Démission du Secrétaire général de l'UGTA : L’arbre qui cache la forêt

07/03/2023 mis à jour: 10:15
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Salim Labatcha, secrétaire général de la centrale syndicale de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA)

La démission de Salim Labatcha, le secrétaire général de la centrale syndicale de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), a ébranlé les arcanes des syndicats d’entreprise. En effet, elle intervient au moment où plusieurs syndicalistes sont poursuivis en justice et d’autres placés sous mandat de dépôt pour des faits liés à des détournements de fonds sinon des vols. Il en est ainsi des syndicalistes de l’entreprise publique économique Ferrovial de Annaba. Le magistrat instructeur près le tribunal d’El Hadjar, relevant de la cour de justice de Annaba, a ordonné, jeudi dernier, la mise sous mandat de dépôt de trois employés de cette société, dont deux syndicalistes. Incriminé dans cette affaire de détournement, le président du comité de participation (CP) du syndicat de Ferrovial est actuellement en fuite. Parallèlement, le secrétaire général de l’Union de l’UGTA de la wilaya de Annaba, Kamel Fritah, fait aussi l’objet de poursuites judiciaires. Egalement membre du bureau national de l’UGTA, il est présumé accusé dans plusieurs affaires, dont l’une a trait à une opération de solidarité Covid-19, engagée en août 2021 par l’Union de wilaya et dont les fonds de la collecte auraient été «détournés». Outre l’absence de transparence dans la gestion des fonds collectés, on reproche à Kamel Fritah d’avoir écarté le Croissant-Rouge algérien (CRA) après l’avoir associé à l’opération qui, contrairement à l’UGTA, à la vocation de l’action sociale et humanitaire. Selon des travailleurs ayant participé à l’opération, notamment ceux de Fertial dont la collecte est estimée à quatre millions de dinars et ceux de Somias avec un million de dinars : «Cet argent était initialement destinée au profit du Croissant-Rouge algérien avant de changer sa destination vers les comptes de l’UGTA. D’ailleurs pour mieux sensibiliser les donneurs, le logo du Croissant-Rouge a été collé à côté de celui de l’UGTA sur le communiqué, placardé au niveau des entreprises concernées. Etablis au nom de l’UGTA, les chèques ont été remis aux représentants du syndicat alors qu’ils étaient initialement destinés au CRA.»

Partenariat fictif avec le CRA

Contacté, Abdelhamid Bouzid, le représentant du Croissant-Rouge algérien à Annaba, confirme, avec beaucoup d’étonnement : «Le CRA Annaba n’a jamais été contacté par l’UGTA Annaba ni destinataire des fonds collectés pour acquérir un générateur d’oxygène pendant la crise de la Covid-19. Quant au logo affiché dans le communiqué, il a été certainement copié via internet.» Ainsi, après la collecte des fonds, le CRA a tout simplement été évincé sans contact préalable ni préavis. Mais pourquoi alors mentionner la collaboration de l’UGTA avec cette association d’aide humanitaire algérienne dans l’appel aux travailleurs, notamment ceux de Fertial et Somias, pour collecter des fonds ? Ancien brancardier à la morgue de l’hôpital Ibn Rochd relevant du CHU Annaba, actuellement un des cadres de l’UGTA, Kamel Fritah n’a pas la compétence requise pour maîtriser techniquement le choix d’un tel ou tel générateur d’oxygène, encore moins son fonctionnement ni sa fiabilité pour prétendre l’acquérir.

Ce qui n’est pas le cas pour le CRA, dont la majorité de ses adhérents sont des médecins. Sa présidente aussi. Selon des syndicalistes et participants à cette campagne de solidarité, organisée l’année dernière durant la 3e vague de la Covid-19 : «Nous sommes les propriétaires de cet argent, collecté dans le cadre d’une opération de solidarité, dont on ignore, une année après, le bilan. Certes, il y a eu l’achat d’une machine de faible puissance 27M3/h au lieu de 60M3/h mais, en comparant la somme collectée, nous sommes dans notre droit d’exiger des comptes au secrétaire général de l’UGTA Annaba qui, à travers une communication publique, devra nous détailler les chiffres des dépenses. Cela confirmera la transparence de l’opération et mettra fin aux doutes des uns et des autres.»

Les chiffres d’OxyGold Système

Contacté pour connaître les détails de cette opération, Kamel Fritah n’a jamais daigné répondre à nos sollicitations à travers tous les canaux possibles. Pourquoi avez-vous associé le CRA dans l’opération de solidarité Covid-19 et l’écarté après ? A combien sont estimés les fonds collectés par l’UGTA auprès des travailleurs dans le cadre de l’opération de solidarité Covid-19 pour acquérir un générateur à oxygène ? Combien a coûté cet appareil de 27 m3/h, installé actuellement dans un hôpital pédiatrique (Sainte Thérèse) ? A combien est estimé le reste de la collecte et quelle a été sa destination ? Telles sont les questions qui lui ont été posées. Les chiffres de cette opération sont, cependant, gardés par l’organisateur de l’action loin des yeux indiscrets. Ce qui n’est pas le cas pour le représentant officiel en Algérie de la marque du générateur, Goldberg-OxyGold Système du constructeur turc Eryigit, qui lui nous a communiqué les chiffres à travers une facture proforma. Le même générateur acheté par l’UGTA, avec une capacité de 29 m3/h est facturé à 8 947 905,00 DA (79 185 dollars). Selon le dossier du fournisseur, le prix inclut l’achat, le dédouanement, le transport depuis le port d’Alger jusqu’à Annaba, l’installation et la mise en marche.

Rappelons que Djameleddine Berimi, le wali de Annaba qui avait lui aussi acquis sur les fonds de la wilaya un appareil similaire sous l’égide du CRA, s’en lave les mains. A la question pourquoi l’UGTA a affiché le logo du CRA dans son appel aux travailleurs pour la collecte des fonds pour cette opération, le chef de l’exécutif était ferme : «Ils assument leur acte.» Force est de relever que sur le plan syndical, la wilaya de Annaba n’est pas un exemple à suivre. Pour preuves, plusieurs syndicats d’entreprise et comités de participation (CP) activent toujours au-delà de leur mandat. Il en est ainsi du syndicat de Sider El Hadjar et de son CP dont le mandat a expiré depuis plusieurs mois déjà.

L’inspection du travail a même alerté la direction de Sider El Hadjar sur ce problème. «Dernièrement, notre syndicat a installé une commission avec l’espoir de reprendre les mêmes membres de l’ancien CP pour le prochain mandat. Les sidérurgistes rejettent catégoriquement cette option et appellent les travailleurs à faire barrage à ces dépassements», préviennent-ils.

Tebboune ordonne des audits

D’autres syndicalistes de l’UGTA sont poursuivis également pour détournements des fonds des œuvres sociales depuis plusieurs années. Ce qui a poussé les pouvoirs publics à engager des enquêtes dans ce sens. Ainsi, selon des sources proches de ce dossier, des audits financiers sont sur la brèche dans plusieurs entreprises et sociétés publiques à travers le pays, à la faveur d’une instruction présidentielle émanant personnellement de M. Tebboune. Même si l’Inspection générale des finances (IGF) est toujours active, l’expertise de l’inspection de la présidence de la République, née en mars 2022, est désormais à l’œuvre.

Depuis le début de décembre 2022, son champ d’action ne cesse de s’élargir touchant actuellement l’ensemble des enquêtes ayant trait à tous les secteurs d’activité publique. Les premières malheureuses découvertes ont concerné les œuvres sociales dans, au moins, deux ports de l’est du pays, les Entreprises portuaires de Béjaïa et de Skikda en l’occurrence.

Dans la première, indiquent nos sources, un trou financier de quelque 110 millions de dinars a été découvert dans les comptes des œuvres sociales du syndicat de l’entreprise, relevant de l’union locale de l’UGTA de Béjaïa. «Cet important trou de plusieurs milliards de dinars a été mis à jour par un commissaire aux comptes, dépêché par un magistrat relevant du tribunal administratif local, pour enquêter sur cette faille sans justificatif. Les membres de l’actuel et de l’ancien bureau exécutif du syndicat s’accusent mutuellement de détournements, notamment via des crédits non remboursés, depuis au moins 2014», confirme, par ailleurs, le site africaintelligence.

SIDER EL HADJAR SOUS LA LOUPE

La situation est plus grave à l’Entreprise portuaire de Skikda (EPS). Il a été découvert un trou financier de huit milliards de dinars dans les fonds des œuvres sociales. Pas moins de 35 chèques totalisant cette somme colossale sans justificatifs. Le président du CP n’a pas pu se disculper de cette «dépense» et se trouve actuellement sous mandat de dépôt sur ordre du magistrat instructeur près le pôle pénal de Constantine, en charge de ce lourd dossier. A Annaba, et particulièrement au complexe EPE Sider El Hadjar, l’inspection de la présidence de la République a enquêté durant plusieurs semaines. La gestion de l’entreprise comme celle des œuvres sociales sont passées à la loupe. Selon des indiscrétions, plusieurs milliards manquent à la caisse. Sur place, les inspecteurs de la présidence de la République ont auditionné l’ex-président des œuvres sociales, converti récemment président du syndicat de l’EPE Sider El Hadjar, dont on ignore le contenu de la discussion. Les œuvres sociales universitaires sont aussi sujettes à des détournements et autres dilapidations. Aux CHU, comme dans le secteur de l’éducation, la situation est analogue. Leur gestion a toujours été décriée par les syndicats libres de part son opacité. «Dans la loi de finances 2022, les universités algériennes ont bénéficié d’une enveloppe estimée à plus de 400 milliards de dinars, dont le tiers, soit plus de 138 milliards de dinars pour les œuvres universitaires. Malheureusement, l’étudiant ne bénéficie pas de ces aides sociales directement, mais elles sont réparties sur quatre volets qui sont la bourse, la restauration, l’hébergement et le transport», a déclaré en juin 2022, à El Watan, Noureddine Metnani, responsable de la cellule de qualité à l’université Constantine 3. Rappelons que l’UGTA, le premier syndicat du pays rejette plusieurs articles inclus dans le projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical qui a été présenté le 9 janvier dernier par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Youcef Chorfa, devant les membres de la commission de la santé et des affaires sociales de l’Assemblée populaire nationale (APN). Dans ce nouveau projet plusieurs abus et autres faveurs ont été éliminés. Il en est, entre autres, du détachement des employés dont le salaire reste à la charge de l’employeur. A l’avenir, c’est l’UGTA qui payera l’employé détaché, puisqu’il n’est plus actif à l’entreprise. Il y a aussi la réduction, à deux mandats, de la présidence des unions locales et nationale… ce qui n’est pas du goût de l’UGTA, qui a actionné ses relais pour engager une campagne à l’effet de faire avorter ce projet de loi qui tient à cœur au président de la République, Abdelamadjid Tebboune. A suivre… 

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