Aux origines du CRUA avec Sid Ali Abdelhamid III - Quand s'accélère l’histoire

04/11/2024 mis à jour: 18:49
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«La guerre elle est fini
Je rentre dans le gourbi
Le père, la mère c’est la folie
Les enfants il est mouri
la femme elle est partie
Et moi je suis assis 
Je pleuri, je pleuri»
 

Chanson attribuée aux tirailleurs algériens  à la fin de la Première Guerre mondiale. Dans les deux précédentes parties de cet entretien, que Sid-Ali Abdelhamid a accordé à El Watan, il a rassemblé pour nous ses souvenirs afin de nous faire connaître les acteurs qui sont dans les starting-blocks pour la phase décisive, qui doit mener l’Algérie vers une étape nouvelle de son destin. Mai 1945 va mettre fin aux grandes illusions et donner raison aux radicaux qui fourbissent leurs armes à l’ombre de leurs colères.  

 

Par Boukhalfa Amazit

 

 

Le MTLD avait donc été créé en 1946... 

Lorsque le Parti ne pouvait pas se présenter avec le sigle PPA, il fallait réfléchir à une autre dénomination. C’est je crois, si ma mémoire est bonne, sur proposition de Brahim Maïza, avocat de profession, qu’il a été baptisé «Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques» (MTLD). C’était le nom sous lequel les candidats du parti se sont présentés aux élections. 


C’est le Congrès qui avait a décidé de la participation. En fait, les tractations avaient débuté à l’ouverture du Congrès, sous la conduite d’Aït Ahmed. Ils ont contacté certains de mes collaborateurs qui étaient en dehors de la Kabylie, comme Abdelkader Hamoudi, toujours vivant, Mahieddine Laghouati de Belcourt, toujours vivant. (NB. L’interview a été réalisée en septembre 2013). Quelques responsables de la Kabylie voulaient carrément organiser un contre-congrès. Pour isoler la direction du Parti. Cette manœuvre n’a pas réussi. Ils ont saisi l’affaire de «l’ordre et du contrordre» du 23 mai, lequel appelait à rien de moins qu’un soulèvement généralisé de la population sous la conduite des militants du Parti engagés dans le pilotage des manifestations du 8 Mai 1945, pour critiquer durement la direction. Je soutiens que si nous n’avions pas donné l’ordre pour soulager la région, les militants de la fédération de Kabylie nous l’auraient reproché. Quand on l’a fait, ils ont protesté.  L’action se prépare. Le 8 Mai a traumatisé les militants. Mais le parti avait fait un geste. Le rapporteur du Congrès était Hocine Lahouel. C’est dans une ambiance tendue que les travaux du Congrès se sont poursuivis, Lahouel en était le rapporteur. C’est à cette occasion que nous avons décidé d’une activité légale sous l’appellation MTLD et néanmoins de maintenir une action clandestine, toujours avec le sigle PPA. Et de créer l’Organisation Spéciale – et non secrète comme l’écrivent certains auteurs, c’est une erreur – une structure paramilitaire autonome, chargée de la formation des cadres, en vue de l’action armée. 


Par ailleurs, les mots Istiqlal ou indépendance étaient strictement interdits sous peine de lourdes condamnations, nous avons trouvé le mot d’ordre «Constituante souveraine» qui est un slogan identique, mais qui ne se prête pas à la répression, vu qu’il ne figurait pas dans le glossaire des mots défendus. En novembre 1947, j’avais été désigné comme membre du bureau politique, car je ne l’étais pas jusque-là, contrairement à ce qu’a écrit Hocine Aït Ahmed que j’avais d’ailleurs remplacé à la tête de la trésorerie, lui ayant été désigné plus tard à la tête de l’OS en raison de la maladie de Mohamed Belouizdad. 
Alger a été confiée à Omar Oussedik. Naturellement, comme j’étais ancien responsable, je ne les ai pas laissé faire comme ils le voulaient, car ils avaient une orientation différente. D’ailleurs il s’en est plaint à Aït Ahmed, lui disant : «Il est toujours derrière moi !» (rires). 


A partir de 1940, l’apport des lycéens, favorisé par le docteur Lamine Debaghine, a été important en nombre et en qualité 

 

C’est vrai, c’est vrai. C’est incontestable.
 

Est-ce que l’apport de ces jeunes a permis un fonctionnement plus démocratique ? Qu’y avait-il de nouveau avec leur arrivée ? 
 

Démocratique non.  Le parti fonctionnait selon le principe du centralisme démocratique. C’était la direction qui décidait. Ils pouvaient faire des suggestions, des propositions, etc. Mais honnêtement, il n’y avait pas encore d’élections, à cette époque. Ce n’est qu’en 1953 que nous avons introduit le fonctionnement démocratique. 
 

Qu’est-ce qui a empêché le fonctionnement démocratique ? 

Principalement, la clandestinité. 
 

Même au sein du MTLD ? Le MTLD n’était pas clandestin…


A vrai dire, le MTLD était tout simplement un sigle. Il y a eu quelques personnes recrutées pour le MTLD, mais en réalité c’est le PPA qui activait sous le couvert d’un sigle légal. Si un militant devait être arrêté, il lui suffisait de dire : «Je suis MTLD». Pour avoir beaucoup de chance d’échapper à une arrestation. Les permanents étaient des clandestins. Par exemple, le président du MTLD était Mezerna, le secrétaire général c’était Lahouel. C’était la façade publique. Mais les autres, les clandestins n’étaient pas connus. 


Quand il y a une déclaration nuancée qui ne prêtait pas à conséquences, nous la faisions au nom du MTLD, mais, en revanche, dès lors qu’elle revêt un caractère politique chargé, fort, c’était le PPA,  En 1946, c’était l’année des élections pour l’Assemblée française. Je tenais la permanence à Alger pour envoyer les militants partout. On en a dépêchés dans le Constantinois, dans les Aurès, en Kabylie, dans l’Oranie. Nous avions choisi l’élite parmi les militants les plus batailleurs. La crème des militants d’Alger qui soutenaient les militants de l’intérieur, car ils avaient une meilleure formation. La plupart étaient instruits en français, donc ils faisaient face à l’administration. L’apport des militants d’Alger était déterminant, de même que pour les élections municipales de 1947. 


En 1947, nous avions remporté une victoire éclatante aux municipales. Le parti a raflé la mise dans toutes les grandes villes du pays. Ce qui a inquiété l’administration. Il y a lieu également de signaler les élections de 1948 qui étaient prévues pour l’Assemblée algérienne. Rappelons que le statut de septembre 1945 donnait à une assemblée algérienne à deux collèges.  


Le parti a décidé de participer. Edmond Naegelen avait été désigné comme gouverneur général en remplacement d’Yves Chataigneau. Dans l’esprit du gouvernement, Chataigneau était «trop mou», donc il fallait un «homme à poigne». La répression s’est déroulée comme annoncée. A la violence des forces colonialistes, il fallait ajouter le trucage des élections. Résultat 9 délégués PPA sont passés et 8 de l’UDMA de Abbas. Et tout le reste, c’étaient les candidats de l’administration. Le seul endroit où on ne s’est pas présenté pour laisser la place à Cheikh Bayyoudh, c’était le M’Zab. Il faut reconnaître aussi que parce que le Parti n’était pas encore bien implanté.  Entre-temps en tant que trésorier général du parti, la veille du premier tour des élections il n’y avait que 16000 francs dans la caisse. J’ai pris l’initiative, parce qu’entre-temps j’avais constitué une commission financière à Alger. J’y avais laissé d'anciens militants qui m’avaient précédé, mes aînés si on veut, comme Mestoul, Mahi ou Messaoudi, bref des militants de l’Etoile nord-africaine des années 1930. Par respect, je les ai réunis, car on ne pouvait pas, par considération à leur âge et leur passé militant, les mettre dans des cellules. La commission financière se composait d’une dizaine d’éléments (dont j’ai cité les noms dans le livre de Ben Khedda). J’ai dit : «Voilà, le Parti a besoin d’argent. Pouvez-vous me prêter de l’argent que je vous rembourserai.» J’ai ramassé immédiatement 1 835.000 francs. Quelqu’un comme Boudjellab, le père de l’ancien ministre de la Santé, m’a donné 600 000 Fr., Rihani Sadek des Aurès, un parent de Ben Boulaïd, devenu plus tard MNA, 600 000 Fr. Hadj Ali, le restaurateur de Tlemcen, 300.000, etc.


Tout cet argent a été remboursé jusqu’au dernier centime.   

Donc on a pu souffler. Il y a des kasmas qui ont pris en charge leurs propres dépenses, comme à Skikda, par exemple. C’est dire que le parti n’avait pas beaucoup d’argent. Par la suite, il y a eu quelques entrées avec les élus, mais c’était bien modeste. 

Ce n’est qu’avec l’Assemblée algérienne qu’il y avait un peu plus d’argent, car les élus étaient à Alger donc…
…Malgré la modestie de leur situation, les militants cotisaient…


50 francs, c’était peu. Malgré cela, certains vendaient des œufs pour s’acquitter de leur cotisation. Un pain coûtait 5 francs. Avec ça, nous avions créé le comité de soutien aux victimes de la répression. Chawki Mostefai et moi-même, avions été désignés pour constituer ce Comité. C’est ainsi qu’on a fait appel à Saad Dahleb, l’avocat Amar Bentoumi, et d’autres patriotes, nous avions créé ce comité pour soulager les détenus et en même temps assurer leur défense comme si c’était un groupement indépendant.
Je me rappelle nous avons été voir quelques personnes, comme  Dr Aouchiche qui était médecin à la rue Tanger pour qu’il participe. Il nous avait donné 5000 francs, ensuite nous sommes allés à Belcourt chez un autre médecin, il nous a donné une certaine somme, mais il ne voulait pas se «compromettre». 


Ces personnes comme les médecins ou les avocats ne militaient-ils pas au sein de partis libéraux, comme l’UDMA par exemple ? 

En vérité l’UDMA n’avait pratiquement pas d’organisation. Il y avait quelques éléments qui se réunissaient une fois toutes les Saint Glin-Glin. Mais ils avaient de l’argent. Ils finançaient les oulémas pour se couvrir. Dans tout leur historique, vous ne trouverez pas un membre des oulémas ou de l’UDMA arrêté. Ce n’est qu’après 1945 qu’il y  avait eu des arrestations. Bachir El Ibrahimi a été en résidence surveillée à Aflou, même après les manifestations du 8 Mai.  Lorsqu’on a commencé à s’organiser par la suite, on a découvert les erreurs de l’OS. Jusqu’à présent, je n’ai pas voulu trop en parler. Il y a eu l’action de la poste d’Oran, pour laquelle Aït Ahmed nous avait consulté, Lahouel et moi, pour donner notre accord. Nous nous sommes rencontrés à Sidi Bennour. Je suis allé plusieurs fois chez son beau-frère, on a eu «l’affaire dite berbériste» qui a entraîné une sérieuse crise. Ici, je vous demanderai d’éteindre votre enregistreur, car je refuse les polémiques stériles. 


A ce propos, que pensez-vous de ce texte qui avait été initié par Belhocine, Hennin, Hadjerès, intitulé «Vive l’Algérie» et qui a été signé Idir El Watani ? 


Je ne l’ai vu qu’après l’indépendance. Tout ce qu’on leur reproche c’est de soulever de tels problèmes pendant la lutte contre le colonialisme. C’est comme ceux qui soutiennent que le Parti n’a pas de doctrine. D’abord, entre nous, il n’y avait pas une tête pensante pour élaborer une doctrine. Le Parti n’avait pas de penseurs, de doctrinaires etc. 


A ce moment-là, il y avait ceux qui proposaient l’islamisme, d’autres le socialisme, d’autres encore d’autres idéologies. Nous tenions pour notre part à ce que ces questions soient reportées à l’indépendance. Je suis moi-même kabyle, Amrani Saïd est kabyle, mais nous avions écarté cette question. 


Le Parti a pris soin de nommer Aït Ahmed pour l’envoyer en France, puis au Caire.
 

Voulez-vous que nous revenions, juste un instant, sur attaque de la poste d’Oran, à propos de laquelle vous avez évoqué des «erreurs» ?

La poste d’Oran est une erreur d’organisation. Il y a eu trop de monde pour peu d’effet. Pour trois millions de centimes, on a fait trop de bruit. Ils ont intégré des gens dont ils n’étaient pas sûrs. Les Français pensaient que c’était un coup de Pierrot le Fou. Ce n’est qu’à l’arrestation de Fellouh, restaurateur à Mostaganem, militant engagé dans l’affaire, ils ont trouvé chez lui un maquisard kabyle. Il leur a dit : «Je vais vous donner mieux que ça : les auteurs du coup de la poste d’Oran.» Alors que les autorités pensaient qu’il s’agissait d’un coup du célèbre bandit parisien.  


Il a donné tous les éléments, c’est ainsi qu’ils ont découvert les auteurs du hold-up. 
Par la suite il y a eu l’histoire de l’OS en 1950. 

A ce propos, il en est qui contestent la thèse de la bavure de Souk Ahras… Ce serait plutôt Belhadj Djilali qui serait l’auteur du détricotage.  

J’ai vécu cela. Si c’était Belhadj, il y a des types qui travaillaient avec Reguimi Djilali. Il aurait pu donner Zeddine, nous nous sommes réunis chez lui. Il y a eu la lettre il aurait pu donner les participants. Or, moi, j’y ai participé. Il ne m’avait jamais désigné comme étant responsable à un haut niveau.  Il y a des militants qui ont faibli. Ils n’ont pas tenu le coup sous la torture. Ben Bella est arrivé à la fin. Il a parlé après.  Tous ceux qui ont été arrêtés avec un pistolet ne l’ont pas utilisé. Aussi bien Ben Bella qu’Omar Oussedik, Bennaï Ouali. A quoi ça sert de porter une arme quand on ne l’utilise pas.  Dans l’organisation, il y a eu un peu trop de camaraderie. Comment les responsables pour l’organisation politique désignaient les éléments pour les intégrer dans l’OS. Les éléments de l’OS, ce sont eux qui choisissaient parmi les militants, ceux qu’ils voulaient. «Détachez-moi X ou Y». Le secret n’a pas toujours été respecté scrupuleusement. Avec ça, j’ai découvert après l’indépendance les responsables de l’organisation, par exemple, de Annaba n’ont pas été sérieux dans le recrutement. Le règlement disait que les éléments de l’OS doivent être âgés entre 20 et 30 ans. Ils ont recruté des jeunes de 17 – 18 ans. Ils ont recruté des pères de famille illettrés de 50 ans et plus. C’est de la pure folie. Mais je n’ai découvert cela qu’après l’indépendance.  Il y a eu beaucoup de faiblesses chez nombre de dirigeants. J’ai vécu avec eux à Blida, lorsqu’il y a eu l’ordre du Parti, j’avais donné les instructions quant à Belhadj.  L’idée du complot avait été débattue par la direction, mais elle était venue de Cherchalli. Il a préconisé qu’il fallait demander aux autorités coloniales de démontrer que le parti était impliqué et qu’il s’agissait en fait d’un complot de l’administration pour le discréditer et le sanctionner. 

Donc, il fallait rejeter la responsabilité sur l’administration pour éviter justement la dissolution du MTLD. Et le stratagème a réussi. Par la suite, quand j’ai été mis en liberté provisoire, Belhadj s’est retourné. Il s’est rendu chez le juge et  lui a dit qu’il existait «réellement une organisation et ceux qui m’ont incité à me taire c’est Ahmed Ben Bella, Sid Ali Abdelhamid». Ben Bella et moi avions été convoqués. Naturellement on a nié les accusations de Belhadj. Quand je suis sorti, le juge m’a dit je vous aurai tôt ou tard… Mais il ne m’a jamais eu ! 



Prochain article 
IV et FIN – PUIS VINT LE VENT 
DE NOVEMBRE…

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