Céréales et finance : Un mélange des genres qui divise

26/02/2023 mis à jour: 18:11
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Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, les marchés agricoles ont été pris de panique

La spéculation a-t-elle provoqué l’envol des prix du blé et d’autres céréales avec la guerre en Ukraine? Les financiers et leurs détracteurs semblent irréconciliables sur le sujet et ne parviennent pas à tracer une ligne entre transactions légitimes et spéculation excessive.

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine il y a un an, entraînant une guerre entre deux poids lourds mondiaux de la production de céréales, les marchés agricoles ont été pris de panique et les prix ont bondi de 50% pour le blé et de 40% pour le maïs en moins de deux semaines sur le marché européen. Parmi les coupables : la «spéculation sur les matières premières», a accusé le consortium d’experts internationaux sur l’alimentation durable IPES-Food. Ils ont expliqué, dans un rapport publié au pic des prix en mai 2022, que les stocks mondiaux étaient normaux et qu’il n’y avait donc pas de risque de pénurie. Mais les marchés agricoles sont devenus les rouages indispensables aux échanges entre producteurs et acheteurs. Ils leur permettent de fixer un prix à l’avance, afin d’éviter les fortes fluctuations dues à la saisonnalité des récoltes.

Overdose de financiers

A fortiori à partir de 2000 avec l’arrivée de nouveaux acteurs financiers, dont des fonds spéculatifs, et la création d’une palette d’instruments financiers autour des prix des céréales. La plupart de ces produits financiers sont échangés sans livraison physique des cargaisons. Leur vocation est de se couvrir face aux hausses ou aux baisses de cours, mais aussi de spéculer pour éventuellement empocher des plus-values en cas de pari gagnant. Ils «sont fréquemment utilisés, y compris par les entreprises et les grands négociants de produits agricoles», selon Olivier Le Chevalier, conseiller en stratégie de couverture. Qui intervient ? «De manière générale, les banques commerciales sont dissuadées de prendre des positions spéculatives», assure Carlos Mera, directeur de la recherche marchés agricoles de Rabobank, tout en admettant que «d’autres institutions financières (comme les fonds spéculatifs) vont activement acheter et vendre des contrats à terme de matières premières pour réaliser des profits». L’ONG CCFD-Terre Solidaire a constaté sur le marché français, qui fait référence en Europe, une baisse «massive» du poids des entreprises commerciales «au profit des acteurs financiers» entre 2020 et 2022, explique à l’AFP Valentin Brochard, chargé de plaidoyer. Mais les banques et gestionnaires d’actifs, avec les masses d’argent dont ils disposent, sont omniprésents et d’une certaine manière indispensables: le marché «a besoin des financiers, ils apportent de la liquidité», dit Nicholas Kennedy, d’Euronext, l’opérateur boursier du marché européen.

Impact difficilement quantifiable

«Les matières premières sont considérées comme une couverture contre l’inflation», un moyen de se protéger contre les effets des hausses de prix, explique à l’AFP Jennifer Clapp, économiste spécialiste de la sécurité alimentaire mondiale à l’université de Waterloo au Canada et membre du panel IPES-Food. Avant la guerre déjà, elle a constaté des prix alimentaires record et un afflux d’investisseurs financiers, qui «pensent que si les prix en général montent, ils vont en bénéficier en achetant des matières premières». Le sujet n’est pas nouveau ; en 2008 déjà, lors des «émeutes de la faim», la finance avait été accusée de faire gonfler les prix.  A l’issue de cette crise alimentaire, un rapport du G20 rédigé en 2011 peinait à quantifier l’impact de la financiarisation des marchés agricoles. Le rapport souligne «des signes limités» d’un impact des investisseurs sur d’éventuelles distorsions des prix selon certaines études, mais il ajoute que «selon d’autres points de vue, la plus grande participation des investisseurs financiers a affecté, à certains moments, la volatilité des cours» et a poussé les matières premières à évoluer comme d’autres marchés boursiers. En 2022, l’Autorité française des marchés financiers, qui régule le marché européen de référence, n’a «rien vu qui justifie une action directe de l’AMF». Un dysfonctionnement du marché se serait à son sens vu dans une variation importante des prix, sans lien avec la réalité des récoltes. Pour limiter la spéculation sur les matières premières agricoles, des garde-fous ont déjà été mis en place après la crise de 2008, mais ils sont insuffisants pour plusieurs ONG.

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