La lauréate guadeloupéenne du prix alternatif de littérature, Maryse Condé, pour son roman Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana (2017), Maryse Conde, s’est éteinte dans son sommeil, à l’âge de 90 ans, dans la nuit du lundi 1er au mardi 2 avril à l’hôpital d’Apt du Vaucluse en France.
Considérée comme l’une des plus grandes figures de la littérature caribéenne et francophone, Maryse Condé est titulaire d’un doctorat en littérature à l’université de la Sorbonne Nouvelle. Elle a enseigné dans l’université française et dans de nombreuses universités américaines des années 1970 à 2005. L’universitaire est l’auteure d’une quarantaine de romans, de recueils, de nouvelle, d’essais et de pièces de théâtre sur entre autres l’esclavage et l’Afrique, traduits dans plusieurs langues et auréolés par de nombreux prix.
Elle a d’abord été dramaturge avant d’être reconnue comme romancière. Elle a aussi écrit des romans pour adolescents, notamment dans la revue Je bouquine. Maryse Conté s’est distinguée tout au long de sa dense carrière, pour son combat en faveur de la condition de la femme caribéenne et des relations complexes entre l’Afrique et sa diaspora. Cette brillante universitaire a eu à travailler comme journaliste culturelle à la BBC et à Radio France internationale (RFI). Fondatrice du Centre des études françaises et francophones au sein de l’université Columbia aux Etats-Unis, elle contribué ainsi à faire connaître la littérature francophone dans ce pays. Elle a eu à enseigner une littérature en français qui ne parle pas de la France.
Maryse Liliane Appoline Boucolon est née le 11 février 1934 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe dans une famille de huit enfants dont elle est la benjamine. Elle se plaisait à répéter de son vivant qu’elle est née dans un «milieu d’embryon de bourgeoisie noire». «Mon enfance a été purement française. Je l’ai dit déjà dans Le Cœur à rire et à pleurer, mon père commandait des livres de littérature française à la librairie Nelson, lui ne les lisait pas, mais mon frère et moi, on coupait des pages et on lisait. Petits, on a été imprégnés de littérature et de culture françaises». En 1953, à l’âge de ses dix-neuf ans, elle s’envole pour la France pour étudier au lycée Fénelon à Paris où elle fonde le club Luis Carlos Prestes avec un étudiant en histoire, Jacques A. ... Elle rencontre l’écrivain martiniquais et homme politique Aimé Césaire qui lui ouvre les yeux. Dans un documentaire, Une voix singulière, qui lui est consacré en 2011, elle affirme qu’elle comprend qu’elle est ni française ni européenne. «Que j’appartiens à un autre monde et qu’il me faut apprendre à déchirer les mensonges et à découvrir la vérité de ma société et de moi-même», explique-t-elle. Sa vie bascule quand elle rencontre un journaliste haïtien qui la quitte en apprenant sa grossesse. Etant mère célibataire d’un petit garçon, elle ne peut pas aller au bout de ses aspirations. Elle renonce à la prestigieuse Ecole normale supérieure, dont sont issus de nombreux intellectuels.
Trois ans plus tard, elle épouse Mamadou Condé, un apprenti comédien guinéen avec qui elle aura une fille. Le couple s’installe avec les deux enfants dans la Guinée tout juste indépendante de Sékou Touré. Elle vit une nouvelle passion avec un autre Haïtien à Paris, puis retourne en Guinée auprès de son mari, alcoolique, où elle attend une deuxième puis une troisième filles. A cette époque, elle témoigne qu’à Conakry, la vie est dure : «Quatre enfants à nourrir et à protéger dans une ville où il n’y a rien, c’était pas facile.»
Fossé entre les Antillais et les Africains
Après son premier roman Hérémakhonon, paru en 1976, l’autrice surprend ses lecteurs en publiant des ouvrages de références et de renommée mondiale dont le roman historique en deux tomes Ségou (1984-1985). Ce livre aborde l’histoire de trois frères, retraçant la chute du royaume bambara de Ségou et dont la parution intervient dans le contexte de l’«effet Racines», le célèbre roman d’Alex Haley adapté pour la télévision quelques années plus tôt. Elle est également réputée pour son roman Moi, Tituba sorcière... un récit poignant d’esclave dont la version anglaise est accompagnée d’une préface d’Angela Davis. Elle décide d’abandonner les reconstitutions historiques avec Traversée de la mangrove (1989), Célanire cou-coupé (2000) ou Histoire de la femme cannibale (2005).
Maryse Conte avait le verbe tranchant quand il s’agissait de parler de fierté régionale, raciale ou communautaire : «Il est grand temps de dire que l’endroit dont nous venons n’a pas tellement d’importance. Pour nous, Antillais, ce qui compte, c’est le peuple que nous sommes devenus, ce que nous avons comme culture à présenter au reste du monde». «L’Afrique, quand je l’avais découverte en hypokhâgne, note Maryse Condé dans sa deuxième autobiographie, La Vie sans fards (Lattès, 2012), n’était rien de plus qu’un objet littéraire. (…) Cependant, au fur et à mesure, les réalités africaines avaient occupé dans ma vie une place de plus en plus grande. Je ne voulais plus songer aux Antilles qui évoquaient des souvenirs trop douloureux.» Dans La Vie sans fards, autobiographie publiée en 2012, elle confie qu’elle n’arrive pas à devenir Africaine compte tenu du «fossé entre les Antillais et les Africains».
Meurtrie au plus profond d’elle-même d’être restée «l’étrangère» malgré sa peau noire, elle commence à comprendre la thèse sur le mythe de la négritude de Frantz Fanon. Se rendant compte que son mariage est un fiasco, elle fuit au Ghana avec ses enfants puis au Sénégal, où elle se marie au début des années 80 avec un professeur britannique blanc. Richard Philcox sera son traducteur. Elle se remet à l’écriture après avoir trouvé le calme et la sérénité à l’âge de 42 ans, et ce, après après douze années d’épreuves en Afrique et grâce à son nouveau compagnon.
Il est à noter qu’après la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité en 2001, elle préside en France le comité pour la mémoire de l’esclavage. En décembre 2002, elle prend sa retraite universitaire. Atteinte d’une maladie neurodégénérative, Maryse Conté résidait avec son mari depuis les années 80 dans un petit village provençal du Vaucluse en France. C’est dans ce lieu qu’elle avait dicté son dernier livre à une amie, L’Évangile du nouveau monde, sa réécriture du Nouveau Testament en Guadeloupe. A propos de cette dernière publication, elle écrivait : «Je n’écrirais plus. C’est trop dur et trop compliqué. Je voulais résumer un peu mes luttes et mes échecs et mettre les deux en parallèle (...) C’est un testament moqueur. J’ai voulu faire rire, amuser, choquer. Et provoquer autant qu’être grave, sérieuse et profonde. Les deux désirs se combattent en moi.»