Oh mon Dieu, qu’est-ce que c’est que cela ?» Responsable scientifique d’une expédition autour du glacier Kangerlussuup, dans l’ouest du Groenland, la professeure Ginny Catania, de l’université du Texas, a les yeux rivés aux écrans de la salle de contrôle du navire de recherche Celtic Explorer. Le sonar du sous-marin NUI (Nereid Under Ice) révèle, en direct, une vaste caverne sous-marine.
Un monde inconnu à explorer… mais il faut déjà passer à la suite. Présents à bord, les journalistes du Guardian insistent sur le caractère périlleux de la mission. Pas tant pour les chercheurs eux-mêmes, mais pour le sous-marin. Sous le glacier, l’appareil – valant plusieurs millions de dollars – se trouve en effet dans l’incapacité de remonter à la surface en cas de problème. Victor Naklicki, le pilote, explique comment il manipule délicatement le bras du robot, relié au navire par un câble de fibre optique «de l’épaisseur d’un cheveu», tout en dirigeant sa trajectoire… sans visibilité ! «C’est comme si vous conduisiez dans le blizzard à Buffalo, dans l’État de New York, tout en faisant de l’origami sur le siège arrière, alors que la voiture roule à 100 kilomètres à l’heure», compare l’ingénieur. Le prix à payer, selon lui, pour «collecter des données qui n’ont jamais été collectées auparavant».
Personne, en effet, ne s’était jamais aventuré à moins de 500 mètres des sédiments qui s’accumulent au pied du glacier afin d’y prélever des carottes, c’est-à-dire des échantillons. Et pour cause ! De «violents courants sous-marins» d’eau de fonte jaillissent de la base du géant, et la visibilité sous la surface est «pratiquement nulle» en raison d’un torrent de boue et de sable. Un véritable «maelström».Or, faute de pouvoir examiner de près la «zone infernale» où se rencontrent les puissants glaciers, la roche et l›océan, les scientifiques n›ont jamais pu confirmer leur hypothèse. À savoir, la possibilité que les énormes monticules de roches s›accumulant devant certains glaciers puissent en fait isoler ceux-ci vis-à-vis des océans qui se réchauffent, jouant ainsi le rôle de «ralentisseurs».
La mission pourrait par conséquent aboutir à la «résolution d’un mystère susceptible de changer la compréhension de l’impact à long terme le plus profond de la crise climatique : la hausse du niveau des mers», souligne le Guardian. Car les glaciers se désintègrent, et la vitesse d’accélération de ce phénomène «affecte directement un milliard de personnes dans les grandes villes côtières du monde.»
RETARDER UN «RECUL CATASTROPHIQUE»
L’effondrement de la calotte glaciaire du Groenland entraînerait une hausse potentielle du niveau des mers de 7 mètres, redessinant entièrement la carte du monde. D’où l’importance de disposer de modèles de prévision les plus fiables possibles. Et donc, de tenir compte de la présence de ces «ralentisseurs», si toutefois leur rôle est avéré. Le Pr Sean Gulick, co-responsable scientifique de l’expédition, précise : «Nous savons que dans ces systèmes, il y a des points de basculement. Mais si un glacier crée un important amas de sédiments, il pourrait retarder le recul catastrophique qui inquiète le plus les gens. Ces glaciers de l’ouest du Groenland sont particulièrement importants car ils sont alimentés directement par la calotte glaciaire.» «Ces glaciers sont sur la ligne de front dans la bataille entre l’océan qui se réchauffe et la glace.»
Néanmoins, une partie de la hausse du niveau des mers est déjà inévitable, prévient Ginny Catania. «Nous devons impérativement nous préparer à l’inondation des côtes, car elle est imminente. Nous ne savons pas quand, et nous devrons certainement répondre à cette question, mais nous n’avons que peu de projets de planification sur de nombreux littoraux, en particulier dans les nombreux pays qui ne sont pas riches et qui vont être complètement inondés.»