Contentieux maritime sino-philippin : Manille accuse les garde-côtes chinois d’avoir entravé ses bateaux

10/12/2023 mis à jour: 08:58
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Manille et Pékin entretiennent une longue histoire de différends maritimes en mer de Chine méridionale photo : dr

Les Philippines ont accusé hier les garde-côtes chinois d’avoir tiré à plusieurs reprises avec des canons à eau pour «entraver» trois bateaux du gouvernement près du récif de Scarborough Shoal contrôlé par Pékin en mer de Chine méridionale. 

L’Unité opérationnelle nationale pour les Philippines occidentales a accusé, dans un communiqué, «les navires des garde-côtes chinois d’avoir utilisé des canons à eau pour entraver des bateaux» du gouvernement philippin qui approvisionnaient des bateaux de pêche. 

L’Unité multi-agences philippine a déclaré «condamner avec véhémence les actions illégales et agressives conduites par les garde-côtes chinois et les milices maritimes chinoises». Cependant, selon CCTV, la télévision d’Etat chinoise, les garde-côtes du pays ont eu recours à des «mesures de contrôle conformes à la loi contre les navires philippins qui se sont introduits» dans les eaux autour du récif.

L’ambassadrice américaine à Manille, MaryKay Carlson, a condamné les «actions agressives et illégales» de la Chine envers les navires philippins, tandis que l’envoyé spécial du Japon Kazuhiko Koshikawa, a exprimé sa vive inquiétude «à propos des actions dangereuses» des garde-côtes chinois.
 

Dans une vidéo diffusée par les gardes-côtes philippins, des navires des garde-côtes chinois apparaissent tirant avec des canons à eau sur les navires du Bureau philippin des pêches et des ressources aquatiques (BFAR).

Les équipements de communication et de navigation d’un bateau philippin ont subi des «dommages importants», selon le communiqué de l’Unité opérationnelle philippine.  Des membres d’équipage ont également subi un «inconfort temporaire sévère et une incapacité» après que les navires chinois ont utilisé ce qui semblait être un «dispositif acoustique à longue portée», selon le communiqué.

La mission des navires philippins consistant à apporter du carburant et de la nourriture à plus de 30 bateaux près du récif est «en cours», a précisé l’Unité opérationnelle, accusant les garde-côtes chinois d’avoir déployé des bateaux pneumatiques pour «chasser» les pêcheurs. «Empêcher la distribution d’aide humanitaire est non seulement illégal mais aussi inhumain», a-t-elle dénoncé. 

La surveillance aérienne du BFAR a également montré une barrière flottante réinstallée à l’entrée du récif et gardée par des bateaux chinois, ont indiqué les garde-côtes philippins. Des pêcheurs philippins ont rapporté que les garde-côtes chinois ont installé la barrière tôt samedi, a précisé l’Unité opérationnelle.

Les Philippines ont affirmé le 3 décembre qu’une «nuée» de plus de 135 bateaux chinois s’est déployée autour d’un récif qu’elles revendiquent, jugeant cette présence massive «alarmante». Les bateaux chinois sont «éparpillés» autour du récif Whitsun, que les Philippines appellent récif Julian Felipe, à environ 320 kilomètres à l’ouest de l’île de Palawan, selon les garde-côtes philippins. 

Ce récif en forme de boomerang est situé à plus de 1000 km de la première masse terrestre chinoise notable, l’île de Hainan. Il fait partie de l’archipel des Spratleys, que revendiquent la Chine, les Philippines et plusieurs autres pays riverains de la mer de Chine méridionale.

Les gardes côtes philippins, qui ont déjà repéré 111 navires de ce qu’ils appellent la «milice maritime chinoise» dans le secteur le 13 novembre, en ont compté «plus de 135» quand ils ont déployé deux navires de patrouille la veille, ont-ils indiqué. «Aucune réponse n’a été apportée aux appels radio lancés par les garde-côtes philippins aux navires chinois», ont-ils ajouté. Des images diffusées par les garde-côtes montrent des navires alignés en formation, tandis que d’autres sont dispersés dans les eaux.
 

Incidents multiples

En 2021, quelque 210 navires chinois ont stationné près du récif Whitsun pendant plusieurs semaines, selon le gouvernement philippin. Pékin a affirmé qu’il s’agissait de bateaux de pêche s’abritant des intempéries, mais Manille a rejeté cette explication, affirmant qu’il n’y a eu aucune tempête au cours de la période concernée. Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, y compris des eaux et des îles proches des côtes de ses voisins, et a ignoré la décision d’un tribunal international en 2016 selon laquelle cette affirmation est sans fondement juridique. 

La Chine a pris le contrôle de Scarborough Shoal aux Philippines en 2012. Elle a déployé depuis des patrouilleurs qui, selon Manille, harcèlent les navires philippins et empêchent les pêcheurs philippins d’atteindre le lagon où le poisson est plus abondant. Le récif se trouve à 240 km à l’ouest de l’île principale des Philippines, Luçon, et à près de 900 km de la province du Hainan, terre chinoise la plus proche. 

En vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, que la Chine a contribué à négocier, les pays ont juridiction sur les ressources naturelles situées dans un rayon d’environ 200 milles marins (370 
kilomètres) de leurs côtes. 

Manille et Pékin entretiennent une longue histoire de différends maritimes en mer de Chine méridionale par laquelle transitent chaque année des milliards de dollars de marchandises. Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, y compris des eaux et des îles proches des côtes de ses voisins, et a ignoré la décision d’un tribunal international en 2016 selon laquelle cette affirmation est sans fondement juridique. 

Les Philippines, Brunei, la Malaisie, Taïwan et le Vietnam revendiquent également plusieurs récifs et îlots dans cette mer, dont certaines zones pourraient receler de riches réserves de pétrole.

A son arrivée au pouvoir en juin 2022, le président philippin F. Marcos a prévenu qu’il ne laisserait pas la Chine piétiner les droits de son pays en mer, et s’est rapproché des Etats-Unis. Ainsi, il a œuvré à améliorer les relations avec Washington, un allié de longue date des Philippines, mises à mal par son prédécesseur Rodrigo Duterte. 
Début avril dernier, Manille a mis à disposition de Washington quatre nouvelles bases militaires, dont une base navale non loin de Taïwan. Le 11, les deux pays ont entamé des manœuvres militaires conjointes qui dureront deux semaines. Les tensions entre Manille et Pékin se sont exacerbées au début de l’année après qu’un navire des garde-côtes chinois eut prétendument utilisé un laser de qualité militaire contre un bateau des garde-côtes philippins près de l’atoll Second Thomas. 

Fin avril, la Chine a accusé les Philippines d’avoir «délibérément» voulu provoquer un incident dans les eaux disputées de la mer de Chine méridionale. Accusation qui fait suite à une collision évitée de justesse entre deux vaisseaux de garde-côtes de chacun de ces pays. Fin septembre, le président Marcos a ordonné une opération spéciale pour démanteler une barrière flottante installée par la Chine, selon Manille, à l’entrée du récif de Scarborough.

Fin octobre, Manille a accusé des navires chinois d’être «intentionnellement» entrés en collision avec des bateaux philippins. «Les navires des garde-côtes et des milices maritimes chinoises, en violation flagrante du droit international, ont harcelé et heurté intentionnellement l’Unaiza May 2 et le navire des garde-côtes philippins BRP Cabra» pendant «des opérations légitimes de rotation et de réapprovisionnement dans la zone économique exclusive des Philippines», a déclaré à la presse le ministre philippin de la Défense, Gilbert Teodoro. 

En la circonstance, Pékin a adressé le même jour une protestation «solennelle» par la voie diplomatique aux Philippines, exprimant son «fort mécontentement» et sa «ferme opposition» après «l’intrusion» de navires philippins autour de l’atoll disputé, selon l’ambassade de Chine à Manille.

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