Dr Elias Akhamouk. Chef du service des maladies infectieuses à l’EPH de Tamanrasset : «La diphtérie est endiguée, mais les menaces sanitaires sont là»

08/08/2023 mis à jour: 08:18
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Le docteur Elias Akhamouk revient dans cet entretien sur la situation sanitaire à Tamanrasset, la porte des maladies tropicales, les conditions de travail à l’hôpital, dont les deux tiers des patients qu’il prend en charge sont des migrants. Il s'exprime aussi sur les cas de diphtérie enregistrés au niveau 
de la wilaya.
 

 

Entretien réalisé par Salima Tlemçani

 

 

-Près de 80 cas de diphtérie ont été enregistrés, dont 16 confirmés par l’Institut Pasteur (IPA), et plus d’une dizaine de décès. Nous sommes donc face à un foyer de contaminations. Comment est-on arrivé à cette 
situation ?
 

C'est une des conséquences sanitaires de la migration clandestine d'une grande frange d'une population non vaccinée. Quasiment tous les patients hospitalisés sont étrangers, jamais scolarisés, donc non vaccinés. Ce qui les rend vulnérables à toutes les infections. Heureusement qu’en Algérie, le taux de vaccination antidiphtérique est très élevé. Il est estimé à plus de 90%. 

Un taux considéré comme très élevé. Ce qui explique la non diffusion de l’épidémie parmi les Algériens. L’Allemagne, par exemple, a connu la même situation en 2022 avec plus de 130 cas de diphtérie touchant des migrants, mais sans conséquences sur les locaux, qui sont protégés par les vaccins. La même chose en Grande-Bretagne qui a enregistré 50 cas de diphtérie parmi des migrants, mais sans incidence sur la population locale. 
 

-A-t-on circonscrit ce foyer et par quels moyens ?

Le foyer a été circonscrit grâce au travail de la cellule de crise présidée par le DSP avec enquêtes épidémiologiques pour dépister des cas dans l'entourage des patients et de les prendre en charge. Chacun de ces patients est isolé. Nous prenons ses coordonnées et surtout son adresse pour dépêcher une équipe  sur place qui dépiste et vaccine les cas contact. Vu qu’il s’agit en général de communautés, la vaccination est élargie à tous les membres de celles-ci. Il arrive qu’on organise une vaccination de masse dans les quartiers où résident principalement les communautés d'étrangers touchées.

 Ce qui est important et positif, c’est le fait que tous cherchent à se faire vacciner. Les quartiers les plus touchés sont généralement connus. Ils se trouvent à la périphérie de la ville de Tamanrasset et la vaccination dans ces lieux se fait en masse. Je dois mettre l’accent sur la formation des médecins généralistes, qui reste très importante, parce qu'à ce jour, je suis le seul infectiologue qui capte et isole tous les cas suspects à Tamanrasset. 
 

-La diphtérie est connue comme une infection à déclaration obligatoire, comment se fait-il qu’il n’y a pas de campagne de sensibilisation sur ce foyer épidémiologique ?
 

Nous avons alerté les autorités sanitaires dès le début de l’épidémie, car effectivement il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire et aussi une urgence de santé publique. Il y a même une équipe qui s’est déplacée d’Alger et on lui a transmis directement nos besoins. D’abord en médecins spécialistes, puis en budgets, en médicaments et en équipements.  
 

-Pouvons-nous dire que l’épidémie a été endiguée ?
 

Je dois dire que l’épidémie a été maîtrisée, mais il faut rester vigilant.
 

-Pourquoi ?

Parce qu’il y a des cas simples qui ne passent pas par l’hôpital et peuvent passer inaperçus. Il y a aussi des porteurs sains qui sont des personnes non malades porteuses de la bactérie de la diphtérie dans la gorge et qui peuvent contaminer les autres comme cela est le cas pour la Covid-19. De plus, chaque jour, des familles de migrants traversent la frontière et arrivent à Tamanrasset, ce qui accentue le risque d’arrivée de cas contaminés. Donc, l’épidémie de diphtérie est peut être endiguée mais les menaces sanitaires sont toujours là. 
 

-Que voulez-vous dire ?
 

Il y a des maladies tropicales typiques comme le paludisme ou le Marburg et l’Ebola ou encore les mycétomes mais aussi des maladies réémergentes comme la diphtérie, la rougeole, la polio et même la lèpre qui peuvent arriver à nos frontières du fait des déplacements de populations.
 

-Toutes ces maladies qui risquent d’arriver facilement à nos frontières peuvent être diagnostiquées, mais sommes-nous menacés par d’autres que nous ne pouvons diagnostiquer faute de moyens ou de connaissances ?
 

Bien sûr, parce que les maladies tropicales nécessitent en plus d’un personnel qualifié des structures d’isolement avec des standards internationaux mais surtout un laboratoire équipé pour faire le diagnostic sur place car nous ne pouvons pas se permettre d’attendre les résultats qui nous arrivent d’Alger.
 

-Est-ce le cas aujourd’hui ?

Pour certaines maladies, c’est le cas. Pour ce qui est de la diphtérie par exemple, dont 16 cas ont été confirmés par l’Institut Pasteur d’Alger, nous ne sommes pas obligés de diagnostiquer tous les patients suspects. 
Cette maladie est relativement reconnaissable cliniquement. Mais, pour beaucoup d’autres maladies tropicales, la confirmation doit être obligatoirement biologique. Ce qui nécessite des laboratoires spécifiques, des équipements adéquats et un personnel qualifié. Il faut donc faire en sorte que ce dispositif soit disponible pour parer à toute menace sanitaire.
 

-Étant le seul infectiologue à l’EPH de Tamanrasset, dans quelles conditions travaillez-vous ?
 

Je ne peux cacher le fait que les conditions de travail à l'hôpital de Tamanrasset sont difficiles. Il est le seul établissement hospitalier qui couvre trois wilayas, à savoir Tamanrasset, In Guezzam et Bordj Badji Mokhtar. Et puisque Tamanrasset est la première plateforme de migration et même d'installation de migrants. Plus d'un tiers de nos patients, toutes spécialités confondues, sont des migrants. 

Ce qui ajoute une charge supplémentaire considérable pour le service des maladies infectieuses qui s'occupe des pathologies infectieuses habituelles, des maladies tropicales comme le paludisme avec plus d’un millier de cas chaque année. 

Il ne faut pas oublier aussi que l’hôpital de Tamanrasset est un centre de référence VIH Sida, le seul qui existe dans l'Extrême-Sud. Et avec le départ des infectiologues, je dirais qu’un renforcement humain est devenu une urgence.  Actuellement, nous sommes deux infectiologues seulement, chargés de toutes les activités. 

 

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