Des médecins au Danemark ont entrepris d’adapter la prise en charge des patients non occidentaux souvent victimes de discrimination, angle mort d’un système de santé public généralement jugé fiable et efficace.
C’est le sort d’une patiente originaire d’Afrique de l’Est qui m’a fait comprendre qu’on pouvait et devait faire mieux», explique à l’AFP Morten Sodemann qui dirige la première unité de soins pour les migrants dans le pays scandinave de 5,9 millions d’habitants.
Mariée à un fermier du Jutland rencontré lors d’un safari en Tanzanie, la jeune femme arrive épuisée dans cette région de l’ouest du Danemark. Consulté, un médecin local diagnostique un «choc culturel», se souvient l’universitaire. «Son état s’est détérioré et elle a été hospitalisée pendant mon week-end de garde. Trois semaines plus tard, elle est morte. Elle était séropositive et avait la tuberculose», dit-il.
«Preuve que le concept de ‘choc culturel’ peut être fatal», ajoute le médecin qui s’attache à lutter contre cette notion «basée sur des préjugés.» Cette discrimination, qui prend parfois le nom de «douleur ethnique» ou «symptôme culturel», peut aboutir à des défaillances dans la prise en charge. «Face à des personnes qui ne vous ressemblent pas et qui expriment leurs symptômes d’une manière qui n’est pas familière, le médecin juge que ce n’est rien», tempête-t-il.
Un récent rapport de l’Institut danois des droits de l’homme montre que 84% des personnes issues de minorités ont subi une discrimination ou des préjugés fondés sur leur appartenance ethnique.
Mauvaise expérience
Pour l’ethnographe Nina Halberg, si beaucoup de malades d’origine étrangère vivent des expériences discriminatoires, la plupart rechigne à les qualifier ainsi, préférant parler de ‘mauvaise expérience’. «Ceux nés en dehors du Danemark ne veulent rien demander car le système de santé danois est bon en comparaison de celui qu’ils ont quitté», explique-t-elle. Pour l’universitaire, ce système n’est pas conçu pour appréhender les différentes cultures, ce qui crée d’emblée une inégalité. Il «met l’accent sur la responsabilité individuelle» en disant «on est responsable de sa propre santé, il faut participer au processus», regrette-t-elle.
Pour remédier à ces failles, le centre de soins de Morten Sodemann à l’hôpital universitaire d’Odense (centre) a ouvert des consultations longues et réservées aux patients ayant un problème médical irrésolu dans le parcours de soin classique.
Quelque 250 patients y sont traités chaque année depuis plus de dix ans. Pour obtenir un rendez-vous, «il ne suffit pas d’avoir un nom à consonance étrangère, il faut un problème médical que personne n’a réussi à résoudre», insiste le médecin. C’est le cas d’Ali Hod Roj, d’origine libanaise, baladé d’un spécialiste à un autre sans succès suite à un accident du travail.
A Odense, le quinquagénaire, qui n’a pas été à l’école, a trouvé des soignants à l’écoute et devrait se faire opérer du dos dans des délais raisonnables. «Trois ans, plein de médecins différents qui ne pouvaient pas me soigner. Ici, on m’écoute et on commence à trouver des solutions.» Désormais en confiance, il a pu exprimer ses douleurs.
Entretien d’une heure
«A l’hôpital ou chez le généraliste, ils ont dix minutes pour parler d’un seul problème, c’est souvent très dur pour nos patients car ils ont souvent des problèmes physiques, psychiques et sociaux», explique Ngoc Nguyen. L’infirmière exerce dans l’unité depuis plus de 10 ans et reçoit chaque nouvel arrivant pendant une heure. «Souvent ils nous disent : ‘jamais personne ne m’a demandé ça’», sourit-elle.
Dans la majorité des cas, les malades peuvent être traités dans le centre dirigé par Morten Sodemann, qui se félicite d’une légère évolution des mentalités du corps médical.
Pour l’Association des régions, qui sont responsables du système de santé, le problème de la santé des migrants est avant tout linguistique. «Les étrangers ont souvent des difficultés avec la langue danoise, et il est donc important d’assurer l’interprétation lorsqu’ils se rendent dans les services de santé», a-t-elle indiqué à l’AFP.
Mais, reconnaît-elle, «il reste encore du travail à faire pour garantir l’égalité d’accès et de traitement pour les personnes issues de minorités».