Les deux tiers des Chinois vivent désormais en milieu urbain. Dans le canton de Xiapu, des villageois simulent une vie rurale de carte postale. Tout est factice mais les visiteurs accourent, payant jusqu’à 40 euros pour prendre des photos.
Les touristes en quête de paysages pittoresques se laissent séduire par une scène qui semble tout droit sortie d’un passé révolu. Un paysan marche aux côtés d’un buffle dans une brume épaisse, suivi d’une femme coiffée d’un chapeau de paille, sous les regards attentifs de dizaines de smartphones. Dans certaines régions rurales de Chine, des habitants rejouent des scènes de la vie paysanne d’autrefois, une reconstitution qui fascine les visiteurs et continue d’attirer du monde, plusieurs années après que cette pratique a été révélée par le New York Times en 2021.
Cette mise en scène millimétrée, où chaque détail est pensé pour évoquer un mode de vie traditionnel, est accompagnée du bourdonnement des drones et des exclamations enthousiastes des spectateurs. Grâce à la popularité grandissante des photos et vidéos partagées en ligne, le canton de Xiapu, situé dans la province du Fujian, est devenu une destination très prisée. Cet engouement pousse certains voyageurs à débourser jusqu’à 300 yuans (environ 40 euros) pour figurer aux côtés des habitants dans ces décors évoquant une Chine rurale idéalisée, bien loin de la modernité qui a transformé le pays.
Parmi les visiteurs, Liang Liuling, venue du Guangxi, observe le paysage avec nostalgie. Aujourd’hui âgée de 72 ans, elle se remémore sa jeunesse marquée par les années de travail forcé à la campagne durant la Révolution culturelle lancée par Mao Tsé-toung en 1966. Elle se souvient avoir utilisé des buffles pour labourer les champs et sourit en voyant ces animaux aujourd’hui intégrés à une mise en scène touristique.
Depuis les années 1980, la Chine a connu une urbanisation fulgurante, passant d’une population majoritairement rurale à un pays où près des deux tiers des habitants vivent en ville. Cette transformation rapide a éveillé une certaine nostalgie pour une époque perçue comme plus simple, malgré ses difficultés économiques. Sur les réseaux sociaux chinois comme Douyin et Xiaohongshu, Xiapu génère des centaines de milliers de publications où des utilisateurs partagent leurs clichés et conseils pour capturer les meilleures images. Certains villageois vont même jusqu’à brûler des herbes pour créer une brume artificielle, accentuant ainsi l’atmosphère envoûtante des lieux.
Malgré l’aspect factice de cette reconstitution, les visiteurs affluent en nombre, souvent après avoir modifié leurs itinéraires pour découvrir ce décor si photogénique. Huang Jumei, guide touristique accompagnant un groupe de seniors, souligne que pour beaucoup, cette expérience ravive des souvenirs d’enfance liés à la vie agricole.
Ce succès profite aussi aux habitants, comme Chen Weizuo, propriétaire d’un buffle et ancien agriculteur, qui a transformé cette tendance en véritable activité. Il loue des costumes traditionnels et négocie avec les visiteurs le droit de se faire photographier à ses côtés. Il a commencé en empruntant un buffle avant d’acquérir le sien au Vietnam, faute d’en trouver en Chine. Heureux de ne plus travailler dans les champs, il apprécie désormais ses journées à discuter avec les touristes sous l’ombre des arbres, profitant d’une vie bien plus paisible.