Colombie : Vague raciste face à une candidate afro-descendante à la vice-présidence

03/04/2022 mis à jour: 04:01
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Photo : D. R.

L’ascension politique de Francia Marquez, afro-descendante candidate à la viceprésidence, a libéré une parole raciste dans une Colombie historiquement dirigée par les élites masculines blanches, dont les réseaux sociaux se sont fait la caisse de résonance. 

Elle dit n’avoir «pas été surprise» par ces attaques, dont celle d’une célèbre chanteuse colombienne, Marbelle, suivie par 400 000 abonnés sur Twitter, qui a comparé Francia Marquez au gorille King Kong. Francia Marquez, 40 ans, toujours vêtue d’imprimés africains colorés, se satisfait au contraire qu’elles aient «permis au racisme, sournois mais toujours présent, d’éclater au grand jour». 

Candidate à l’investiture de la coalition de gauche du «Pacte historique» pour la présidentielle du 29 mai, elle est arrivée en deuxième position (785 000 voix) derrière Gustavo Petro (4,4 millions de voix), largement en tête des sondages. 

Sa victoire constituerait un séisme politique dans ce pays d’Amérique latine historiquement toujours dirigé par la droite. Le 23 mars, Gustavo Petro a choisi comme vice-présidente l’écologiste Francia Marquez, au discours féministe et revendicatif qui réclame sans relâche une «justice raciale». 

Depuis, les messages de haine et invectives se sont répandus comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. «Jamais auparavant il n’y avait eu autant de commentaires racistes», indique Amanda Hurtado, directrice de l’Observatoire de la discrimination raciale de l’Université de Los Andes de Bogota, qui a relevé plus d’une centaine de messages injurieux qui ont été retweetés des milliers de fois. 

RACISME «STRUCTUREL» 

Le sénateur du Pacte historique, Roy Barreras, a intenté une action en justice contre Marbelle. La loi colombienne punit d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement toute atteinte «physique ou morale» à une personne en raison de son origine ou appartenance à une ethnie, ce qui inclut l’injure raciste publique. 

La Colombie souffre d’un racisme «structurel» et «historiquement banalisé», explique Cindy Hawkings, avocate de l’Institut sur la race, l’égalité et les droits de l’homme. 

Les communautés noires participent peu à la «vie publique et politique» et ces récents commentaires contre Francia Marquez révèlent «ces relations de pouvoir et de privilège», souligne-t-elle. 

Un seul afrodescendant figure dans le gouvernement du président conservateur Ivan Duque et seulement 11 dans les deux chambres du Parlement et ses 280 sièges. 

A l’échelon régional, seuls quatre départements et leurs capitales régionales sont dirigées par un afrodescendant. 

Francia Marquez n’est pas la seule afro-descendante sur le devant de la scène politique. Luis Gilberto Murillo, 55 ans, ancien ministre de l’Environnement et ex-gouverneur du Choco (ouest), le département le plus pauvre du pays, se présente, lui, aux côtés du candidat du centre Sergio Fajardo. Selon les statistiques officielles, 9,3% des 50 millions de Colombiens s’identifient comme Afro-Colombiens et 30% d’entre eux vivent dans la pauvreté. 

«La politique est antiraciste ou ne sera pas», a proclamé Mme Marquez qui a dû fuir très jeune son département natal du Cauca (sud-ouest) en raison des menaces des paramilitaires et a survécu en 2019 à une attaque à la grenade et au fusil. Les assaillants ont voulu lui faire payer sa lutte pour assurer aux communautés locales afrodescendantes un accès à une eau non polluée. 

Un an plus tôt, elle avait reçu le prix Goldman – également connu sous le nom de prix Nobel de l’environnement – pour son combat. Dans une interview accordée à l’AFP en février, elle disait vouloir représenter «les sans-droits», «ceux dont l’humanité n’est pas reconnue», «ceux dont les droits ne sont pas reconnus». 

Cindy Hawkings estime que, dans son quotidien politique, Francia Marquez «affronte de nombreuses relations de pouvoir basées sur le sexe, le genre, l’ethnicité et la race». 

Car contrairement aux «élites blanches éclairées», ajoute Amanda Hurtado, les communautés noires ont depuis l’abolition de l’esclavage en 1851 été reléguées «aux activités subalternes». La place que prend Francia Marquez «marque une rupture et un jalon», et fait sortir la communauté afro-colombienne «de la marginalité», affirmet-elle.

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