Un soir d’automne à Paris, on laisse ses chaussures à l’entrée de la boutique de mode africaine Laurence Airline, on enfile un vêtement, choisit un instrument de musique, pour un concert privé du chanteur et guitariste nigérian, Keziah Jones.
La créatrice franco-camerounaise Laurence Chauvin-Buthaud, qui fabrique en Côte d’Ivoire, ne défile pas à la Fashion week à Paris, mais elle a ouvert sa boutique au cœur de la capitale en juin pour montrer la mode autrement.
Le défilé «ne va pas être la recherche ultime. Cela fait plus de sens de proposer des expériences où on découvre une nouvelle façon de rencontrer un vêtement, d’être, de porter, d’exister», résume la créatrice dans une interview à l’AFP, avant de s’envoler vers la Côte d’Ivoire, où elle passe la moitié de son temps.
Afin de découvrir sa nouvelle collection, elle a convié une quinzaine d’invités dans sa boutique pour un concert interactif de Keziah Jones, découvert dans le métro à Paris et devenu célèbre en 1992 grâce à son single Rythm is love, avec son style mêlant blues et funk. Après avoir choisi une pièce à son goût et discuté avec le chanteur nigérian, qu’elle habille depuis plus de dix ans sur scène et en ville, chaque invité vibre aux sons qu’il a lui a inspirés.
Quelques semaines plus tôt, le musicien star américain Jon Batiste, portant un kimono Laurence Airline, chantait La bohème avec Emmanuel Macron au piano de l’Elysée, lors d’un dîner de la mode avec le gotha des stylistes internationaux - une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. «C’était une fierté pour moi de savoir qu’il avait une pièce faite sur le continent africain», commente la styliste.
Ce kimono réalisé en faso dan fani, tissu du Burkina Faso, est «empreint de la culture japonaise et fait dans mes ateliers en Côte d’Ivoire. C’était une façon de mettre la beauté de l’Afrique en valeur», ajoute Laurence Chauvin-Buthaud, qui compte aussi parmi ses clients le Belge Stromae, «sensible» aux couleurs et à «la dimension graphique» de la marque.
Authentique
Formée au studio Berçot à Paris et après avoir travaillé pour Louis Vuitton et dans différentes maisons de couture, la créatrice monte sa première collection en Côte d’Ivoire puis ouvre une boutique à Londres dans les années 2000. Elle y travaille avec des matières plastiques et le wax, ce tissu apporté d’Indonésie en Afrique par les Hollandais et que les dessinateurs locaux se sont appropriés.
La manière d’utiliser le wax, dont certains motifs racontent ce qui se passe dans la vie d’une femme (elle n’est pas contente de son mari ou appelle à la fécondité), «était très premier degré» et indissociable de la mode africaine. L’objectif de Laurence Chauvin-Buthaud était de le recontextualiser et de montrer une autre facette de la création, au-delà des clichés. Aujourd’hui, il lui arrive toujours d’avoir recours au wax mais son combat est de valoriser le coton de l’Afrique de l’Ouest, qui est majoritairement exporté pour servir à la fabrication de la mode jetable.
«En Côte d’Ivoire, on a la chance d’avoir le coton qui est filé à (l’usine textile) Gonfreville et, pour moi, c’est aussi important de valoriser tous les matériaux qu’on peut retrouver en Afrique de l’Ouest, leur redonner leur place noble et les réintroduire dans des garde-robes contemporaines.»
Lancée comme une marque féminine, Laurence Airline s’est reconvertie en mode homme face à une «clientèle masculine et très internationale qui a montré beaucoup d’intérêt» pour ses créations. «Je me suis spécialisée dans la chemise qui était pour moi comme un canevas», raconte-t-elle. Aujourd’hui, la styliste propose des vêtements «simples et en même temps forts dans le choix des matières, des couleurs, du graphisme».
Et, cet été, elle a relancé une ligne féminine qu’elle porte elle-même, ayant «eu envie d’incarner ce que je crée». «Depuis le début, j’étais comme un artiste qui fait son truc dans son garage, qui expérimente», mais le temps est venu d’«exister» et de «partager des vêtements et moments authentiques», conclut la créatrice. (AFP)