Dr Mohamed Yousfi : «Il faut une réhabilitation totale du médecin spécialiste pour arrêter l’hémorragie»

07/02/2022 mis à jour: 19:56
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Photo : D. R.
  • Une nouvelle vague de départs à l’étranger de médecins spécialistes algériens, particulièrement vers la France dont le nombre serait 1200 candidats pour cette année, a suscité beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux. Que représente pour vous ce chiffre par rapport au nombre de médecins formés ?

Le phénomène du départ de médecins algériens vers l’étranger n’est pas un fait nouveau et ne date pas d’aujourd’hui. Le problème est encore plus profond. C’est chaque année que des médecins spécialistes participent à ce concours organisé par l’organisme français et ils sont nombreux à être admis à exercer dans les hôpitaux, particulièrement en France et ailleurs.

Je n’ai pas le chiffre exact, mais ce qui est sûr c’est qu’ils sont des milliers à partir. Le recrutement a commencé déjà depuis plusieurs années. Pour ce qui est des chiffres vérifiables ici en Algérie, je dois signaler qu’au moins 2500 spécialistes sont formés chaque année, soit 50 000 en vingt ans. Actuellement, 14 000 médecins spécialistes travaillent dans le secteur public et à peu près le même nombre dans le secteur privé.

Je vous laisse le soin de deviner le nombre de médecins qui sont partis, soit un peu plus de 20.000 en vingt ans. Je dois rappeler que nous avons tiré la sonnette d’alarme sur ce phénomène et nous avons averti les pouvoirs publics, notamment l’autorité sanitaire, le Sénat, l’APN, le gouvernement, mais, hélas, le phénomène s’accentue davantage et rien n’est fait.

  • Quelles sont, d’après vous, les raisons de ces départs massifs ?

Le problème réside premièrement dans le manque de considération à l’universitaire algérien et à l’élite algérienne de manière générale, tout en assistant à l’inversement de l’échelle des valeurs. Le médecin algérien, et particulièrement le médecin spécialiste, souffre de cette marginalisation.

Un universitaire avec un bac plus 11 années d’études dont les droits sont bafoués à travers son statut particulier, les conditions de travail à l’hôpital et tout cela est couronné par des mesures répressives, notamment le service civil. Je rappelle que le salaire d’un médecin spécialiste est moins de 80 000 DA.

C’est scandaleux pour un tel niveau universitaire. C’est pour tout cela qui fait fuir les médecins algériens. Nous avons alerter les pouvoirs publics à maintes reprises, mais en vain. Toutes nos propositions en tant que syndicat des médecins spécialistes, permettant justement de freiner cette hémorragie, sont restées lettre morte.

L’unique moyen de mettre un terme à ce phénomène est la réhabilitation du statut particulier du médecin spécialiste qui lui donne ses droits conformément à son niveau et son diplôme universitaire reconnus par le ministère de la Santé et la Fonction publique et les mesures incitatives tant promises.

Ainsi, nous attendons encore l’ouverture du dossier du statut particulier toujours bloqué au niveau du Premier ministère depuis 11 ans, que nous avons rejeté dès son élaboration en 2009. Tous ces blocages, en plus de la mesure répressive qui est le service civil dans un contexte de dysfonctionnement du système de santé et un environnement qui lui est hostile, le poussent à quitter effectivement le secteur public, voire le pays. Ainsi, le médecin spécialiste est doublement pénalisé.

  • Quelles sont justement ces mesures incitatives que vous revendiquez ?

La première mesure incitative phare que nous revendiquons depuis des années est la réhabilitation totale du médecin spécialiste à travers son statut particulier. Nous demandons depuis des années la réhabilitation totale du médecin spécialiste.

La première mesure est de le réhabiliter à travers son statut particulier. Les autres mesures incitatives concernent donc l’accompagnement de médecins spécialistes lors du service civil à l’intérieur du pays et l’extrême Sud que nous considérons toujours anticonstitutionnel et qui a montré ses limites. Tout le monde est d’accord sur le fait que le service civil est un échec qui revient plus cher que les mesures incitatives.

Il n’y a pas eu une volonté politique de régler ce problème. Jusqu’à juillet 2019, il y a eu un conseil de gouvernement consacré à la santé et qui a parlé des mesures incitatives avec augmentation de salaire et amélioration des conditions des travailleurs. Ceci a été consolidé par la décision prise par le président de la République portant abrogation du service civil et instauration des mesures incitatives.

Nous attendons toujours la concrétisation de ces décisions. On doit instaurer ses mesures incitative et réhabiliter le statut particulier du spécialiste de la santé publique.

Les revendications étaient d’abord d’ordre salarial pour assurer ce service civil, l’amélioration des conditions socioprofessionnelles dans ces régions du pays, notamment le Sud, assurer le logement de fonction et toutes les commodités ainsi que l’envoi d’équipes de médecins pas seulement un  seul qui sera livré à lui-même.

Un document portant toutes ces propositions a été remis aux responsables, mais rien n’est encore fait, malgré les instructions du président de la République annoncées en avril 2020 et réitérées en avril 2021, portant, entre autres, sur l’abrogation du service civil et l’octroi des mesures incitatives.

Il n’y a rien qui encourage ces médecins à rester au pays, encore moins à s’installer dans les zones éloignées après le service civil, car l’unique prime accordée lors du service civil est supprimée une fois ce service terminé. Cet exemple est édifiant pour confirmer encore qu’il y a des mesures qui vont à l’encontre du statut du spécialiste. C’est également une manière de pousser les médecins à partir.

  • Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a affirmé, dans un entretien accordé à la chaîne Ennahar tv, que le phénomène des départs des médecins algériens ne concerne pas que l’Algérie. Il considère que le système de santé algérien reste la première cause de cet exode et que le nouvelle génération se retrouve marginalisée, du fait que les médecins devant prendre leur retraite «ne permettent pas à cette génération de les remplacer et les hôpitaux algériens n’offrent pas de postes aux jeunes médecins». Qu’en pensez-vous ?

Le problème des départs de médecins à l’étranger n’a rien à avoir avec les arguments avancés par le ministre de la Santé. La problématique est tout autre et les raisons sont bien là et liées directement aux conditions socioprofessionnelles de ces médecins, dont les droits sont bafoués. Tout le monde sait que le phénomène est beaucoup plus profond. Dire que les postes sont occupés par des médecins qui doivent aller à la retraite est totalement faux.

Ces médecins représentent une minorité dans le corps des hospitalo-universitaires pour lesquels la limite d’âge fixée à 75 ans n’est pas appliquée. Par contre, parmi les médecins spécialistes de santé publique, rares sont ceux qui occupent encore des postes au-delà de 65 ans et le ministre de la Santé a catégoriquement refusé à ceux qui ont demandé de rester par nécessité de service en raison du déficit en personnel de continuer à exercer.

Le nombre de médecins, dont des milliers sont partis et vont partir, est proportionnellement plus important que ces médecins en poste. Je le répète et j’insiste pour dire qu’il n’y a que la réhabilitation totale de ce médecin spécialiste et une refonte du système de santé à mettre en place si l’on veut arrêter cette hémorragie . Il est urgent que les pouvoirs publics interviennent et répondent aux revendications des médecins. 

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