Le «Portrait de Mademoiselle Lieser» de Gustav Klimt, un tableau disparu qui a récemment refait surface, a été adjugé pour 30 millions d’euros, hier, à Vienne, un record en Autriche, malgré les zones d’ombre entourant sa provenance.
Evalué entre 30 et 50 millions d’euros, il aura finalement été vendu dans le bas de la fourchette des estimations de la maison «im Kinsky», loin des 86 millions d’euros atteints en juin 2023 à Londres pour une autre toile de cet artiste.
L’événement n’en reste pas moins historique, «aucune oeuvre comparable» n’ayant jamais été proposée dans le pays natal de Klimt, selon Claudia Mörth-Gasser, la responsable de la section d’art moderne. «Personne ne s’attendait à ce qu’un tableau de cette importance, qui avait disparu pendant cent ans, refasse surface», dit-elle, tandis que le précédent record autrichien s’élevait à «seulement» sept millions d’euros pour une peinture flamande vendue en 2010. Ce portrait ressuscité et non signé fait donc sensation.
D’autant qu’il est très bien conservé et n’a jamais quitté l’Autriche. Depuis qu’il a été dévoilé en janvier, on s’est bousculé pour l’admirer, à l’occasion d’expositions ayant précédé la vente en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni, à Hong Kong. Et bien sûr à domicile dans un magnifique palais baroque au coeur de Vienne, entouré d’esquisses du maître et d’autres oeuvres de contemporains comme Egon Schiele : quelque 15 000 visiteurs s’y sont pressés en neuf jours.
Hélène, Annie ou Margarethe ?
La toile entamée en 1917 et restée inachevée représente une jeune femme brune aux traits précis, ornée d’une grande cape richement décorée de fleurs sur un fond rouge vif. Le peintre est mort l’année suivante et un mystère, débattu avec fougue dans la presse spécialisée, entoure toujours l’identité du modèle. Qui est cette jeune Viennoise issue de la haute bourgeoisie fortunée qui s’est rendue neuf fois à l’atelier du génie adulé de son temps ? Une seule chose est sûre : elle est issue de la famille Lieser, une grande dynastie industrielle juive, mécène de l’avant-garde artistique. Mais est-ce l’une des deux filles
prénommées Hélène et Annie d’Henriette (Lilly) Lieser, une richissime divorcée pionnière dans l’émancipation des femmes ? Ou celle de son beau-frère Adolf, Margarethe, comme le clame un premier catalogue complet des oeuvres de Klimt, réalisé dans les années 1960 ? La seule photo du tableau connue à ce jour, probablement prise en 1925 dans le cadre d’une exposition, laisserait entendre qu’il appartenait à Lilly Lieser cette année-là.
Commerçant nazi
Selon le quotidien Der Standard, qui se fonde sur des correspondances archivées dans un musée autrichien, elle aurait pu le confier à un membre de son personnel, avant de mourir en déportation fin 1943. Le tableau réapparaîtrait ensuite chez un commerçant nazi avant que sa fille puis des parents éloignés n’en héritent à leur tour. Mais pour la maison Kinsky, spécialisée dans les procédures de restitution, c’est une «hypothèse parmi d’autres».
Après la guerre, la toile n’a jamais été réclamée au contraire d’autres biens, par l’une des trois descendantes des Lieser qui avaient toutes survécu. Tenue à la confidentialité, Claudia Mörth-Gasser explique à l’AFP que son employeur a été contacté, il y a deux ans, pour un avis juridique par ses propriétaires qui tiennent à rester anonymes. Im Kinsky en a informé les actuels ayants droit des deux branches Lieser, qui vivent notamment aux Etats-Unis. Certains ont fait le déplacement pour voir la toile, avant de signer un contrat avec les propriétaires, levant ainsi un obstacle à la vente du tableau.
Rien n’a filtré sur les termes de cet accord à l’amiable et des experts émettent des critiques sur une procédure jugée trop rapide, en dépit des incertitudes sur le destin d’une oeuvre à la valeur immense. «Sa provenance n’ayant pu être entièrement clarifiée jusqu’à présent», il aurait fallu prendre le temps d’un examen plus approfondi, estime ainsi dans l’hebdomadaire Profil Monika Mayer, la responsable des archives au musée du Belvédère qui abrite le fameux «Baiser» de Klimt.
D’ailleurs, la toile n’a pas été présentée aux Etats-Unis, de peur qu’elle n’y soit confisquée par la justice en cas de litige, comme c’est la règle pour les oeuvres soupçonnées d’être issues de spoliations.