Brésil : Sur les téléphones, des langues indigènes (enfin) en toutes lettres

11/02/2024 mis à jour: 01:46
AFP
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La militante indigène et enseignante Vanda Witoto écrit un message en utilisant l’application Linklado

Linklado», est le nom de cette application lancée en août 2022, vocable formé en associant «lin», pour évoquer les langues indigènes, et «klado», dérivé du mot portugais «teclado» signifiant clavier. 

Car le but est bien de mettre à disposition des populations indigènes, vivant dans des régions reculées de l’immense région amazonienne (quand elles bénéficient d’une connexion) aussi bien que dans des centres urbains, un clavier digital adapté. «L’application Linklado apporte beaucoup de bonnes choses pour moi et les peuples indigènes», dit à l’AFP Cristina Quirino Mariano, 30 ans, de la communauté ticuna. 

«Avant, on ne réussissait pas à écrire ce que l’on voulait sur le téléphone». Pourquoi ? Parce que dans ces communautés, tout le monde ne maîtrise pas le portugais, langue officielle du Brésil, et parce que les téléphones vendus dans le pays ne proposent, pour taper ses messages, que les caractères latins utilisés pour cette langue romane.
 

Historiquement orales, les cultures indigènes du territoire, aujourd’hui connu sous le nom de Brésil, ont pénétré dans le monde de l’écrit quand les colons européens ont cherché à retranscrire leurs langues, notamment pour les convertir au christianisme.

Des ressources spécifiques ont dû être trouvées en associant aux caractères de l’alphabet latin un ensemble d’accents et de traits (des signes «diacritiques», disent les linguistes) pour tenter de restituer ces langues.
 

En quatre jours 

Mais rien de tout cela n’était, jusque récemment, disponible sur les téléphones portables, devenus aussi indispensables aux quelque 1,7 million d’indigènes du Brésil qu’aux autres citoyens de ce pays ultra-connecté de plus de 200 millions d’habitants.

Conséquence : faute de clavier adéquat, «les indigènes parlaient beaucoup par messages audio sur leurs téléphones», explique Noemia Ishikawa, coordinatrice du projet Linklado. Cette biologiste de 51 ans rencontrait aussi des difficultés pour traduire ses travaux de recherches et les partager au sein des communautés locales : «J’ai passé 14 ans à réclamer un clavier pour résoudre ce problème». Mais deux étudiants, natifs de la région sans être eux-mêmes indigènes, ont exaucé ses vœux.

Juliano Portela avait alors seulement 17 ans, et son ami Samuel Benzecry 18 ans. Informé du problème, Samuel en parle à Juliano. Ce dernier, qui possédait de bonnes bases en codage, se lance dans la conception de l’application avec son ami. «On a mis quatre jours pour créer l’application, on n’envisageait pas qu’on ferait ça aussi vite», explique Juliano. 

Des tests sont menés dès mai 2022 et l’application, gratuite, est lancée en août de la même année.  Aujourd’hui, «l’application fonctionne pour toutes les langues indigènes d’Amazonie», soit une quarantaine de langues, se félicite Juliano Portela, qui étudie aujourd’hui aux Etats-Unis comme Samuel Benzecry.
 

Traductrices 

Leur invention a été téléchargée plus de 3000 fois. Mais, souligne Juliano, les utilisateurs sont plus nombreux : «Pour les phases de tests on avait utilisé un fichier qu’on envoyait via WhatsApp, certains indigènes se sont envoyé l’archive entre eux avant même la sortie de l’application».

Au-delà de la communication quotidienne, l’application permet la traduction de livres et d’autres textes du portugais vers les langues indigènes. Cela permet ainsi à des femmes de ces communautés de générer un revenu en mettant à profit leurs connaissances des langues locales. Un projet baptisé «Linkladas» a été mis en place pour rassembler ces traductrices.

Rosilda Cordeiro da Silva, 61 ans, en fait partie. Pour cette ancienne professeure de langues indigènes, l’application est quelque chose de «très positif» qui lui permet d’être «plus en confiance» au moment de traduire.
L’application participe également à la sauvegarde de certaines langues indigènes. Vanda Witoto, activiste de 35 ans, tente ainsi de «sauver la langue buré qui est la langue parlée par (son) peuple witoto». «Ce clavier a offert l’opportunité de ne pas utiliser les autres caractères qui ne sont pas ceux de notre langue». 

Au-delà de l’Amazonie, la sauvegarde des idiomes est un défi mondial. La moitié des langues sont vouées à disparaître d’ici 2100, la majorité étant des langues indigènes, selon un rapport publié par l’ONU en 2018.

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