Cinq mois après la demande des mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant : Israël exige l'annulation de la procédure de la CPI

09/10/2024 mis à jour: 00:55
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La CPI subit depuis plusieurs mois des attaques répétées de la part des responsables de l'Etat hébreu - Photo : D. R.

Alors qu’elle n’a toujours pas donné suite aux demandes de mandats d’arrêt internationaux réclamées par le procureur en chef adjoint,  contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a reçu une requête dans laquelle, Israël s’attaque  au procureur en chef, lui reprochant de ne lui avoir pas accordé la possibilité de se défendre. 

Cinq mois après l’annonce par le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, de ses demandes de mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour «crimes de guerre», Israël dépose une requête auprès de la Chambre préliminaire dans laquelle il fustige le procureur, remet en cause la compétence de la juridiction en matière de poursuite de ses ressortissants et le statut d’Etat de la Palestine.

Dans cette longue requête datée du 26 septembre dernier et devenue publique depuis le 4 du mois en cours, l’avocat d'Israël accuse le procureur de ne pas lui avoir donné la possibilité d’enquêter sur les accusations, avant de lancer les mandats, «violant» ainsi, selon toujours l’avocat, «un principe fondamental de la charte fondatrice de la CPI».

Se basant sur d’anciennes décisions de la juridiction et sur l'article 18 du Statut de Rome de la CPI qui régit les actions des tribunaux, l’avocat estime que le procureur «était tenu de fournir à Israël une notification nouvelle ou révisée au titre de l’article 18 (1) lorsque les ''paramètres déterminants'' de son enquête changeaient, comme ce fut le cas après le 7 octobre 2023».

L’avocat explique que «l’ampleur du changement après le 7 octobre se reflète dans deux nouvelles saisines soumises par sept Etats qui ont invoqué, pour la première fois, la compétence de la Cour à l’égard de nouveaux crimes, de nouvelles circonstances et de nouveaux auteurs potentiels  – une nouvelle ''situation de crise''».

Il souligne néanmoins que le fait «qu’une situation nouvelle soit apparue ou que les «paramètres déterminants » de l’enquête du Procureur dans le cadre de la situation existante aient changé, le résultat est le même : une nouvelle notification au titre de l’article 18(1) aurait dû être adressée à Israël afin de lui permettre d’exercer ses droits procéduraux». Dans l’attente de cette notification, ajoute l’avocat,  «toute procédure découlant de l’enquête devrait être suspendue, y compris les demandes très médiatisées de mandats d’arrêt contre le Premier ministre et le ministre de la Défense».

Bien plus. L’avocat rappelle à la Chambre préliminaire de la CPI, qu'Israël «n’est pas partie au Statut de Rome» tout en évoquant «l’absence manifeste de compétence de la Cour sur la soi-disant situation en Palestine», ainsi que «de ses droits en vertu du Statut de Rome de soulever des exceptions de compétence et/ou de recevabilité devant la Cour». Il rappelle que son mémoire a été initialement soumis le 20 septembre 2024, modifié sur instruction de la Chambre préliminaire,  le 23 septembre 2024 pour lire sur la page de couverture «Situation dans l’Etat de Palestine» plutôt que «Situation en Palestine».

Ce changement est effectué sans préjudice de la position bien connue d’Israël selon laquelle la «Palestine n’est pas un Etat».  Dans de longs paragraphes, il met en avant «l’attachement du pays qu’il défend à l’Etat de droit y compris aux principes du droit international» en disant qu’Israël «ne tolère pas l’impunité (…) pour enquêter sur les crimes présumés, les juger et veiller à ce que les auteurs en rendent compte». Il s’attaque au procureur qui «au lieu de notifier à Israël la portée de l’enquête (…) a annoncé brusquement des mandats d’arrêt sur la base d’une enquête (…) Cette mesure reflète un mépris du principe fondamental de complémentarité et une indifférence à l’existence d’une démocratie fonctionnelle».

Représailles  contre les magistrats

Revenant sur la chronologie de la procédure,  l’avocat rappelle que le 1er mai 2024,   l’Etat hébreu avait «notifié», au procureur, qu’il était «disposé et capable d’enquêter sur toute violation présumée du droit international liée au conflit actuel et, si nécessaire, de poursuivre les auteurs de ces actes».

Dans la même notification, il lui a demandé  de «différer toute enquête qu’il pourrait mener sur des actes criminels présumés attribués à des ressortissants israéliens ou à d’autres personnes relevant de la juridiction d’Israël, en faveur des processus israéliens d’examen, d’analyse, d’enquête et de procédure prévus par son système juridique national, comme expliqué plus en détail ci-dessous (…)».

Le 7 mai, le procureur a répondu par une lettre d’une page faisant référence à l’échange de correspondances de mars et avril 2021 et affirmant : «Ayant expressément refusé de présenter une demande de report de l’enquête dans le délai prescrit, Israël n’a plus qualité, en vertu du Statut, pour présenter une telle demande (…) le 12 du même mois, il a annoncé aux médias qu’il avait déposé une demande de mandats d’arrêt.» L’avocat avance un autre argument lié aux événements concernés par la poursuite, pour battre en brèche  la procédure.

Pour l’avocat, «la conduite du procureur dans cette affaire semble avoir été conçue pour bloquer tout contrôle judiciaire de sa décision». En conclusion, l’avocat demande à la Chambre préliminaire «de suspendre toute procédure contre Israël jusqu’à ce qu’une notification suffisante ait été émise».

Cette requête comme celle de l’Allemagne qui l’appuie interviennent alors que l’affaire est toujours au niveau de la Chambre préliminaire et poussent, donc, les délais d’examen de l’affaire encore plus loin. Il est, cependant,  inhabituel et inexplicable que la Chambre préliminaire de la CPI mette autant de temps,  soit près de cinq mois,  à statuer sur les demandes de mandats d’arrêt  du bureau du procureur.

Un retard que de nombreux experts renvoient aux pressions et intimidations exercées sur les magistrats pour que ces mandats ne soient pas exécutés. Dans l’affaire de l’Ukraine, le procureur avait fait sa demande de mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine, le 22 février 2023 et la Chambre préliminaire de la CPI l’a délivré moins d’un mois après, soit le 17 mars de la même année. Il faut dire qu'Israël, avec surtout son allié américain ont mené toute une campagne pour dissuader les magistrats de toute mesure de sanction contre les dirigeants israéliens.

Des lois consacrant des représailles contre les magistrats de la CPI ont été élaborées par le Congrès dont plusieurs membres ont adressé une lettre de menaces aux juges. Aujourd’hui, Israël tente de gagner encore du temps, mais en finalité, la Chambre préliminaire de la CPI sera dans l’obligation de statuer, en raison de la pesante  attente de l’opinion publique internationale, des centaines d’associations de défense des droits de l’homme et de plus d’une dizaine de pays, qui ont engagé des poursuites devant cette juridiction,  contre l’Etat hébreu pour des faits «de génocide, de crimes de guerre et de massacres». 
 

 

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