Par H. A. Timesguida
Consultant en éducation internationale
Alors que Imane Khelif vient d’offrir l’or à l’Algérie à l’issue d’une campagne de désinformation infâme, initiée par l’Association internationale de boxe (IBA), on est frappés par certaines similitudes qu’on peut relever entre le combat d’Imane et son cheminement vers la consécration olympique et un autre combat tout aussi épique et enveloppé de racisme qui a opposé il y a 87 ans, le 25 juin 1935 exactement, le boxeur italien Primo Carnera contre l’Africain-Américain Joseph Louis Barrows, plus connu sous le nom de Joe Louis, au Yankee Stadium du Bronx, à New York.
Primo Carnera, un colosse italien doté d’une carrure impressionnante, était fêté comme un héros par les milieux blancs américains, rednecks et wasps confondus, et par la mouvance fasciste mussolinienne dont le Duce s’apprêtait alors à envahir l’Ethiopie pour élargir ses possessions coloniales.
Joe Louis de son côté représentait l’espoir et la fierté des Noirs, notamment dans les Etats du Sud ou prévalaient encore les lois racistes dites «Jim Crow», un système de ségrégation raciale institué à la fin du XIXe siècle et qui perdurera jusqu’à son abolition en 1964 par le président Lyndon Johnson.
Ramené à sa condition de Noir, c’est-à-dire d’infrahumain dans le contexte de l’époque, par une presse qui redoublait d’ingéniosité pour l’affubler du sobriquet le plus dévalorisant et qui remporterait l’adhésion la plus large, allant de «Le Meurtrier d’acajou» à «La Panthère haletante», ce fils de métayer, natif de Lafayette dans l’Alabama, ne s’est pas laissé déstabiliser par l’avalanche de haine raciste. Devenu une icône de la communauté afro-américaine après ses sept victoires remportées en six mois durant l’année 1935, Joe Louis savait qu’il pouvait compter sur son soutien sans faille et réalisait la symbolique que revêtait son combat.
En dépit de son jeune âge, 21 ans seulement, et d’un désavantage de plus de 29 kg et 13 cm de hauteur par rapport à son adversaire au gabarit impressionnant (1,97m pour 128 kg), Joe Louis relèvera avec brio le défi : il fait crouler Carnera sur ses genoux dès le 6e round dans un combat programmé pour 15 rounds.
Joe Louis entre alors dans la légende, tandis que Primo Carnera, qui avait commencé sa carrière comme saltimbanque et qui fut exploité toute sa vie comme une bête de foire par le régime fasciste de Mussolini, la mafia italo-américaine et divers milieux interlopes tombe en disgrâce et est vite relégué à l’oubli et à la marge.
A l’exemple de nombre d’Américains d’alors, les Algériens ont été unanimes à exprimer leur révulsion face à la campagne infâme lancée contre Imane Khelif depuis sa victoire contre la boxeuse italienne Angela Carini. Initiée, manufacturée et encouragée par l’Association internationale de boxe amateur (IBA) conduite par son président russe Umar Kremlev, la campagne fut relayée et amplifiée par une phalange de figures d’extrême droite, de lobbies, de groupes néo-fascistes et de médias sous influence pour atteindre rapidement un véritable pic d’hystérie médiatique et numérique.
Des chefs d’Etat et de gouvernement, actuels et anciens, se sont également jetés dans la mêlée, à l’image de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, et de Donald Trump, du milliardaire Elon Musk ou encore du vice-président du Conseil italien, Matteo Salvini, déterminés à instrumentaliser le cas d’Imane pour en tirer des dividendes politiques, comme ce fut le cas, 87 ans plus tôt, avec Joe Louis.
Mais c’était mal connaitre cette fille, originaire d’un village de l’Algérie profonde, qui s’est construite dans l’adversité et à la force de ses bras. Complètement focalisée sur son objectif, placide et infroissable, toujours souriante et fairplay à l’égard de ses adversaires, ne montrant aucune animosité envers ses détracteurs déchainés sinon une certaine commisération, Imane Khelif leur a répondu de la plus belle manière qui soit, en remportant ses quatre combats à l’unanimité du jury et en décrochant l’or.
Face à la montée en violence des attaques, plusieurs voix, en Algérie et dans le monde, ont fini par se mobiliser et hausser le ton pour en dénoncer au nom de la morale, de l’éthique et de la justice, la gratuité et l’ignominie.
La boxeuse irlandaise Amy Broadhurst qui avait battu Imane aux championnats du monde en 2022 a ainsi pris sa défense dans un message posté sur X : «Je ne pense pas qu’elle ait fit quoi que ce soit pour tricher.»
C’est également le cas de la chroniqueuse du quotidien britannique The Independent, Kat Brown, qui a publié le 2 août un texte dans lequel elle prend la défense d’Imane Khelif et fustige sa compatriote, la romancière J. K. Rowlings qu’elle accuse de servir un agenda personnel en accusant Imane d’être un «homme», sous prétexte de défendre les femmes contre la violence des hommes.
Surtout, ajoute-elle, la romancière ne s’est à aucun moment sentie interpellée par la participation aux Jeux du joueur néerlandais de beach volley, Steven van de Velde, accusé et condamné à la prison pour un acte de violence abjecte non contre une femme mais contre une fillette de 12 ans, qu’il a rencontrée sur Facebook puis violée.
La boxeuse italienne, Angela Carini, réalisant sans doute l’instrumentalisation dont elle faisait l’objet a fini par faire acte de résipiscence et à demander pardon à Imane pour avoir refusé de serrer sa main à l’issue de leur combat, déclarant : «J’ai commis une erreur… Je lui souhaite bonne chance pour la suite.
Le Comité olympique international (CIO) a été particulièrement actif, montant plusieurs fois au créneau par la voix de son président Thomas Bach pour confirmer que Imane «répond aux critères d’éligibilité», qu’elle est «inscrite comme femme sur son passeport depuis sa naissance» et pour dénoncer le rôle central de l’Association de boxe internationale (IBA), où la corruption et les scandales sont endémiques, dans cette violente campagne de désinformation.
La proximité du président de l’IBA Umar Kremlev avec Vladimir Poutine, son financement par la société d’Etat russe Gazprom, le déplacement du siège des opérations de l’Association de Lausanne à Moscou sont autant d’éléments relevés par les observateurs pour voir dans cette campagne la main de la Russie.
Déterminé à faire payer la France, et l’Occident en général, pour avoir écarté des Jeux les athlètes russes et plus globalement pour son soutien à l’Ukraine, l’IBA s’est outrageusement appliquée à «empoisonner le puits» en se focalisant sur la féminité d’Imane et espérer ainsi jeter le discrédit et l’opprobre sur les Jeux et déstabiliser leur déroulement.
Qu‘importe pour cela les retombées d’une telle campagne sur l’intégrité morale d’Imane et sur les relations avec un pays allié de longue date.
La récente diatribe du représentant adjoint russe au Conseil de sécurité de l’ONU s’inscrit dans le même continuum. Alors que la question n’était nullement inscrite à l’ordre du jour, Le diplomate russe à tour à tour dénoncé la France, organisatrice des Jeux, pour ce qu’il considère comme un «manque de respect envers les femmes», le Comité international olympique, dont il a qualifié les actions de «dégoûtantes», et les athlètes qui «n’ont pas passé les tests hormonaux menés par la Fédération internationale de boxe et qui, selon la logique, sont des hommes».
Le diplomate russe, dont la sortie est révélatrice du jeu de Moscou, a aussitôt été remis à sa place par le représentant adjoint de l’Algérie qui a fermement dénoncé «la campagne d’intimidation et de calomnie», ajoutant à l’adresse de son homologue russe que «l’athlète algérienne est une femme sauf pour ceux qui ont un certain agenda politique».
L’attitude de la Russie est en net contraste avec celle de la Chine. Alors que sa boxeuse Yang Liu était engagée dans la finale contre Imane, la Chine s’est abstenue d’exprimer le moindre doute sur la féminité d’Imane ou, encore moins, de participer à la campagne d’abus contre elle.
Les initiatives inamicales russes peuvent étonner mais elles ne sont pas sans précédent. Ce pays est actif dans plusieurs foyers de conflit en Afrique à travers sa milice Wagner, récemment rebaptisée Africa Corps.
Que ce soit en Libye où elle épaule l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar qui combat le Gouvernement d’unité nationale (GUN) de Hamid Dbeiba, reconnu par la communauté internationale dont l’Algérie, ou encore en Mali, la Russie est partie prenante aux conflits qui opposent gouvernements centraux et groupes rebelles, ce qui constitue une source de préoccupation pour l’Algérie qui partage des frontières communes avec ces pays et qui redoute que cette stratégie de brinkmanship n’ait des retombées imprévisibles sur la stabilité de l’ensemble de la sous-région.
Le Comité olympique algérien, qui s’est d’abord gardé d’envenimer les choses face à l’ignominie de l’IBA qui est allée jusqu’à proposer de payer une prime à la boxeuse italienne défaite par Imane a fini par mettre les choses au point par la voix de son président qui, après avoir tenté d’euphémiser son propos, a fini par nommer les choses comme elles sont : «On ne peut pas essayer de tout gérer avec l’argent, la corruption ou les trafics d’influence.»
Placée bien malgré elle au centre des calculs politico-stratégiques de Moscou, Imane a su vaincre cette cabale immonde pour devenir championne olympique, la première du monde africain et arabe, tout comme Joe Louis est devenu champion du monde en 1937, demeurant invaincu jusqu’en 1949 et ne concédant que 3 défaites pour 72 combats. Il s’est éteint en 1981, honoré du titre de boxeur du siècle.
Pour sa part, Primo Carnera, tombé en disgrâce et ruiné par ses managers, prit le chemin de l’exil vers les Etats-Unis où il se reconvertit en catcheur puis en acteur de films de série B avant de mourir en1967 d’une cirrhose hépatique. Il est ressorti de l’oubli en 2015 par le Comité national olympique italien qui lui dédie une plaque, avec d’autres anciens athlètes italiens, dans le Temple de la renommée du sport italien (Walk of fame dello sport italiano) à Rome.
Mussolini fut arrêté alors qu’il s’apprêtait à fuir vers la Suisse. Reconnu par la résistance malgré son déguisement d’aviateur allemand, il sera exécuté et son cadavre exhibé au bout d’une corde à la foule de la Piazzale Loreto à Milan.
L’Ethiopie a recouvré sa souveraineté et Hailé Sélassié son trône en mai1945.
Quant à Imane, elle est restée inébranlable, jusqu’à la réalisation de son magnum opus. Elle a représenté son pays avec élégance et dignité et apporté joie et fierté aux Algériens et à tous ceux qui à travers le monde lui ont témoigné leur soutien. Face aux vociférations et aux vitupérations de ses contempteurs, Imane n’a pas plié, elle est restée sereine, droite, debout. Les youyous, les tambours, les danses et les fumigènes célébrant sa victoire ont fait le reste.
Sans doute, et sans s’en rendre compte, Imane a-t-elle a mis en pratique cette citation prêtée, à tort ou à raison, à Mark Twain, l’auteur de Hucklberry Finn et des Aventures de Tom Sawyer et qu’on pourrait paraphraser ainsi: «Elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l‘a fait.»
Mais ce serait plus à propos de considérer que c’est d’Antonio Gramsci, militant communiste et concitoyen de ses tous premiers négateurs, que lui est venue la véritable inspiration en faisant sienne cette citation qui lui est associée: «Le pessimisme est de raison, l’optimisme est de volonté.»
Maintenant que la victoire d’Imane a mis le vacarme sous l’éteignoir, laissons les petits commerçants de haine ruminer leur échec. Imane, pour sa part, déguste son triomphe pour se souvenir. La vérité est bien plus forte que la calomnie. H. A. T.