Les Chiliens sont appelés aux urnes demain dimanche pour décider de l’adoption ou non d’une nouvelle Constitution, d’inspiration conservatrice, en remplacement du texte en vigueur depuis 1980 et la dictature du général Augusto Pinochet. Le président chilien de gauche Gabriel Boric a estimé en novembre que ce référendum serait la dernière tentative de réformer la Constitution.
En septembre 2022, une première proposition rédigée par une Assemblée constituante majoritairement de gauche et soutenue par M. Boric, avait été rejetée dans les urnes. Elle devait instaurer de nouveaux droits sociaux, en matière d’éducation, de santé ou de logement, reconnaître des droits aux peuples autochtones ou encore le droit à l’avortement.
Les sondages, interdits depuis deux semaines, prévoient un rejet à une large majorité du nouveau texte, malgré un nombre élevé d’indécis. La révision de la Constitution de l’ère Pinochet (1973-1990), considérée malgré plusieurs réformes comme un frein à toute réforme sociale de fond, avait été actée pour contenter le mouvement social de 2019 contre les inégalités qui a fait une trentaine de morts et des milliers de blessés.
Cependant, le texte soumis dimanche aux électeurs a été paradoxalement rédigé par ceux qui défendent l’héritage de Pinochet, après la victoire de la droite ultra-conservatrice au scrutin organisé en mai pour élire les membres qui allaient former le Conseil constitutionnel chargé de rédiger une nouvelle loi fondamentale.
En conséquence, le projet de Constitution conserve un caractère conservateur et «se situe entre la Constitution de 1980 et une plus à droite que celle de 1980», explique à l’AFP Claudia Heiss, politologue à l’Université du Chili. La nouvelle loi comporte cependant quelques différences sur l’avortement, l’éducation, la sécurité publique, le système politique et l’impôt foncier sur les résidences principales, proposition la plus décriée car elle favoriserait les plus riches.
«Proposition dangereuse»
La question de l’avortement est également polémique, «dangereuse même», estime Catalina Lufin, 22 ans, présidente de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili, car elle «nous fait reculer en matière de droits fondamentaux». L’avortement était totalement interdit au Chili jusqu’en 2017 quand une loi l’a autorisé mais seulement en cas de risque pour la vie de la mère, viol ou fœtus déclaré non viable.
La Constitution actuelle «protège la vie de celui qui va naître», mais le nouveau texte proposé par la droite ultra-conservatrice va au-delà, en faisant de l’embryon une personne, rendant ainsi plus difficile la justification d’un avortement.
«Nous, jeunesse républicaine, prenons l’engagement d’être une génération pro-vie et qu’il n’y aura pas de loi sur l’avortement», affirme le président du Mouvement des jeunes du Parti républicain (extrême droite), Cristobal Garcia, 27 ans. Sans financement, le désir d’une «éducation publique, gratuite et de qualité» disparaît, craint en outre Catalina Lufin.
Au contraire, M. Garcia juge que «le texte renforce ce qui fonctionne bien aujourd’hui, comme la possibilité de choisir différents projets éducatifs et l’autonomie que peuvent avoir les établissements d’enseignement supérieur».
Le nouveau texte reconnaît en revanche pour la première fois les peuples autochtones, une aspiration de longue date des peuples indigènes, majoritairement Mapuche, qui représentent environ 12% de la population, mais ne répond pas à leur demande de plus d’autonomie. Sur les retraites, le texte maintient l’existence de deux types de régimes, l’un public et l’autre privé, tout comme pour la santé.
Sur le plan politique, il réduit le nombre de parlementaires (138 contre 155) et impose un minimum de 5% des votes (soit 8 députés) pour la création d’un parti afin de réduire l’atomisation des forces au sein du Parlement.
«Il s’agit d’une Constitution adaptée à notre époque, qui clôt un chapitre de bouleversements sociaux», assure Fernanda Ulloa, étudiante en sciences politiques de 24 ans et présidente du Mouvement des jeunes du parti Evopoli (centre droit). Mais Andrès Calfuqueo, étudiant en sciences politiques d’origine Mapuche, assure qu’elle ne le «représente pas». «Elle est née d’un processus qui promettait d’unir les Chiliens mais qui a fini par les diviser.»