Boualem Gueritli. Réalisateur documentariste, reporter et auteur : «Combien parmi nous savent que les rois normands parlaient arabe en Sicile !»

05/05/2024 mis à jour: 02:52
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Photo : D. R.

Boualem Gueritli est à la fois réalisateur, documentariste, reporter et auteur algérien spécialisé notamment dans la civilisation musulmane. Il collabore depuis 25 ans avec la chaîne publique française France 2 au profit de l’émission «Islam», diffusée chaque dimanche matin. Entretien.

  • Vous êtes réalisateur de métier et avez choisi l’islam dans le monde dans vos travaux. Pourquoi ?

Mon intérêt pour mieux connaître l’islam s’est fait ressentir dès le début des années 1990, alors que l’Algérie s’ouvrait à l’ère du multipartisme, une forte émergence de partis politiques d’obédience islamique imposa sa présence et sa vision de la religion musulmane au sein de la société algérienne.

Puis rapidement arriva l’exil, l’éloignement prolongé, loin de ma famille, de mes proches, surtout lors des fêtes et rendez-vous religieux, creusent davantage ma soif de curiosité sur l’islam et son histoire.

  • S’agit-il d’une volonté de contribuer à redorer l’image de l’islam dans un monde où l’image de la dernière religion monothéiste est ternie par les médias ?

Je ne crois pas que la beauté de l’islam est à démontrer, c’est une réalité sauf pour celle ou celui qui ne veut pas la voir. Néanmoins il est vrai que de nos jours il existe une islamophobie un peu partout en Europe, de plus en plus affichée et parfois même revendiquée avec zèle qui s’évertue à ternir l’image de l’Islam et des musulmans dans le monde.

Aussi, il devient difficile de parler en toute sérénité de l’islam, de son histoire ou d’une thématique liée à la foi des musulmans sans être taxés de prosélytisme, et/ou de provoquer des polémiques inutiles et sans fin.

Pour ma part, en ma qualité de réalisateur, j’ambitionne, depuis près de vingt-cinq-ans, d’offrir un regard objectif et le mieux documenté possible sur l’islam tel que vécu par les musulmans eux-mêmes que ce soit en terre d’Islam ou dans un pays non musulman, en collaboration avec d’éminents islamologues, historiens, sociologues, imams, muftis, chercheurs, et exégètes, musulmans et non-musulmans, toutes et tous connus pour leur probité et honnêteté intellectuelle.

Je garde bien évidemment, dans mon écriture filmique mon style et toute ma liberté esthétique sur la forme, pour mieux rendre compte de certaines complexités et pouvoir raconter une histoire.

  • Qu’en est-il du choix de vos sujets ? Est-ce qu’il émane de votre propre personne ou de la rédaction ?

C’est en fin d’année que nous, membres de l’équipe de rédaction de l’émission «Islam», sommes conviés à faire des propositions de thématique. Parfois des personnalités scientifiques, qui suivent notre émission, nous envoient également des propositions de thèmes.

Le producteur chargé de la ligne éditoriale de l’émission ajoute ses propres propositions, présente son programme thématique définitif au conseil d’administration qui, à son tour, entérine et donne son feu vert pour la production des émissions pour l’année suivante. Rarement, mais il peut arriver que le programme soit chamboulé, au cas où l’actualité s’impose, comme par exemple : une catastrophe naturelle dans une partie du monde, comme ce fut le cas il n’y a pas si longtemps, en Turquie et en Syrie.

  • Qui est le public de l’émission «Islam» ?

Le public de l’émission «Islam» est divers est varié, selon les retours dont nous disposons, il y a aussi bien des musulmans que des non-musulmans, nous sommes bien entendu suivis en France, mais également dans les pays voisins : Suisse, Italie, Belgique et bien d’autres pays, car l’émission «Islam» est diffusée par TV5 Monde.

  • Avez-vous réalisé une émission sur l’histoire de l’histoire de l’islam en Algérie ?

J’ai eu le plaisir en 2009 de réaliser un reportage, pour l’émission «Islam»  diffusée sur France 2, sur le centenaire de la Tariqa Alawiyya à Mostaganem, une rencontre qui m’a permis de faire découvrir les origines et le message de paix et d’amour véhiculé par cette voie soufie guidée par le cheikh Khaled Bentounes.

J’ai réalisé en 2014 un documentaire intitulé : «Islam voix de femmes», lors du congrès international féminin organisé à Oran par AISA ONG, une rencontre très intéressante a réuni féministes, théologiens et adeptes de la spiritualité soufie musulmane.  J’ai également réalisé un reportage sur le festival musical de Timgad pour La Nuit du Ramadan.

  • Vous avez réalisé un film documentaire intitulé : Sicile, l’autre Andalousie. Pouvez-vous nous en parler ?

Oui effectivement, c’était en 2012, nombreux sont ceux qui ignorent que les musulmans ont été présents plus de quatre siècles en Sicile, que l’île a été un véritable carrefour intégré au réseau commercial de l’Islam, que les musulmans ont profondément marqué la culture locale, participé à l’édification de chefs-d’œuvre de l’architecture et contribué à l’essor de l’agriculture et de la science, d’ailleurs le célèbre Al Idrissi a réalisé son travail majeur en Sicile, c’est là où il produira un grand planisphère en argent et un livre détaillé de commentaires synthétisant le savoir cartographique de l’époque.

Combien parmi nous savent que les rois normands parlaient arabe, que le plafond de la chapelle palatine regorge de calligraphies arabes, et que le manteau royal du couronnement de Roger II portait une inscription en arabe avec la date de l’Hégire. 

Votre question m’a replongé dans cette région du monde. J’ai eu beaucoup de plaisir à revisiter l’histoire médiévale de la Sicile pour montrer combien elle fut belle lorsqu’elle était Dar al Islam.

Je me rappelle également de Cesare Tini, qui travaillait à la restauration des mosaïques de la cathédrale de Monreale en Sicile, il m’apprend que c’est en méditant sur les formes géométriques réalisées par les Arabes, qu’il s’est converti à l’islam, nous avons rapidement sympathisé et naturellement commencé à échanger sur la musique, il a saisi son luth et m’a offert un magnifique instrumental sicilien de l’époque médiévale que j’ai pris pour mon générique.

  • La France a eu aussi sa part d’héritage musulman / andalou, mais beaucoup moins visible par rapport à l’Espagne, au Portugal et la Sicile. D’ailleurs, grâce à l’archéologie, la découverte de sépultures islamiques et de monnaies arabes au sud de l’Hexagone en sont une preuve de la domination de l’islam du temps de l’Andalousie. Avez-vous effectué des recherches dans ce sens ?

Mes reportages et documentaires sur l’Islam en France, qui commencent à dater, le premier remonte à 2008, ont surtout porté sur les musulmans eux-mêmes, leur histoire, leur émigration et leur vécu. Car même s’il est établi que les musulmans se sont installés durablement dès le moyen âge dans l’Hexagone, il existe pour chaque région française une histoire singulière.

Dans les Hauts-de-France, je raconte l’arrivée des musulmans mineurs et les travailleurs du textile. Dans le Grand Est et La Bourgogne Franche-Comté, la région a été marquée par le sacrifice des soldats musulmans qui, durant les périodes de combats, ont vécu une fraternité d’armes qui abolissait les différences d’origine et de religion, et dans La Nouvelle-Aquitaine, cette riche région agricole accueillera au lendemain de la Seconde Guerre mondiale les immigrés originaires du Maghreb. Voilà l’approche que j’ai utilisée pour montrer l’islam en France.

  • Votre dernière émission concerne l’islam en Suisse…

Mes deux documentaires sur l’islam sont nouveaux, j’ai tourné en décembre 2023 et monté en janvier et février 2024. Le premier volet, «Islam en Suisse, histoire et intégration», raconte l’arrivée de l’islam et sa visibilité et le second volet intitulé «Visages de l’islam en terre helvétique» aborde les différentes composantes des musulmans suisses, leur mode d’organisation, leur place dans la société.

  • Le mot de la fin....

Aujourd’hui, il est plus que nécessaire d’inventer une nouvelle façon de montrer le spirituel et la grâce de l’acte de foi.J’aime voir le beau en toute chose, aussi tout ce que le beau m’inspire je le montre.

Bio-Express

Boualem Gueritli est un grand-reporter, auteur et réalisateur de nombreux documentaires, reportages et émissions pour France Télévisions et des chaînes étrangères. Depuis près de vingt-cinq-ans, il collabore régulièrement à l’émission «Islam» diffusée sur France 2, certains de ses documentaires servent d’outil pédagogique et sont projetés à des étudiants en master 2 éthnologie, par des enseignants universitaires en France et en Suisse.

Formateur en écriture du film documentaire, des techniques de prises de vue et de tournage pour le reportage et le documentaire, il a été formé par la Radiodiffusion télévision algérienne (la défunte RTA), à l’image puis à la réalisation dans les années dix-neuf-cent-soixante-dix, quatre-vingt et où il avait effectué vingt-deux ans de carrière.

Il a été également engagé politiquement et syndicalement, au début des années dix-neuf-cent quatre-vingt-dix, dans le M.J.A (Mouvement des journalistes algériens), dans le Mouvement pour le renouveau syndical en Algérie et dans le CNSA (Conseil national pour la sauvegarde de l’Algérie).

Il a été aussi membre à la commission éthique des professions du cinéma et de la télévision au sein du CNAV (Conseil national à l’audiovisuel). Elu secrétaire général du syndicat UGTA de l’Entreprise nationale de la télévision algérienne (ENTV), de 1989 à 1993, lui et son équipe ont pu obtenir, rappelle-t-il, des avancées significatives sur des questions, comme la censure, les sanctions et licenciements abusifs, la relance de la production audiovisuelle, et la formation aux métiers de la télévision et du cinéma.

Durant son mandat, la Télévision nationale algérienne s’est dotée d’un règlement intérieur spécifique à la télévision, d’une nouvelle grille des salaires, d’un plan de carrière des personnels, d’une grille de tarification de la production, de l’écriture des scénarios, cachets des comédiens et artistes.

Il compte aussi une riche filmographie dont entre autres : «Islam en Suisse, histoire et intégration  en 2024», «Visages de l’Islam en terre Helvétique», «Egypte un phare de l’islam» en 2022,«Rachid Koraïchi» en 2021, «L’Azerbaïdjan 1re partie  en 2020», «Le Sultanat d’Oman, 1re partie» en 2019.  «Si l’Iran m’était conté, 1re  et 2e parties...» en 2018, «Islam en Indonésie», «Le message par l’esprit et par le cœur» en 2014,  «Al Alâwiyya une voie centenaire» en 2009 et «A vous qui êtes appelés à nous juger…» en 2008.

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