Dans un Venezuela en crise, la solitude et l’anxiété des personnes âgées

05/03/2023 mis à jour: 14:24
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Cira Madrid, 83 ans, pendant la visite de Morella Russian (d), de l’ONG Convite, dans son appartement de La Trinidad, dans la banlieue de Caracas, le 30 janvier 2023 au Venezuela

Une vieille chaîne stéréo baigne de musique le petit salon de Cira Madrid, 83 ans. Elle attend patiemment la visite d’une bénévole de l’ONG Convite qui accompagne les personnes âgées en détresse au Venezuela. Emigration des membres de la famille, perte de pouvoir d’achat, appauvrissement du système de santé... l’ONG tente d’aider les personnes âgées à surmonter les conséquences de la grave crise qui secoue le Venezuela depuis 2013. La discussion autour d’un café et de biscuits est plus qu’un goûter, c’est «une lumière» dans le tunnel de la solitude, confie Cira Madrid à l’AFP.

«Bonjour jeune fille !» s’exclame Morella Russian en arrivant. «ça va ? tu prends un bain de soleil ?» Le visage de la vieille dame s’illumine, même si elle explique avoir souffert de douleurs articulaires ces derniers jours. La crise au Venezuela a conduit sept millions de personnes à quitter le pays, soit «l’une des plus grandes crises de personnes déplacées au monde», selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Beaucoup risquent leur vie dans un long et dangereux périple à travers l’Amérique centrale et le Mexique pour tenter d’atteindre les Etats-Unis. Mais la plupart - près de six millions - vivent dans d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Le fils de Cira Madrid a lui émigré en 2015 au Costa Rica. «Il ne m’appelait pas mais il m’a appelé récemment, parce qu’un jour, je lui ai dit : ‘écoute fils, on passe un (mauvais) moment ici’», raconte les larmes aux yeux la retraitée. La crise économique et l’hyperinflation ont réduit les retraites à des sommes dérisoires, ne dépassant souvent pas les 10 ou 20 dollars par mois. Cira Madrid précise que son fils ne lui a jamais envoyé ne serait-ce qu’un «demi-centime». Elle a connu Morella Russian il y quelques mois et au fil des jours cette dernière est devenue plus qu’une simple bénévole pour elle. «Parfois, je suis gênée... de l’appeler, parce que je sais qu’elle a aussi beaucoup de choses à faire, mais pour moi elle est (...) comme un membre de la famille», dit Cira Madrid, qui a récemment surmonté un cancer du sein.

Venezuela compte quelque cinq millions de retraités, selon le gouvernement, qui a lancé en 2011 un programme en direction de ses anciens sans que le bilan de cette aide ne soit connu. Convite dénonce l’isolement des personnes âgées, estimant qu’un demi-million vivent complètement seules et que «beaucoup dépendent du seul soutien familial, de dons, d’emplois informels ou de l’aide humanitaire». Lancée en 2020 dans la région de Caracas, l’ONG entend se développer dans tout le pays. Convite ne vient pas seulement en aide aux personnes isolées, mais aussi aux familles en difficulté. «Notre rôle n’est pas de leur apporter de la nourriture dans une assiette mais de la nourriture pour l’âme», explique Maria Carolina Borges, 58 ans, qui passe beaucoup de temps auprès de Maria Dolorès Jaimes, 76 ans. Contrairement à Cira Madrid, Maria Dolorès ne souffre pas de solitude. Elle vit avec deux de ses quatre enfants, deux chiens et un perroquet. Mais elle angoisse au quotidien de ne pouvoir subvenir aux besoins du foyer familial. «Nous, les volontaires, leur disons ‘vous pouvez’» y arriver, «nous les encourageons», explique Maria Carolina, que Maria Dolorès considère comme une fille. «Elle est très attentive (...) elle m’appelle toutes les semaines», dit-elle reconnaissante. «Elle m’a toujours beaucoup aimée», ajoute-t-elle en étouffant des sanglots vite consolés par Maria Dolorès qui l’enlace affectueusement.

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