Des détenus palestiniens racontent les horreurs qu’ils y ont subies : Les prisons israéliennes, ces lieux de déshumanisation

03/07/2024 mis à jour: 00:36
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Photo : D. R.

Après les témoignages glaçants du directeur de l’hôpital Al Shifa, Mohamed Abou Salmiya, sur les actes de torture qu’il a subis lors de sa détention dans une prison israélienne, c’est au tour de nombreux détenus palestiniens, libérés lundi matin, de raconter l’horreur qu’ils ont subie durant leur incarcération et dont les traces marquent encore leur corps.

Médecins, étudiants, jeunes, ou âgés, les 55 détenus de Ghaza, libérés des prisons dans la matinée de lundi dernier, partagent tous cette hargne qui les pousse à raconter publiquement, à travers de nombreuses chaînes de télévision, notamment la chaîne qatarie Al Jazeera, leur séjour terrifiant dans les prisons israéliennes, à commencer par le directeur de l’hôpital Al Shifa, Abou Salmiya, arrêté au mois de novembre 2023, qui a, dès sa sortie de prison, levé le voile sur les actes de torture, de privation de soins et de nourriture, de violences physiques et morales, sans oublier le traitement inhumain ayant conduit à la mort de dizaines de détenus.

Jeunes et moins jeunes, ils viennent tous de Ghaza, beaucoup faisaient partie du personnel médical du complexe médical Al Shifa, et d’autres sont des citoyens lambda. Tous ont été arrêtés chez eux, dans la rue, à l’hôpital ou lors des opérations militaires de l’armée sioniste menées depuis les attaques du 7 octobre 2023. 

La mine défaite, visiblement très affaibli, Faradj Essamouni, arrêté le 16 novembre dernier à son domicile dans la région de Qarara, à l’est de Khan Younès, au sud de Ghaza, avant d’être transféré au centre de détention de Sde Teman, dans une tente avec une trentaine de détenus. Très affecté, il raconte : «De nombreux jeunes détenus ont la peau collée à leurs os et le corps envahi par la galle. Je priais les agents pour nous donner de quoi manger, mais ils refusaient.

Ils faisaient entrer les chiens en pleine nuit, qui se jetaient sur nous de tout leur poids pour nous traîner par terre. La majorité des détenus jeûnaient sans interruption, faute de nourriture…» Il éclate en sanglots et prie Dieu pour qu’il «allège leurs souffrances», avant de poursuivre son témoignage : «La majorité des détenus font partie de l’encadrement médical ; le Dr Ahmed Mhanem, directeur de l’hôpital Al Awda, le Dr Abou Yaakoub Al Mehdi, le Dr Aymen Skafi, ils ont tous la galle et souffrent beaucoup.»

Il marque une pause, le temps de pleurer à chaudes larmes, puis lève les mains au ciel et prie. «Que Dieu soit avec eux. Ils endurent une souffrance tellement forte que seul lui doit mesurer leur douleur. Ils sont soumis à tous les types de torture, d’abus et d’agression.» 

Le corps menu, âgé de 70 ans, Mohamed Fayk travaillait à l’hôpital Al Awda. Ses pieds portent de graves séquelles dues au fait qu’ils étaient ligotés jour et nuit. Les hématomes recouvrent une grande partie des chevilles et remontent jusqu’à la jambe. «Lorsqu’ils m’ont arrêté, ils m’ont obligé à me déshabiller totalement et à rester nu tout le temps, les mains et les pieds liés.

Durant tout le trajet, ils me frappaient. Une fois au centre de détention, ils nous ont laissés dans le noir. Ils nous ont humiliés. A mon âge, je suis resté tout nu, jamais je n’aurais pensé vivre cela…» affirme Mohamed en sanglots. Il n’arrive plus à poursuivre son récit. Il marque un temps d’arrêt puis reprend : «Ils nous insultaient, crachaient sur nous et, souvent, ils faisaient entrer les chiens durant la nuit, qui nous attaquaient avec une violence inouïe.

Le deuxième jour de notre arrivée, ils nous ont emmenés pour l’interrogatoire, les yeux bandés, les mains et les pieds ligotés. Cet interrogatoire a duré 24 heures. C’était affreux et insupportable. Nous étions nus. Ils nous ont torturé avec de l'électricité. Ces 24 heures étaient interminables. Nous étions tous par terre comme des moutons, prêts à être sacrifiés…»

«Ils m’utilisaient comme bouclier humain»

Plus jeune, à peine la trentaine, un autre détenu, un bob couvrant la tête et une bavette autour du cou, ne décline pas son identité. Il semble traumatisé par les événements qu’il a vécus. D’une voix entrecoupée, il revient sur ce qu’il décrit comme «une torture insurmontable», celle d’avoir été utilisé comme bouclier humain.

«J’étais avec mon père, mon grand-père et d’autres membres de ma famille, et avec les bombardements, nous avons quitté la maison et traversé le quartier. Il y avait des militaires. Ils m’ont appelé, je suis allé vers eux avec mon père. Ils nous ont pris, puis ont exigé que nous nous déshabillions.

Nous sommes restés dans cet état durant trois jours. Puis, ils m’ont dit : ''Tu vas travailler avec nous. Tu nous aides à voir, dans les bâtiments, s’il y a des civils innocents, tu les fais sortir pour qu’ils ne soient pas tués. Mais cela n’était pas le cas. Ils voulaient m’utiliser comme bouclier humain. Ils étaient derrière moi et me demandaient ce que je voyais. Ils ne me lâchaient pas. J’avais les mains ligotées derrière le dos et je sentais les armes pointées derrière moi.

Je n’arrivais même pas à respirer, ni à supporter ce qu’ils me faisaient subir. Je me suis évanoui. Ils s’amusaient en me voyant avancer au milieu des tirs et des explosions. La nuit, je dormais les mains et les pieds ligotés. Ils venaient me donner des coups de pied avec leurs godasses renforcées avec du métal. Il faisait très froid. J’avais juste une fine couverture. Ils me laissaient dehors, et parfois, ils venaient jeter de l’eau sur moi. Ils m’ont ramené au bâtiment.

J’étais inconscient. Lorsqu’ils me sortaient, j’étais pieds nus et je marchais sur les gravas et les pierres des bâtiments détruits. Le sifflement des tirs et les explosions de dynamite ne me quittaient pas. Je ne savais pas si c’était réel ou juste un cauchemar. Mes oreilles me faisaient mal sans arrêt.» Le témoignage de ce jeune est hallucinant.

Il poursuit : «Ils me donnaient tout le temps des coups de pied, de poing, ou de crosse, en me disant que j’étais un membre du Hamas. Je répondais : ''Je suis un docteur. Je suis étudiant en médecine, mais en vain. Jour et nuit, c’était comme ça avec les soldats israéliens. Ce fut dix jours d’enfer. J’ai senti que j’avais perdu la raison. Je m’interrogeais si mon cerveau délirait. Mais le bon Dieu m’a sauvé pour me rendre à mes parents. Je suis enfant unique. Moi et mon père avons été arrêtés ensemble. Mais, lui est toujours en détention.» 

Ces témoignages poignants se ressemblent tous. Ce ne sont pas des cas isolés. De nombreux autres détenus, qui ont eu la chance de sortir vivants des prisons israéliennes, ont fait état des traitements inhumains auxquels ils ont été confrontés. Avocat palestinien, Me Khaled Mahajneh avait, il y a deux semaines, juste après sa visite aux prisonniers, jeté un pavé dans la marre en décrivant la situation dans laquelle ces derniers étaient détenus.

Il a affirmé que les prisonniers «étaient enchaînés 24 heures sur 24, les yeux bandés, et que certains ont été amputés de membres et que les balles ont été retirées de leurs membres sans anesthésie». Situation confirmée par le directeur de l’hôpital Al Shifa, le Dr Mohammad Abou Salmiya, à Ghaza, dès sa libération lundi dernier.

«De nombreux détenus, y compris des médecins et du personnel médical enlevés, sont morts des suites des tortures dans les prisons israéliennes (…), les détenus ne reçoivent même pas de soins médicaux de base, notamment des analgésiques (…).

Des médecins et des infirmières israéliens étaient également impliqués dans les abus et la torture des détenus palestiniens (…)», a-t-il déclaré à la chaîne Al Jazeera, alors que la Commission des affaires des détenus et ex-détenus palestiniens ainsi que la Société des prisonniers palestiniens (PPS) ont évoqué une «augmentation significative du nombre de Palestiniens qui ont été blessés par des soldats israéliens avant d’être enlevés depuis le début de l’agression israélienne du 7 octobre 2023», ainsi qu’une «hausse des crimes médicaux commis contre les détenus de Ghaza, mais aussi des actes de torture, de famine, de mauvais traitements, de négligence médicale et de disparition forcée». C’est pour dire que les prisons israéliennes sont devenues des mouroirs pour les détenus palestiniens, des zones de non-droit et de déshumanisation.

Cisjordanie occupée : Au moins 22 Palestiniens arrêtés

Les forces d’occupation sionistes ont arrêté, dans la nuit de lundi à hier, au moins 22 Palestiniens dans différents gouvernorats relevant de la Cisjordanie occupée, a indiqué hier le Club des prisonniers palestiniens. Depuis lundi soir, les forces d’occupation sionistes ont arrêté au moins 22 citoyens de plusieurs gouvernorats de Cisjordanie, dont un enfant et des anciens détenus, précise le Club des prisonniers palestiniens dans un communiqué.

Les arrestations se sont concentrées dans les gouvernorats de Naplouse, Ramallah, Jénine, El Khalil, Beit Lahm, Tobas et El Qods, accompagnées de raids et d’abus généralisés, de menaces contre les détenus et leurs familles, ainsi que de vandalisme et de destruction de maisons de citoyens.

Le Club des prisonniers a souligné que le nombre des arrestations en Cisjordanie occupée après le 7 octobre a atteint plus de 9490, tous segments de la société palestinienne confondus, notant que ce nombre inclut ceux qui ont été arrêtés à leur domicile, à travers les points de contrôle militaires, ceux qui ont été forcés de se rendre sous la pression et ceux qui ont été retenus en otage.

Parallèlement à leur agression contre Ghaza, l’armée et les colons sionistes ont intensifié leurs attaques en Cisjordanie depuis le 7 octobre dernier, y compris à Al Qods-Est, entraînant la mort en martyrs de 533 Palestiniens et environ 5200 blessés, selon les autorités palestiniennes.

 

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