La Mission d’appui de l’ONU en Libye (Manul) a exprimé, cette semaine, son «inquiétude» face à de «récentes mesures unilatérales» prises par des «acteurs politiques et des institutions dans l’Est, l’Ouest et le Sud».
De fortes tensions à Tripoli sur fond de craintes d’une escalade militaire entre les camps rivaux de l’est et de l’ouest de la Libye menacent sérieusement l’accord de transition politique signé en février 2021 sous l’égide de l’ONU, selon des experts, a rapporté hier l’AFP.
Le 9 août, des combats ont opposé sans motifs clairs deux groupes armés affiliés au Gouvernement d’unité nationale (GNU), basé à Tripoli (ouest), faisant neuf morts et des dizaines de blessés, près de la capitale. Le 11 août, des dizaines de personnes, parfois armées, ont assiégé un bâtiment de la Banque centrale de Libye (BCL) à Tripoli pour en expulser le gouverneur, selon des médias locaux, avant d’être dispersées.
Le gouverneur Seddik Al Kebir est critiqué par l’entourage du Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, chef du GNU, sur sa gestion du budget et de la manne pétrolière. Ces deux épisodes violents ont fait réagir l’ambassadeur américain en Libye Richard Norland.
«L’apparition de nouveaux affrontements entre groupes armés, ces derniers jours, met en évidence les risques persistants posés par l’impasse politique en Libye», a-t-il dit sur X. Il a également jugé «inacceptable» une éviction forcée du gouverneur, en poste depuis 2012, estimant que la Libye pourrait perdre son accès aux marchés financiers internationaux.
En proie au chaos depuis la mort du dictateur Mouammar El Gueddhafi en 2011, la Libye est gouvernée par deux exécutifs rivaux : le GNU de A. Dbeibah installé à l’Ouest et reconnu par l’ONU, l’autre à l’Est, soutenu par le puissant maréchal Khalifa Haftar. Mardi, le Parlement, qui siège dans l’Est, a de nouveau contesté la légitimité du GNU, affirmant, avec le soutien du camp Haftar, ne reconnaître qu’Oussama Hammad comme chef de «gouvernement légitime».
Imposer de «nouvelles négociations»
Le Parlement a également déchu le Conseil présidentiel, autre organe issu de l’Accord de 2021, représentant les trois régions du pays, de son rôle de «commandant suprême des armées».
En réaction, le gouvernement Dbeibah a estimé que «les décisions du Parlement ne changent en rien la réalité libyenne» car émanant d’un acteur politique qui «se bat pour rester au pouvoir le plus longtemps possible», soulignant que lui-même «tient sa légitimité de l’Accord politique» de Genève.
Entre avril 2019 et juin 2020, le camp Haftar avait tenté de s’emparer de Tripoli mais a échoué in extrémis au terme d’une bataille sanglante. Après un cessez-le-feu, un accord est signé en 2021 à Genève, sous l’égide de l’ONU, instaurant des institutions provisoires, dans l’attente d’élections générales prévues fin 2021. Des scrutins reportés sine die en raison de divergences sur leur base juridique.
Les annonces du Parlement sont «un signal clair que certaines parties veulent faire pression sur la communauté internationale pour obtenir un nouvel accord», décrypte Khaled Al Montasser, professeur en relations internationales à Tripoli.
C’est un «message destiné à la communauté internationale plutôt qu’aux Libyens» pour imposer «de nouvelles négociations», dit-il, estimant qu’après trois ans, le processus de Genève est «un échec politique total provoqué par toutes les parties, libyennes et étrangères».
La Mission d’appui de l’ONU en Libye (Manul) a exprimé cette semaine son «inquiétude» face à de «récentes mesures unilatérales» prises par des «acteurs politiques et des institutions dans l’Est, Ouest et Sud». Elles «accroissent les tensions, sapent la confiance et approfondissent les divisions institutionnelles et les désaccords entre Libyens».
Ces tensions se doublent de craintes d’une nouvelle guerre civile, après des mouvements de troupes de l’Est, annoncés la semaine passée, ayant pour objectif, selon des médias et analystes, une zone du sud-ouest contrôlée par Tripoli.
Cette annonce a suscité la préoccupation de diverses parties libyennes et internationales (Manul ainsi que France, Italie et Etats-Unis entre autres), poussant les forces pro-Haftar à nier toute intention de lancer une offensive contre des positions de Tripoli.
Dirigées par Saddam Haftar, fils cadet du maréchal, elles ont assuré vouloir uniquement «sécuriser les frontières sud du pays». «C’est un ballon d’essai pour sonder les réactions internationales et la préparation militaire» de Tripoli, commente l’analyste politique Abdallah Al Rayes, convaincu que «si le dialogue et la médiation politique échouent, l’option militaire visera de nouveau Tripoli et ce sera une guerre ouverte».