux «mensualités pour la maison, la voiture et les frais de scolarité» de son fils de six ans. Ahmed Hicham, qui aide de nombreuses familles avec l’association Abwab El Kheir, a vu arriver un nouveau public. «Beaucoup avaient des économies pour leurs enfants ou pour plus tard. Aujourd’hui, ils piochent dedans pour des frais de santé ou les dépenses quotidiennes», explique-t-il à l’AFP. 

La plupart, dit-il, sont des «employés du secteur privé», plus généreux sur les salaires que la fonction publique, «qui gagnent entre 4000 et 6000 livres par mois» (de 125 à 185 euros). «Ils n’ont jamais connu ça et ça les mortifie de venir chez nous», raconte-t-il. 

«Il y a même un homme qui nous a dit devoir choisir entre nourrir ses enfants ou leur payer l’école.» Avant la récente dévaluation, 60% des 104 millions d’Egyptiens étaient sous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Au milieu des inégalités notoires en Egypte, la classe moyenne est «difficile à définir», concède Soha Abdelaty, de l’université américaine du Caire.  Mais une chose est sûre : «Avec la brusque montée de l’inflation, ceux qui étaient loin du seuil de pauvreté pourraient s’en rapprocher», le salaire moyen annuel atteignant officiellement 2150 euros. 

«Pas d’autre issue»

«Ce sont ces gens qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts mais ils ne sont toujours pas éligibles aux aides» gouvernementales, poursuit la spécialiste. Pour les diplômés, «il n’y a pas d’autre issue qu’un travail à l’étranger», assure Salma, la traductrice, alors que fleurissent sur les réseaux sociaux offres d’emploi dans le Golfe ou explications sur les équivalences de diplômes en Europe. Ceux qui y parviennent rejoignent les rangs des émigrés qui envoient chaque année près de 30 milliards d’euros en Egypte. Pour ceux qui ne peuvent pas partir comme Manar, la priorité c’est l’instruction -dans le privé, la qualité de l’enseignement dans le public étant faible. «Pour être sûr que son enfant apprenne quelque chose, il faut payer au minimum 20 000 à 40 000 livres (entre 625 et 1250 euros) chaque année en primaire», assure Manar. «Le problème c’est qu’on ne sait pas si ça s’arrêtera là», poursuit-elle.   «Il faut être prêt à tout vendre... en espérant que nos enfants aient un avenir meilleur.»  

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