Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a prêté serment hier au Parlement dans la nouvelle capitale administrative, à une cinquantaine de kilomètres à l’est du Caire, pour entamer son troisième mandat consécutif, sur fond de grave crise économique couplée à une situation des droits humains «catastrophique», estiment les experts.
Au pouvoir depuis une décennie, M. Sissi, 69 ans, débutera ce nouveau mandat aujourd’hui, plus de trois mois après sa réélection sans surprise avec 89,6% des voix face à trois candidats peu connus du grand public. Son nouveau mandat, de six ans, est censé être le dernier conformément à la Constitution égyptienne. M. Sissi entame son nouveau mandat, alors que deux tiers des 106 millions d’habitants vivent en dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté. L’Egypte a également vu la valeur de sa monnaie divisée par trois et sa dette multipliée par autant. Et avec une grave pénurie de devises étrangères qui paralyse le commerce, le coût de la vie dans cette économie dépendante des importations n’a cessé d’augmenter, avec une inflation caracolant à 35%. «Je n’ai pas trouvé un pays mais du n’importe quoi et on m’a dit : ‘‘Tiens, prends ça !’’», s’est justifié M. Sissi auprès des Egyptiens lors d’un discours en mars.
Au premier trimestre 2024, Le Caire a bénéficié d’un afflux de plusieurs dizaines de milliards de dollars, dont 35 milliards des Emirats arabes unis et une rallonge de 5 milliards d’un prêt originel de 3 milliards du Fonds monétaire international. Ces fonds sont néanmoins assortis de conditions de plus en plus drastiques imposées par les bailleurs. «L’Etat égyptien et l’armée doivent se désengager de l’économie», a ainsi affirmé la patronne du FMI, Kristalina Georgieva. «L’Etat veut intervenir davantage, pas se retirer», fait remarquer l’économiste Mohammed Fouad.
Pour les partisans de M. Sissi, cet afflux de devises étrangères devrait remettre l’économie à flot. Ce plan de sauvetage a certes sauvé l’Egypte «de la chute dans les abîmes», selon l’ancien ministre et ex-patron de l’Autorité générale pour l’investissement, Ziad Bahaa-Eldin, mais «on ne doit pas croire que la crise est passée ou que nos problèmes sont réglés», a-t-il écrit dans les pages du quotidien indépendant al-Masry al-Youm. Une analyse que partage M. Fouad, pour qui la crise risque de se perpétuer si ne sont pas prises des mesures structurelles visant «à réduire les dépenses publiques, sortir l’Etat de l’économie et cibler l’inflation plutôt que le taux de change».
Pour M. Bahaa-Eldin, «ce que les observateurs internationaux et locaux attendent (...) c’est une transition vers des programmes capables de stimuler l’économie réelle», pour «ne pas répéter les mêmes erreurs».
Désespoir
Dans le même temps, l’Egypte est prise en étau entre deux guerres: au Soudan voisin, près d’un an de guerre entre deux généraux rivaux a contraint plus de 500 000 Soudanais à rejoindre l’Egypte.
A Ghaza, les menaces israéliennes d’envahir la ville de Rafah à la frontière avec l’Egypte, où s’entassent plus d’un million et demi de personnes, font craindre au Caire un exode massif de Palestiniens vers le Sinaï. Et à l’intérieur du pays, la frustration monte, mais peine à s’exprimer sur la place publique tant l’opposition est muselée. En matière de droits humains, la situation «reste catastrophique», dit à l’AFP Mohamed Lotfy, directeur de la Commission égyptienne pour les droits et la liberté, une ONG basée au Caire.
L’Egypte, classé 136e sur 142 pays au classement mondial de l’Etat de droit du World Justice Project, est l’un des pays recourant le plus à la peine de mort. M. Lotfy admet que son pays a connu «une percée au niveau des droits humains» en 2022 avec «le dialogue national» et la libération de centaines de détenus politique, mais, assure-t-il, «tout espoir s’est évanoui» et il ne reste qu’une chose aux Egyptiens : «Le désespoir.»