Cent trente-quatre membres de l’opposition et de la société civile qui étaient détenus au Sénégal ont été libérés depuis jeudi, et environ 90 devaient l’être dans la journée de vendredi, selon les chiffres du ministère de la Justice transmis hier à l’AFP.
Ces libérations interviennent alors que des gestes d’apaisement du président Macky Sall étaient attendus pour sortir de la crise liée à son annonce du report de l’élection présidentielle, une décision invalidée jeudi soir par le Conseil constitutionnel. Souleymane Djim, membre du Collectif des familles de détenus politiques, a lui affirmé que «156 détenus ont été libérés» jeudi «et 500 au total doivent l’être» prochainement.
«La pression internationale fait que le président Macky Sall ordonne des libérations», a-t-il dit. Me Cheikh Koureissy Bâ a confirmé jeudi que nombre de ses clients «dans les dossiers montés pour des considérations politiques sont libérés» ou en train de l’être, parlant de dizaines d’entre eux. L’une des principales figures de l’opposition, Ousmane Sonko, mais aussi son second à la tête du parti Pastef dissous, Bassirou Diomaye Faye, l’un des favoris à la présidentielle, sont détenus depuis 2023. Aucune information ne fait état pour l’heure de leur éventuelle libération.
Plusieurs centaines de membres de l’opposition, plus d’un millier, selon certaines organisations de défense des droits humains, ont été arrêtés depuis 2021 dans le cadre de la lutte de pouvoir qui oppose O. Sonko, mis en cause dans plusieurs procédures judiciaires. Le Sénégal est réputé comme étant un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest. C’est l’un des rares pays du continent à n’avoir connu aucun coup d’Etat depuis son indépendance, le 4 avril 1960. Il a élu tous ses présidents au suffrage universel depuis 1963. Le président Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, reste dans l’immédiat silencieux, ses collaborateurs disant «prendre acte» du verdict du Conseil, qui n’est pas susceptible de recours.
Le Sénégal, réputé pour sa stabilité dans une région secouée par les coups d’Etat et les faits accomplis, traverse l’une des pires crises politiques de son histoire post-indépendance depuis l’annonce le 3 février par le président Sall du report de facto de la présidentielle, prévue le 25 février. L’Assemblée nationale a ensuite repoussé le scrutin au 15 décembre après avoir fait évacuer l’opposition de force et prolongé le mandat du chef de l’Etat jusqu’à l’installation de son successeur.
«Impact sur la stabilité»
Cet ajournement a provoqué des heurts qui ont fait trois morts lors de manifestations réprimées, ayant aussi donné lieu à des dizaines d’interpellations. De nouveaux appels à manifester ont été lancés pour hier et aujourd’hui. L’opposition et la société civile ont crié au «coup d’Etat constitutionnel», la première accusant le camp présidentiel de vouloir éviter la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, et suspectant le président Sall de vouloir se maintenir au pouvoir.
Il a lui juré qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, justifiant le report par la crainte d’une contestation du scrutin susceptible de provoquer de nouveaux accès de violence après ceux de 2021 et 2023. Macky Sall avait indiqué la semaine passée qu’il aviserait sur les conséquences à tirer d’une éventuelle invalidation du report. Le Conseil constitutionnel, saisi par des opposants au report, a constaté «l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue», compte tenu du retard pris, et «invite les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais».
Il a réaffirmé le principe d’«intangibilité» de la durée de cinq ans du mandat présidentiel, celui du président Sall expirant le 2 avril. Les interrogations portent désormais sur la date du scrutin et la liste des concurrents. Les «Sages» avaient validé 20 candidatures en janvier.
La Commission économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) «exhorte toutes les parties prenantes à respecter la décision du Conseil constitutionnel, et demande aux autorités compétentes de fixer la date pour la tenue de l’élection présidentielle conformément à cette décision».
L’Union européenne (UE) a également appelé «toutes les parties» à respecter la décision des «Sages» et «à organiser les élections selon la décision du Conseil (...) dans les meilleurs délais».Elle a rappelé que l’UE a déjà exprimé ses préoccupations à propos de l’annonce du report au 15 décembre 2024 du scrutin présidentiel, prévu le 25 février. Cette «décision de report a eu un impact conséquent sur la stabilité et la cohésion sociale du pays», a souligné la porte-parole lors d’un point de presse. «L’UE déplore le décès d’au moins trois personnes dans les manifestations qui se sont tenues dans plusieurs villes du Sénégal, ainsi que le grand nombre de blessés et d’arrestations», a-t-elle poursuivi.
Si les Sénégalais ne votent pas avant la fin du mandat en cours, le président de l’Assemblée nationale, qui assurera l’intérim, aura 90 jours pour organiser le vote, dit-il. Le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, a noté lui aussi que le Conseil paraissait laisser une marge de manœuvre. «Si le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale ont des points de vue différents, il (le Président) doit avoir une situation de hauteur», a-t-il dit à la radio française RFI, soulignant que l’offre présidentielle de dialogue tient toujours.
Dans l’opposition, Amadou Ba a déclaré que «Macky doit organiser l’élection présidentielle avant la fin de son mandat le 2 avril 2024, qui reste la date de passation», a rapporté le quotidien Walf. Amadou Ba est le mandataire de Bassirou Diomaye Faye, numéro deux du parti dissous Pastef, qui a livré au pouvoir après 2021 un bras de fer ponctué d’épisodes meurtriers.
Des centaines de sympathisants de ce parti et des membres de la société civile ont été arrêtés.