Djamel Abbaci. Expert en assurances : «Il faut renforcer la transparence dans le secteur de la réassurance»

17/09/2024 mis à jour: 01:23
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Photo : D. R.
  • La réassurance est un secteur souvent méconnu du grand public bien qu’elle joue un rôle essentiel dans la solidité du système assurantiel mondial. Pouvez-vous nous expliquer en quoi la réassurance est cruciale pour la pérennité des compagnies d’assurance ?

La réassurance est effectivement le pilier invisible de l’industrie de l’assurance. C’est un mécanisme fondamental pour permettre aux compagnies d’assurance de couvrir des risques majeurs tout en maintenant leur solvabilité.

Lors d’événements d’envergure, comme l’ouragan Katrina en 2005 ou les attentats du 11 septembre 2001, les compagnies de réassurance ont joué un rôle clé en apportant des liquidités pour indemniser les sinistrés.

En transférant une partie de leurs risques à des réassureurs, les assureurs libèrent du capital et peuvent ainsi étendre leur capacité à souscrire davantage de polices, favorisant ainsi la croissance économique.

  • Quels sont les principaux acteurs de ce marché et comment s’organisent les transactions entre assureurs et réassureurs ?

Le marché de la réassurance est largement international et dominé par des acteurs globaux tels que Munich Ré, Swiss Ré et Hannover Ré. En général, un assureur cède une partie de ses risques à un réassureur via un contrat de réassurance. Ces transactions sont souvent facilitées par des courtiers en réassurance, qui agissent en tant qu’intermédiaires entre les assureurs et les réassureurs. En Algérie, par exemple, les compagnies d’assurance rétrocèdent jusqu’à 50 % de leurs risques réassurables à la compagnie centrale de réassurance, mais le recours à des courtiers étrangers reste une pratique courante.

  • Quel est, selon vous, le positionnement des courtiers algériens dans cette industrie dominée par les grands noms du courtage international ?

Le constat est sans appel : les courtiers algériens peinent à rivaliser avec leurs homologues internationaux. Les courtiers étrangers, en raison de leurs relations historiques avec les grands réassureurs mondiaux, bénéficient d’un net avantage compétitif.

En outre, la neutralité des courtiers internationaux est souvent questionnée, car ces derniers sont, dans de nombreux cas, financièrement liés à de grands réassureurs. Cela biaise parfois le choix des réassureurs, au détriment des intérêts des assureurs algériens. Un renforcement de la présence des courtiers algériens dans ce circuit est donc impératif pour équilibrer les relations commerciales.

  • Le marché de la réassurance semble très concentré au niveau mondial. Quelles sont les implications pour les assureurs des marchés émergents, notamment ceux de l’Algérie ?

La faible pénétration de l’assurance dans les économies émergentes, conjuguée à la petite taille des compagnies d’assurance locales, limite considérablement leur capacité à retenir les risques. En Algérie, par exemple, le taux de pénétration de l’assurance est d’environ 0,7 % du PIB, ce qui est très faible comparé aux normes internationales.

Pour assurer des risques importants, les assureurs locaux se tournent donc vers les grands réassureurs internationaux. Cette dépendance envers les acteurs étrangers s’accompagne souvent de conditions tarifaires peu avantageuses pour les entreprises algériennes.

  • Vous avez mentionné des risques de conflits d’intérêts liés aux courtiers internationaux. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Absolument. Les courtiers étrangers peuvent être influencés par des relations financières ou personnelles avec certains réassureurs. Cette situation peut entraîner des biais dans le processus de sélection des réassureurs, ce qui pourrait compromettre l’objectivité des conditions proposées.

Un cas précis est celui de Fertial, où un courtier étranger a perçu des rémunérations multiples pour une seule et même prestation, au détriment du courtier local qui a fourni une assistance technique sans compensation financière. Ces pratiques illustrent la nécessité de renforcer la transparence et d’encadrer plus strictement les transactions dans le secteur de la réassurance.

  • Comment le cadre législatif actuel pourrait-il évoluer pour mieux réguler ce marché et encourager l’émergence de courtiers nationaux compétitifs ?

Le projet de loi sur les assurances en Algérie devrait impérativement intégrer des mécanismes de régulation plus stricts concernant la réassurance. Il est crucial que le législateur impose des procédures de consultation élargie sur le marché mondial et mette en place des cahiers des charges rigoureux pour garantir la transparence des opérations de réassurance. En outre, il serait bénéfique de prévoir l’intervention de courtiers nationaux dans ces consultations, en partenariat avec des courtiers internationaux, pour assurer une meilleure représentation des intérêts algériens.

  • Quelle serait la feuille de route idéale pour renforcer les compétences des courtiers algériens dans le domaine de la réassurance ?

Il est impératif de structurer des programmes de formation approfondis pour les courtiers algériens, couvrant à la fois les aspects techniques de la réassurance et les compétences relationnelles pour naviguer efficacement sur les marchés internationaux.

Par ailleurs, les courtiers algériens devraient être davantage impliqués dans les opérations de placement des risques, même à titre d’assistants au départ, afin d’acquérir une expérience précieuse. À long terme, cette montée en compétence leur permettra de rivaliser avec les acteurs internationaux et de jouer un rôle stratégique dans la couverture des risques.

  • Vous avez évoqué la nécessité d’une meilleure organisation du marché algérien de l’assurance. Comment cela pourrait-il concrètement se matérialiser ?

La clé réside dans la consolidation du pouvoir de rétention des compagnies d’assurance locales. Cela peut se faire en regroupant certains types de risques au sein de pools, comme celui de la responsabilité civile décennale ou des risques spéciaux.

En centralisant ces risques, les assureurs augmentent leur capacité à les retenir localement, ce qui réduirait le recours systématique à la réassurance internationale. De plus, la constitution de réserves financières solides, une diversification des portefeuilles de risques et une gestion rigoureuse des risques sont des leviers essentiels pour renforcer l’autonomie des assureurs algériens.

  • Pensez-vous que l’Algérie puisse réduire sa dépendance à l’égard des réassureurs étrangers dans un avenir proche ?

Cela dépendra largement de la capacité des compagnies algériennes à améliorer leur pouvoir de rétention et à adopter une approche plus stratégique en matière de réassurance.

En renforçant les capacités locales et en créant un cadre législatif qui favorise la concurrence entre courtiers et réassureurs, l’Algérie pourrait progressivement diminuer sa dépendance. Toutefois, cette transformation exigera des efforts soutenus en matière de gestion managériale, de gouvernance et de formation. Il est impératif de mettre en place une organisation dynamique et efficace au sein des compagnies d’assurance algériennes pour atteindre cet objectif.  

 

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