Impossible ce jour-là de l’apercevoir à travers l’épais brouillard des mers de l’Antarctique, mais Ian Strachan, chef d’expédition, savait que son navire s’approchait d’un mastodonte glacé : le plus grand iceberg du monde flottait quelque part devant lui.
«Et puis, les nuages se sont dissipés et nous avons vu cette ligne blanche, presque abstraite, s’étendre le long de la ligne d’horizon», raconte à l’AFP Ian Strachan, qui a rencontré l’iceberg pour la première fois dimanche dernier. A mesure que son navire s’avançait, apparaissaient d’énormes crevasses béantes et de magnifiques arcs bleus, sculptés dans le mur de glace.
Certaines arches s’étaient effondrées sous les coups de vagues hautes de quatre mètres, décrit-il. L’iceberg, en forme de dent et baptisé A23a, mesure près de 4000 kilomètres carrés - soit 40 fois Paris. Son poids est estimé à près de 1000 milliards de tonnes et son épaisseur atteint 400 mètres à certains endroits. Faisant route vers le nord de l’océan austral, il se situe actuellement entre l’île de l’Eléphant et les îles Orcades du Sud. L’expédition privée de Ian Strachan, gérée par la société EYOS expeditions, n’a pas été le premier témoin du spectacle. En décembre dernier, le navire britannique de recherche polaire RRS Sir David Attenborough effectuait une mission scientifique en Antarctique, quand A23a lui a barré la route.
«Son heure est venue»
Le chef de l’expédition, Andrew Meijers, se souvient de ce moment magique à l’approche de l’iceberg, le soleil apparaissant, un groupe d’orques passant à la nage... «Il nous a fallu six heures pour le dépasser, à toute vapeur», dit ce scientifique du British Antarctic Survey. L’iceberg A23a s’est détaché de la côte antarctique pour la première fois en 1986, ce qui en fait à la fois le plus ancien et le plus grand du monde. Mais il s’est rapidement retrouvé coincé sur des hauts fonds de l’océan, où il a stagné durant trois décennies. En 2020, Andrew Fleming, également du British Antarctic Survey, avait vu des images satellite suggérant que le géant «vacillait». A23a a fini par se libérer à la fin de l’année dernière, et commencé à s’aventurer vers le nord.
La question d’un lien avec le changement climatique - la banquise hivernale de l’Antarctique a atteint un niveau bas record en 2023 - reste ouverte. Selon Andrew Meijers, cela revient à essayer d’attribuer un seul incendie ou une seule inondation au réchauffement climatique. Andrew Fleming précise néanmoins que la formation de ce genre d’icebergs est un processus naturel et que chaque année, un ou deux immenses blocs de glace se détachent du continent blanc. «Il est plus probable que son heure soit venue et qu’il vive ses derniers mois», pense Andrew Fleming. La «grosse bête», comme il la surnomme, avance au pas. «Le Titanic aurait eu le temps de la voir venir.»
Depuis que A23a s’est détaché du continent blanc, il a suivi peu ou prou la même trajectoire que les précédents icebergs massifs A68 et A76 : en passant par le côté est de la péninsule antarctique et la mer de Weddell, le long d’une route dite «couloir des icebergs».
Des eaux plus chaudes et des vagues plus grandes vont probablement le briser sur sa route, détaille Andrew Fleming. S’il suit les pas de ses deux prédécesseurs, il se dirigera vers l’île de Géorgie du Sud, qui abrite une faune très riche comme les manchots et les phoques. Ce qui soulève une légère inquiétude, car si l’iceberg venait à stationner près de l’île, il risquerait d’empêcher ces animaux d’accéder à leur lieu de nourrissage habituel.
Un scénario néanmoins peu probable. L’iceberg A68 s’était plutôt fragmenté en petits morceaux, rendant la navigation difficile pour les bateaux de pêche, a expliqué Andrew Meijers. Il est donc plus probable que A23a dérive autour de l’île, continue à serpenter vers le nord et finisse par fondre dans des eaux plus chaudes, comme tous les icebergs allant dans cette direction.