Engagée très jeune en France contre l’occupant allemand (39-45), la résistance sera un mode de vie pour Annette Roger qui vient de rendre l’âme. Elle restera comme l’une des figures humaines et fraternelles à laquelle l’Algérie doit beaucoup.
Dans les années 50, elle s’engagea tout naturellement dans le soutien à la lutte algérienne pour l’indépendance, en aidant les nationalistes algériens. Dans un magnifique et tendre portrait diffusé en 2019 sur France 3 Côte d’Armor sous le titre «Une vie d’Annette», elle disait : «En fait, ce que je veux, c’est assez simple, c’est que personne n’oppresse personne, qu’aucun homme n’oppresse un autre homme et qu’aucun Etat n’oppresse un autre Etat.»
NEUROLOGUE, SCIENTIFIQUE DE HAUT NIVEAU ET RÉSISTANTE
En raison de son soutien aux Algériens (nombreux à trouver asile chez elle), elle avait été arrêtée à Marseille en novembre 1959. Le journal Le Monde (13/11/1959) lui avait consacré un article où on lisait : «Elle déployait une activité secrète en faveur des membres du FLN. C’est ainsi que la police a établi qu’elle avait hébergé chez elle, dans son appartement au n° 66 du boulevard Notre-Dame, le chef de la wilaya Sud avec qui elle a été arrêtée près de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard. On suppose qu’elle aurait également offert asile à des chefs communistes chinois et algériens lors de leurs passages secrets à Marseille.
Ces visites ne devaient pas tarder à alerter la police. Celle-ci trouva étranges les déplacements vers Paris que Mme Roger accomplissait au début de chaque mois à bord d’une 403 noire, qui était la propriété de la clinique où son mari dirigeait le service de neuro-psychiatrie. Cette voiture, dont elle pouvait se servir à son gré, fut prise en filature par les services de la DST. Les enquêteurs remarquèrent que Mme Roger, chaque fois qu’elle se déplaçait vers la capitale, changeait d’itinéraire, empruntant tantôt la route nationale 7, sur la rive gauche du Rhône, tantôt la route située sur la rive droite du fleuve. Ils avaient également noté la présence constante, à bord de la 403, d’un individu de type nord-africain».
Le même journal exprimait la surprise que ce soutien aux Algériens provienne d’une femme de ce milieu aisé et bourgeois : «L’annonce de l’arrestation, en compagnie du chef de la wilaya France-Sud du docteur Annette Roger, neurologue et militante communiste, a jeté un vif émoi dans les milieux médicaux de Marseille. Femme d’un médecin, médecin elle-même, mère de deux enfants âgés de huit et dix ans, elle était la belle-fille du professeur Henri Roger, de la faculté de médecine de Marseille, qui mourut en 1951.»
Le journal parisien du soir rappelait quand même que la jeune femme était une ancienne résistante, ce qui paraissait l’étonner : «Née Annette de Beaumanoir, originaire de Saint-Cast, en Bretagne, elle avait dès l’âge de dix-huit ans pris une part active à la Résistance. Après la libération elle était devenue, en même temps que son mari, une militante active du parti communiste. Le couple quitta le parti en 1956, lorsque les élus communistes eurent voté les pleins pouvoirs au gouvernement de M. Guy Mollet pour sa politique en Algérie.
Mme Annette Roger, qui est âgée de trente-six ans, avait accompagné en 1957 son mari en Russie, pour faire à Moscou un stage à l’Institut du cerveau. A Marseille elle avait travaillé dans un laboratoire de neuro-physiologie. Elle avait quitté ce laboratoire il y a un an pour gagner Paris : elle y faisait soigner l’un de ses fils et poursuivait en même temps, au Centre national de la recherche scientifique, des travaux sur l’activité électrique du cerveau en relation avec la psychologie.»
ELLE PARTICIPA à LA RELANCE DE LA SANTÉ EN ALGÉRIE EN 1962
63 ans après, ce portrait dressé par Le Monde est très juste. Ce qui se passe par la suite est mémorable. Condamnée à 10 ans de prison, elle s’évade et rejoint la Révolution algérienne. Un jour dans sa demeure secondaire où elle venait régulièrement dans la Drôme, elle nous racontait sans vantardise les péripéties rocambolesques qui la firent arriver à Tunis. Elle y succéda au docteur Franz Fanon, se consacrant aux soins des soldats traumatisés de l’ALN dans les camps de Tunisie.
Puis elle rejoint l’Algérie indépendante en 1962 pour travailler à la reconstruction algérienne du système de santé, auprès du ministre algérien de la Santé, Mohamed Seghir Nekkache, avec qui elle travaillait déjà en Tunisie. Elle participa à la réorganisation de la médecine hospitalière. Elle nous racontait ses mésaventures douloureuses d’alors et les défaillances des abus de pouvoir dont elle fit les frais lors de ses premières années en Algérie. Elle s’en était affranchie dans son livre Le feu de la mémoire (Editions Bouchène - Paris - 2013).
Le coup d’Etat de juin 1965 signera la fin de son expérience algérienne. Clandestine, elle réussit là aussi dans une aventure risquée et dangereuse à quitter le pays via la Tunisie pour rejoindre la Suisse puisqu’elle ne pouvait pas rentrer en France où elle avait été condamnée en 1959. Elle se réfugia en Suisse, où elle exercera pendant 25 ans à l’hôpital universitaire de Genève.
Paris
De notre bureau Walid Mebarek
El Watan présente ses sincères condoléances à la famille de la défunte.