Construire la nouvelle stratégie de transformation numérique de l’Algérie, sur quelle base? (1re partie)

27/01/2024 mis à jour: 17:58
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Pourquoi les informations administratives disponibles en ligne ne sont-elles pas régulièrement mises à jour et qu’il est difficile de trouver des informations de manière rapide et efficace ? Pourquoi les rapports et les statistiques ne sont-ils pas systématiquement accessibles au public en ligne ? Pourquoi y a-t-il encore une forte dépendance aux photocopies de pièces dans les démarches administratives ? Pourquoi les cartes de paiement ne sont-elles pas plus répandues en Algérie pour les transactions en ligne des citoyens ?
 

Pourquoi la connexion Internet et ses débits sont-ils inégaux et peu fiables ?

Ce n’est qu’un échantillon de questions pour mettre en évidence l’impact de l’absence d’une stratégie numérique nationale cohérente et bien implémentée en Algérie, ceci affecte de manière globale le fonctionnement de la société, de l’économie, de la gouvernance en général et du e-gouvernement en particulier.
Pourquoi cet article ?
 

Alors que l’Algérie s’apprête à définir sa nouvelle stratégie de transformation numérique pour 2024-2029, il est plus qu’indispensable d’analyser la précédente stratégie, lancée il y a exactement 15 ans, jour pour jour, et dont plus de 40% sont inachevées à ce jour. 

Notre objectif, dans cette étude, est d’en fournir une évaluation approfondie, extrayant des leçons clés pour orienter la prochaine stratégie algérienne. L’accent est mis sur l’apprentissage des expériences antérieures pour proposer une voie vers un futur numérique plus solide et plus inclusif, adapté aux nouvelles spécificités algériennes. Ce travail vise à reconnaître les progrès et identifier les ajustements nécessaires pour que la stratégie à venir réponde efficacement aux besoins numériques évolutifs du pays. 

L’analyse qui suit entend servir de guide pour contribuer à élaborer une stratégie conjuguant innovation technologique, développement socioéconomique, participation citoyenne et ouverture internationale, visant à accélérer l’actuelle transformation numérique.
L’étude est organisée en deux parties, la première passe en revue les succès et les défis de la stratégie e-Algérie. La seconde propose une analyse débouchant sur une proposition des orientations majeures qui sont basées sur des données concrètes et quantifiées.
 

Qui doit y répondre ?

Le Haut-Commissariat à la Numérisation (HCN), qui succède au ministère de la Numérisation et des Statistiques, a déclaré travailler sur la formulation de la nouvelle Stratégie nationale pour la transformation numérique de l’Algérie pour le quinquennat 2024-2029. Une ré-évaluation minutieuse des stratégies antérieures et un bilan de leurs programmes précédents s’avèrent indispensables.
 

Il est important de rappeler que l’Algérie a lancé au moins trois programmes majeurs de développement technologique et informatique depuis son indépendance. Le premier, en 1969, a été marqué par la mise en place du Commissariat national à l’informatique (CNI) et la création de la première Ecole supérieure nationale d’informatique (ESI, ex INI et ex CERI), ces deux structures sont lancées pour concevoir, structurer, et former la ressource humaine pour accompagner l’informatisation du pays, décidé à moins de 10 ans après l’indépendance.
 

Le second programme, initié en 1979, a lancé les premières étapes du développement de l’industrie informatique avec des projets centrés sur la conception de logiciels, la construction de mini-ordinateurs et le développement de l’informatique arabe lors de l’avènement des micro-ordinateurs.
 

Le troisième, en 1999, a consacré l’ouverture du secteur des postes et télécommunications et introduit la téléphonie mobile et l’Internet, ce dernier jouant désormais le rôle d’accélérateur. Chacun de ces plans a évolué et a atteint, ou pas, ses objectifs, en fonction des ressources disponibles et des situations politiques du moment. Toutefois, c’est avec le lancement du programme e-Algérie en 2009, le quatrième depuis l’indépendance que l’Algérie a connu un véritable changement de cap dans son parcours numérique.
 

E-Algérie, un programme, au cœur de la transformation numérique de l’Algérie

On se propose d’examiner la conception de ce programme, d’analyser son état d’avancement actuel, et de déterminer dans quelle mesure les avancées de numérisation du pays, réalisées jusqu’à présent, peuvent lui être attribuées. Nous explorerons également la méthodologie employée pour évaluer l’efficacité et l’impact de ce programme.
 

1. Genèse et Vision de ce Programme

Le programme «e-Algérie» a marqué une étape clé dans l’élaboration de la vision numérique de l’Algérie. Initié en 2008 par le ministre Hamid Bessalah, le projet a démarré avec la formation d’une équipe multidisciplinaire, composée de membres de son cabinet, de représentants des secteurs public et privé, des membres d’associations, de la société civile et de la diaspora. Il avait pour tâche de concevoir un plan de développement numérique ouvert et inclusif. 
 

Ce processus a impliqué une étude détaillée, incluant des comparaisons entre divers plans de développement nationaux et les stratégies numériques adoptées par des pays modèles. Parmi ces derniers, le Canada, le Japon, la Corée du Sud, la Norvège, le Danemark, la Finlande, l’Inde et la Malaisie ont été sélectionnés pour leur excellence reconnue dans la mise en œuvre de stratégies numériques à la fois innovantes et efficaces. 

Chaque pays présente une approche unique de la transformation numérique, qui se distingue par son adaptation aux contextes socioéconomiques et technologiques propres à chacun.Le choix du Canada et des pays scandinaves, par exemple, reflète leur avancée dans l’établissement d’infrastructures numériques solides et dans l’intégration des technologies dans l’administration publique. Le Japon et la Corée du Sud sont des exemples pertinents pour leur leadership dans l’innovation technologique et l’adoption rapide de nouvelles technologies. 

Quant à l’Inde et à la Malaisie, leur transformation numérique rapide et inclusive, malgré des défis socioéconomiques significatifs, offre des leçons précieuses sur la manière d’optimiser les ressources limitées. En étudiant ces exemples, le programme e-Algérie a cherché à tirer des leçons sur l’intégration efficace des technologies numériques dans divers secteurs, l’importance d’une infrastructure solide, et l’adaptation des stratégies numériques aux réalités locales. Cette approche comparative vise à adopter les meilleures pratiques internationales tout en les adaptant aux spécificités et aux besoins uniques de l’Algérie. Cette phase de conception et de planification a jeté les bases solides nécessaires à la mise en place du Programme, menant à sa prochaine étape clé.
 

2. Élaboration et lancement du Programme e-Algérie

La création du Programme e-Algérie s’est concrétisée grâce à l’effort collectif d’une équipe multidisciplinaire. Après six mois de travail acharné, ils ont produit un document de synthèse de 40 pages détaillant la vision et les objectifs du programme. Ce document était accessible pour consultation et commentaires sur le site web du ministère de la Poste, des Technologies de l’Information et de la Communication. Il est à noter que c’était la première fois qu’un document aussi essentiel pour l’avenir du pays avait été élaboré avec autant de transparence et avec une contribution aussi bien verticale qu’horizontale de l’ensemble de la société algérienne.
La version complète de 490 pages a été remise au Premier ministre le 31 décembre 2008, le projet «E-Algérie 2013» n’avait pas de budget dédié spécifique. Cependant la loi de finances de 2009 a créé le Fond national d’appropriation, de l’usage et de développement des TIC (Faudtic), doté de 5 milliards de dinars, tel que défini dans le Programme. 
 

Avec un budget prévisionnel ambitieux de 385,5 milliards de dinars, e-Algérie avait pour objectif de digitaliser l’ensemble des secteurs nationaux d’ici la fin de l’année 2013, dans le but d’atteindre un niveau de développement numérique comparable à celui des pays modèles. Seulement 60% de ce budget devait être financé par l’Etat, mettant en évidence la nécessité d’une gestion et d’un financement stratégiques rigoureux.
 

Il est remarquable de constater que le programme e-Algérie n’a jamais été présenté ni au Conseil du gouvernement ni au Conseil des ministres. Bien qu’il ait été prévu d’être encadré par une Loi-programme, cette formalité essentielle n’a jamais été réalisée. Lorsque l’on consulte la base de données du Journal officiel, le programme est mentionné deux fois : la première fois dans le cadre d’une critique qui lui a été adressée par le CNES, et la seconde, lorsqu’il a été mentionné dans la loi de finances pour 2009 pour la prise en charge du Faudtic. 

Cette situation est d’autant plus remarquable que le programme était en pleine application sous l’égide du MPTIC. Il a été cité à plusieurs reprises par diverses autorités lors de l’annonce de projets initiés ou finalisés sous son égide. De plus, ce programme a bénéficié d’une visibilité continue sur le site web du Premier ministre, depuis sa mise en place jusqu’à au moins 2018.
 

3. Évaluation du Programme par le CNES

Le Conseil national économique et social (CNES), devenu par la suite Cnese, a reçu la mission d’évaluer le programme e-Algérie. Dans son rapport, le CNES a formulé des recommandations générales, dont la plupart étaient déjà adressées ou explicitement intégrées dans le Programme. La conclusion du rapport suggérait que le MPTIC devrait approfondir le Programme au plan organisationnel, humain, technique, financier, juridique et sécuritaire. Malgré les défis soulevés et une critique apparemment basée sur une analyse superficielle du Plan e-Algérie 2013, le CNES a encouragé la poursuite du programme en respectant le calendrier établi. Au-delà de cette évaluation officielle, il demeure essentiel de confronter le programme à la réalité quotidienne afin d’en mesurer l’impact concret et l’avancée effective, d’où l’intérêt de la présente étude.
 

Son évaluation au contact de la réalité

Le programme e-Algérie, conçu comme un plan quinquennal devant s’achever en 2013, a fait l’objet d’un audit par la Cour des comptes en 2015, révélant que seulement 38% des objectifs avaient été atteints. Ce constat interpellant sur l’efficacité réelle du programme dans la mise en œuvre des technologies numériques en Algérie, a été alors très peu commenté par la presse nationale.
 

Il convient de souligner que le projet e-Algérie a été relancé en 2014, suite à un appel d’offres international. Dans ce cadre, et grâce à un financement de la Banque africaine de développement (BAD), la société de conseil Roland Berger a été choisie pour piloter le «Projet d’appui au recadrage de la stratégie e-Algérie et à l’élaboration de la démarche de mise en œuvre de l’axe e-Gouvernement». Un rapport final a été remis au MPTIC en mars 2017, et le projet s’est conclu en 2018. Toutefois, aucune information publique concernant le suivi, l’utilisation ou les résultats de ce projet n’a été divulguée.
 

Une analyse indépendante a par ailleurs été initiée en 2017, soit quatre ans après la date limite initiale du programme, indiquant un taux d’achèvement de 24,51%, deux ans après celle de la Cour des comptes. Le tableau N°1 présente un récapitulatif détaillé des différentes actions du programme e-Algérie, illustrant l’évolution de la numérisation à travers les principaux axes majeurs du programme. 
 

Cette analyse, réalisée par l’auteur de cet article, montrait le taux d’achèvement global de 57% en 2022. Le détail et ses résultats globaux de cette analyse ont été partagés avec des chercheurs qui l’ont utilisée référencée dans leurs publications respectives. 
 

Tableau N°1 : Comparaison de l’évaluation de l’état d’avancement du programme e-Algérie de 2017 à 2021
L’examen du tableau N°1 et du graphique associé ci-dessous révèle des aspects contrastés du programme e-Algérie. Des progrès notables sont visibles dans des domaines clés comme la mise à niveau du cadre juridique et l’infrastructure des télécommunications, indiquant une évolution positive et un investissement ciblé.
 

Cependant, l’absence de progrès dans des axes cruciaux, tels que les mécanismes d’évaluation et de suivi, soulève des inquiétudes sur la gouvernance du programme. De plus, bien que l’achèvement global ait atteint 57% en 2021, ce résultat reste en dessous des objectifs initiaux, mettant en lumière un écart entre les ambitions et leur réalisation. Ces constats impliquent la nécessité d’améliorer la gestion, le suivi et l’alignement des objectifs avec les ressources disponibles, des leçons vitales pour la future stratégie numérique de l’Algérie.
 

Le mode opératoire utilisé pour évaluer l’état d’avancement du programme e-Algérie 

Dans le cadre de l’évaluation du programme e-Algérie, il est essentiel de comprendre l’évolution des méthodes utilisées pour mesurer son progrès. Cette évolution reflète non seulement les avancées technologiques mais aussi un changement dans la disponibilité et la nature des données. Alors qu’en 2017, une approche plus traditionnelle était adéquate, en 2021, avec l’explosion des données numériques (Big Data) et le développement de l’intelligence artificielle (IA), une méthodologie plus avancée était nécessaire pour une analyse plus efficace et précise.
 

1. Recherche d’informations manuelle combinée avec le BI, en 2017
 

En 2017, la méthode employée reposait sur une recherche manuelle pour la collecte d’informations, combinée à l’utilisation du Business Intelligence (BI). Cette approche débutait par la collecte des informations complètes sur le programme, incluant rapports, publications, presse et tout commentaire ou annonce avéré et recoupé. Elle visait à rassembler aussi les données à travers des moteurs de recherche, réseaux sociaux, et sources humaines. 
Ces données étaient ensuite nettoyées, organisées et analysées via des outils du BI, permettant une visualisation claire de l’état d’avancement d’e-Algérie.
 

2. Utilisation de l’IA et du BI pour une analyse semi-automatique, en 2021

Avec les progrès technologiques et une augmentation considérable du volume de données disponibles, l’approche de 2021 a intégré l’IA et le BI pour une analyse semi-automatique. Des algorithmes d’IA ont été utilisés pour analyser automatiquement les données issues d’Internet et des réseaux sociaux, extrayant des informations clés sur les résultats du Programme. 
 

Cette méthode permettait une mise à jour dynamique et constante des données, avec une combinaison des résultats de l’analyse manuelle et automatisée pour une compréhension approfondie des progrès des axes du programme d’e-Algérie.
 

3. Extensions de cette étude pour mesurer et suivre la numérisation du pays et le degré de sa souveraineté numérique : 

L’approche mise en œuvre dans cette étude pour évaluer le programme e-Algérie est actuellement en phase de test pour vérifier son applicabilité à d’autres domaines, notamment dans l’évaluation du niveau global de numérisation du pays et le suivi de la souveraineté numérique nationale en temps réel. 
Nous aborderons ces développements dans de futurs articles en 2024, mettant en lumière l’apport des technologies de pointe dans l’évaluation des grands projets et initiatives nationales. (A suivre)Dr A. K.

(A suivre)
 

 

 

Par Ali Kehlane , Senior consultant formateur

Consultant en stratégie et management numérique, Spécialisé en IA, Cybersécurité et IoT ex Professeur de l’Ecole Militaire Polytechnique (Ex. ENITA)
*L’auteur de l’article a participé au travaux d’élaboration du programme e-Algérie, en tant que Président de l’Association des fournisseurs de services Internet dès 2008. 
 

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