Une étoile de la constellation de la chanson algérienne et mondiale quitta ce monde des mortels, il y a quatre ans de cela, pour rejoindre la galaxie de l’immortalité.
Un autre monde, loin des tumultes de la vie, pour étinceler dans le ciel de la postérité. Debout et sans se plier tout au long de sa carrière aux aléas des temps perdus, de ces temps où la gloire pèse lourd sur l’humilité qui préside à la naissance de tout génie artistique.
Mais Idir, le prénom que l’on donne à l’enfant qui survit après une multitude d’enfants fauchés promptement par la mort, surtout en cette époque de grande misère et de dénouement criant qui rongeait jusqu’à l’os la population algérienne sous le joug du colonialisme, et que l’on drape de ce petit prénom à la prononciation fluide mais à la symbolique immortelle, car il symbolise la vie et le combat pour la survie.
Idir a été gravé sur la silice de la montagne kabyle à sa naissance, cette montagne qui a résisté aux aléas de la nature et à celui des hommes dans des duels où l’épée de l’ennemi coupe le corps mais n’atteint guère le cœur.
Et c’est ainsi que les blessures guérissent sous l’impulsion du cœur, gardien de l’ordre des ancêtres et matrice qui perpétue la race. Et Idir fut à sa naissance celui qui opéra par sa magie artistique pour protéger la sève de la culture berbère du dessèchement sous la sécheresse des envahisseurs et pour nourrir l’arbre dont les ennemis ne cessaient d’élaguer le feuillage pour en faire une proie facile, aux vents de l’aliénation.
Enfants du pays, ô enfants du soleil
Je vous salue, vous invite, nous essayons
Agréables sont les paroles que soutient le Berbère
Laisse son cri dans le monde vibrer à ton oreille
L’enfant berbère le figuier est ta racine
Comme tu as choisi, bonne aventure
La jument qui t’amène n’est pas parti
Bourgeon berbère la source est à toi
Soyons nous, colombe panthère ou lion
Jour et nuit ensemble nous regardons
Osez dire où nous allons
Demandez comment gravir les échelons.
Si Muhend umhend
Idir, enfant du pays
Loin d’être d’un hermétisme culturel où l’on cultive une culture unique, clôturé et clos de haies infranchissables, Idir était un verger ensoleillé ; enfant de cette étoile de lumière inépuisable et qui éclaire même les endroits les plus improbables où l’obscurité se croit maîtresse du monde et éternels dépositaires des ténèbres des âmes damnées.
Mais n’y a-t-il pas d’esprits souffrants d’où jaillit la lumière du renouveau et dont le cri fait vibrer les oreilles des prisonniers du silence pour les libérer, les délivrer et les faire témoigner le jour où la voix de la justice s’élèvera sur ce monde d’injustice ? La voie qu’a choisi d’emprunter Idir, dès que la conscience a commencé à germer dans son esprit, écoutant déjà les voix des ancêtres, a été celle de la réappropriation de l’incommensurable patrimoine oral kabyle et de l’immortaliser dans un répertoire lumineux.
Des ancêtres qui n’avaient que le verbe pour faire monter à la surface de la langue un volcan de sentiments silencieux. Avec pudeur pour ne pas offenser les saints protecteurs de Kabylie, ils élèvent l’image à son plus haut point, ainsi son regard servira de gardien des valeurs intrinsèquement liées au verbe. Et dans ce sillage de réflexion sur l’importance de la poésie dans l’expression de ce qu’il est interdit à la langue profane de faire, le grand poète kabyle Si Muhand l’exprime dans ce fragment de poème :
Bourgeon berbère, la source est à vous
Soyons colombe ou lion
Jour et nuit, nous regardons ensemble.
Ainsi fut bercé Idir : bercé par des berceuses dans les mains sur lesquelles les sillons d’un labour épuisant sont comblés par la terre si difficile à lui arracher le pain d’une journée. Cette rigidité des mains mêlée aux chants de la berceuse, Idir en a tiré la voix de la lutte et de la passion de la terre. Et comme une féconde reproduction du dernier vers du poème de Si Muhand, cité plus haut, Idir a osé être libre de dire où on va ?
Aigle, écoute mon message
Avant de déployer tes deux ailes
Sois de ceux qui comprennent
Au-delà de la montagne
Enlève mes lettres et dis à chaque ami
S’il y a encore des cœurs tendres
Qu’ils se souviennent de moi
Enfant prédestiné à l’exil.
Idir et les chants de l’exil
Idir a pris le chemin de l’exil, au début des années soixante-dix : un exil qui n’était pas un choix mûrement réfléchi, mais une contrainte tristement vécue et indélébile inscrite dans la mémoire de l’auteur de Sendou, cet opus en hommage à la mère : la génitrice et la mère patrie.
La mère dans les chants d’exil d’Idir est cette messagère de la parole, protectrice des valeurs ancestrales et celle qui veille sur l’héritage des ancêtres.
C’est aussi elle qui incite les hommes à leur rappeler d’aller cultiver la terre et de la défendre contre les innombrables intrus qui guettent le vide des lieux pour en prendre possession. et Idir fut tout au long de sa carrière un des missionnaires choisis par les Saints protecteurs de la Kabylie pour faire résonner la culture berbère à travers le monde et rappeler le sacrifice des ancêtres pour ne jamais prêter le flanc de la dignité aux assauts de l’oubli.
En déployant ses ailes au firmament des musiques du monde, Idir avait préalablement écouté le message des ancêtres pour que la transmission de la parole des justes se fasse entendre sur toutes les montagnes et que sa résonance parvienne à toutes les vallées. et comme personne n’est prédestiné à l’exil perpétuel, Idir revient toujours au pays des siens, sa terre, pour se ressourcer dans la matrice fertile du sol des hommes libres puis repartir dans une fuite qui se renouvelle sur le ailes de son génie artistique pour rappeler la terre d’exil la déchirure de la séparation n’est guérie que par le génie des mots.
Ta chanson était un ruisseau
Ton pays était magnifique
Nous célébrerons toujours ton nom
Ses quatre lettres
Qui ne se prête pas au vent
Ne pas disperser la graine de notre montagne
Le Djurdjura
Montagne qui ne vibre qu’à ses propres chants
Et la fertilité
Avec des tétons sans fin.