Comprendre les significations attribuées par la population à la vaccination (2e partie et fin)

07/02/2022 mis à jour: 20:52
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Vaccination contre la Covid-19

En France, ce sont au contraire 80% des patients qui sont en premier lieu informés et orientés par le médecin généraliste (Ward, Peretti-Watel, 2020).

 Ici, l’influence du proche parent nous est apparue décisive dans le processus vaccinal. «J’ai été informée par un membre de ma famille qui habite à proximité du dispensaire. J’ai hésité à me faire vacciner en raison de la peur des effets secondaires rapportées dans les discussions au sein de la famille» (Chérifa, 40 ans, vaccin chinois, première dose). Les tractations au coeur des interactions entre les proches, participent à attribuer ou non du crédit à l’objet vaccin. Les patients sont contraints de s’appuyer sur la famille comme espace à la fois cognitif et de soutien affectif, financier et relationnel important, indiquant précisément la crise profonde des médiations sociales. 

Ce qui renforce la défiance de la population à l’égard des institutions enfermées dans leurs territoires (Mebtoul, 2015). Les proches parents sont souvent dans l’expectative face aux informations laconiques transmises au cours des consultations. L’acte de vaccination, loin d’être de l’ordre de la banalité, met en jeu tout leur corps physique et social. Ils ne cherchent pas mécaniquement à se faire vacciner, mais sont aussi à la quête d’un espace sanitaire qui puisse les accueillir dignement. «C’est mon frère aîné qui m’a informé que le vaccin se faisait au dispensaire.

 C’est beaucoup mieux qu’à la polyclinique remplie de monde où il faut attendre longtemps. Franchement, si ce n’était pas mon frère, j’étais dans l’attente et les hésitations en raison de Facebook» (Amel, 37 ans, 1re dose, vaccin chinois).
Le flou cognitif n’est pas dissipé pour beaucoup de personnes : «J’hésite à me faire vacciner car on a du mal à avoir des informations probantes sur la vaccination. C’est grâce à ma tante médecin au dispensaire, me persuadant que les gens se font vacciner sans aucun problème que je pense enfin me faire vacciner». (Nourredine, 51 ans, enseignant). La confiance se construit dans l’entre soi familial. Elle est de l’ordre de la croyance à l’Autre. La proximité affective et sociale nouée avec ce dernier, est importante. La confiance ne se décrète pas. Elle est peu prégnante dans les institutions socio-sanitaires qui fonctionnent aux rapports de pouvoir et de distanciation sociale. Elles laissent peu de place à une prévention socio-sanitaire de persuasion et de bienveillance. Les patients attribuent à l’acte médical ou paramédical un sentiment d’inachevé, producteur de frustrations des patients conduits à multiplier et à diversifier les recours aux soins, en l’absence de toute proximité sociale qui ne se confond pas avec celle plus géographique où la structure de soins est proche des habitants (Mebtoul, 2015).

METTRE EN PERSPECTIVE LA DÉFIANCE DE LA POPULATION
La défiance de la majorité de la population vis-à-vis des masques, de la distanciation physique, du lavage des mains, et aujourd’hui du vaccin anti-Covid-19, peut aussi se lire de façon diachronique. Les détournements de sens, loin d’être conjoncturels, ont émergé depuis la décennie 1980, faisant prévaloir un modèle de soins curatif. Celui-ci est administré centralement, fonctionnant par injonctions, fragile, anachronique, marqué par des ruptures institutionnelles entre les hôpitaux et les structures dites «périphériques». Il survalorise à l’extrême les médicaments et l’automédication, peu propice à l’écoute de l’Autre.

Il engendre des hiérarchies sociales entre les différents mondes sociaux de la médecine et les différentes catégories de patients. Il est en profond décalage avec les exigences et les attentes de population, centrées sur la continuité thérapeutique, l’écoute attentive de ses maux et de ses plaintes, la dignité sanitaire de la personne. Il a « nourri » et a renforcé la marchandisation des soins (Mebtoul, 2010). Le modèle curatif administré s’ancre dans un système social dominé par la violence de l’argent (Mebtoul 2018). Il ne peut en conséquence que renforcer les errances sociales et thérapeutiques des patients sans capital relationnel. Il encourage les multiples désaffiliations des médecins qui quittent leur lieu de formation (l’hôpital), à la quête légitime de la réussite sociale et professionnelle dans le secteur privé des soins ou à l’étranger. 

De par son hégémonie, le modèle de soins curatif efface à la marge les questions de santé publique : hygiène, environnement social, alimentation, et une prévention plus proche des populations. Celle-ci est caractérisée par un travail de santé plus citoyen, construit de façon autonome et par le bas, attribuant un sens pertinent à une dynamique socio-sanitaire horizontale, valorisant le statut de médecin de famille reconnu comme le médiateur incontournable dans tout le processus de soins.

Le faible taux des vaccinations semble traduire les limites d’un volontarisme politico-administratif centralisé qui fonctionne à vide dans une société. Ses agents sociaux sont conduits en l’absence d’une confiance et d’une reconnaissance sociale, à privilégier leurs propres discours sociaux, leurs imaginaires et leurs doutes à l’égard des normes sanitaires. Il semble difficile d’institutionnaliser la confiance quand celle-ci se fonde sur une construction sociopolitique. Le sentiment de confiance est central pour déployer des engagements collectifs, une mobilisation forte de ses membres. 

Une société sans confiance accentue les ruptures entre les uns et les autres, avec le risque de dislocation du tissu social quand la foi en l’Autre s’efface. Le sociologue allemand Simmel indique au contraire que le sentiment de confiance ouvre un champ du possible dans les interactions dominées par la coopération soutenue entre ses membres, introuvable quand la méfiance domine. En substance, Simmel considère la confiance comme « l’une des forces de synthèse les plus importantes au sein de la société ». 

Par Mohamed Mebtoul , Sociologue
 

Références bibliographiques
Augé M., 1984., (sous la direction), Le sens du mal, Anthropologie, Histoire, Sociologie de la maladie, Paris, éditions des archives contemporaines.
Becker H.S., 2020, Faire preuve. Des faits aux théories, Paris, La Découverte.
Cresson G et Mebtoul M., 1984, (sous la direction), Famille et santé, Rennes Presses de l’EHESP.
Dubet F., 2009, Le travail des sociétés, Paris, éditions Seuil.
Freidson, 1984, La profession médicale, Paris, Payot.
Godelier M., 2015, L’imaginé, l’imaginaire & le symbolique, Paris, éditions CNRS.
Latour B., 1984, Pasteur. Guerre et paix des microbes, Paris, Metailié.
Mebtoul M., 2021, « Dire et faire les vaccins anti-covid en Algérie », https://assafirarabi.com/fr/40536/2021/09/24/dire-et-faire-les-vaccins-anti-covid-en-algerie/
2021, COVID-19. La mise à nu du politique, Alger, Koukou
2018, ALGERIE. La citoyenneté impossible ? Alger, Koukou.
2015, (sous la direction), Les soins de proximité en Algérie. A l’écoute des patients et des professionnels de santé, Oran, L’Harmattan-GRAS.
2010, « La privatisation des soins : l’exemple des cliniques privées », in : Olive J.L et Mebtoul M., (sous la direction), Le soin sociomorphose, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 17-28.
Ward K. et Peretti-Watel P., 2020, « Comprendre la méfiance vis-à-vis des vaccins : des biais de perception aux controverses », Revue française de sociologie, 61-2,243-273.

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