Alors que le parquet réclame la confirmation d’une peine de 10 ans de prison : Sellal et Ouyahia se disent victimes d’une affaire politique

11/05/2022 mis à jour: 10:07
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Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia

Le procès en appel des deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, lié à l’affaire Condor, s’est ouvert hier devant la chambre pénale près la cour d’Alger, en présence du représentant de la société GB Pharma, appartenant aux frères Benhamadi, poursuivie en tant que personne morale. Dès l’ouverture de l’audience, la défense a fait état de vices de procédure et demandé à ce titre «l’annulation de la poursuite». 

D’abord en soulevant le caractère «d’inconstitutionnalité» de la poursuite étant donné, a expliqué Mourad Khader, avocat de Sellal, que la Constitution avant et après sa révision «prévoit une cour spéciale pour juger les faits commis par le Premier ministre dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. De ce fait, et en vertu de l’article 138 de la Loi fondamentale, cette juridiction n’est pas habilitée à juger le prévenu». 

Pour Me Khader, l’affaire est «purement politique. Elle n’a aucun lien avec le pénal. Il est donc plus judicieux que cette instance décide de déférer le prévenu devant la Cour constitutionnelle». L’avocat estime que l’argument selon lequel, en absence de cette cour, les prévenus comparaissent devant les juridictions ordinaires est «inacceptable». 

Abondant dans le même sens, l’avocat d’Ahmed Ouyahia, Mohamed Benkraoula, s’offusque de ce qu’il a qualifié «d’acharnement» contre son mandant depuis 2019 : «Sa mission est de diriger la politique générale du pays. C’est une honte de le voir condamné à plusieurs reprises pour ‘‘octroi d’indus avantages’’ ou pour la ‘‘signature de contrat en violation des marchés publics’’. Politiquement et juridiquement, le Premier ministre est comptable de ses actes devant le Parlement.» L’avocat ajoute : «Ce dossier est le seul où on a séparé les hommes politiques des hommes d’affaires alors qu’ils sont liés par les faits. Aujourd’hui, que les hommes d’affaires sont relaxés, nous nous attendons à une décision en leur faveur, sinon il y aura une contradiction flagrante.» 

La juge appelle Abdelmalek Sellal à la barre et lui cite les griefs retenus contre lui : «Abus de fonction, octroi d’indus avantages dans le cadre de marchés publics en violation avec la réglementation et financement occulte de la campagne électorale du défunt Président déchu, pour un 5e mandat.» Elle l’interroge sur le contrat signé entre Mobilis et Condor pour l’acquisition d’un pack de téléphones et de tablettes Condor, avec des puces de l’opérateur public. Il nie tout lien avec ce marché : «C’est une affaire commerciale. Elle ne me concerne pas.» La présidente : «Vous êtes ici pour avoir signé deux instructions qui, au vu de l’enquête, ont conduit à ces contrats.» Sellal : «Le Premier ministre n’est ni ordonnateur ni chef d’ouvrage. Je n’ai rien à avoir avec ce contrat (…). 

Le terrain dont GB Pharma a bénéficié lui a été affecté par le wali en juin 2012.» La présidente insiste sur l’instruction de 2015 qu’il avait signée et qui a «permis» à Condor de signer avec Mobilis, Sellal répond : «Cette instruction n’était qu’un rappel de la loi. En 2014, il y a eu une chute drastique des revenus de l’Etat, en raison de la baisse des prix du pétrole. Nous devions préserver nos ressources. Le Président m’a ordonné d’encourager la production locale afin de réduire les importations. J’ai rappelé l’application de l’article 25 du code des marchés, qui fait obligation d’accorder la priorité aux entreprises algériennes. L’instruction a été transmise aux ministres et aux walis et non pas à Mobilis qui, faut-il le rappeler, n’est pas concerné par le code des marchés publics. Pourquoi avoir cité uniquement Condor alors que Mobilis a signé avec Nokia, Ericsson et Iris ? Cette instruction est légale.»

«Il est insensé de m’accuser de faits qui ne relèvent pas de mes prérogatives»

La présidente : «L’avenant de ce contrat a été signé en 2016. Etiez-vous au courant que le lors de l’enquête, le DG de Mobilis avait reconnu que le conseiller Belkessam, décédé il y a quelque temps, a fait pression sur lui pour évacuer les dettes de Condor.» Sellal : «Je suis Premier ministre. Si j’ai un problème, j’appelle le ministre des Télécoms. Je ne vais pas faire intervenir un quelconque fonctionnaire pour régler une affaire de dettes (…).» La présidente revient sur le financement de la campagne électorale et Sellal s’explique : «Lorsque le défunt Président m’a nommé directeur de la campagne, j’ai conditionné mon accord par le fait que volet finance et celui de la communication ne fassent pas partie de ma mission. Le candidat a nommé Chayed Hamoud, décédé il y a quelques mois, comme trésorier.» 

La présidente : «Chayed a nié avoir été trésorier.» Sellal : «Le compte a été ouvert au nom de la campagne électorale. Bouteflika s’est présenté en tant que personne et non pas en tant que parti.» La juge : «Le compte a été ouvert en votre nom.» Sellal nie et affirme qu’il «a été ouvert au nom du candidat», mais la juge persiste à le contredire. Sellal : «J’ai signé juste sur les documents nécessaires à l’ouverture du compte que le CPA m’a remis, mais le compte appartient au candidat.» 

La juge appelle Ahmed Ouyahia, qui suivait l’audience à partir de la prison d’Abadla, à Béchar, par visioconférence. Poursuivi pour les mêmes faits, il déclare : «On m’accuse de favoritisme. C’est faux. Le dossier est arrivé au CNI comme c’est le cas pour tous les investissements de plus de 5 milliards de dinars. Favoritisme parce que le défunt Moussa Benhamadi était ministre des Télécommunications, mais son nom n’apparaît nulle part dans le dossier présenté à l’ANDI. Les décisions du CNI, où siègent 12 ministres, sont souveraines et collectives. Bien après son départ du ministère, Moussa Benhamadi est devenu gérant de GB Pharma. Il a présenté un projet d’investissement de 4,8 milliards de dinars. Ce n’était plus les 1,8 milliard de dinars de 2011, et on m’accuse n’avoir pas respecté les directives du CNI. 

Le Premier ministre suit la politique générale du pays. Il est insensé de m’accuser de faits qui ne relèvent pas de mes prérogatives.» Ouyahia revient sur les investissements de l’Etat, «passés de 9000 milliards de dinars entre 2004 et 2009 à 15 000 milliards de dinars entre 2009 et 2014. Mais de lourds retards ont été enregistrés et coûtaient énormément au Trésor public. Cela a poussé le Président à recourir aux procédures de gré à gré. On m’accuse d’avoir octroyé des avantages fonciers. Cela n’est pas vrai. Si le projet n’avait pas été réalisé, j’aurais été poursuivi. Nous avons réalisé 15 investissements dans la santé qui sont une réussite. 

Le CNI applique une politique. Même si je suis en prison, ces réussites en médicaments m’honorent». Lors de son réquisitoire, le procureur n’a pas été prolixe. Il commence par préciser qu’il «ne revient pas sur les faits» puis souligne que «l’essence de cette affaire est le non-respect de la loi en vigueur même si les prévenus justifient les faits parce qu’ils vont dans le sens de l’intérêt général», et conclu en réclamant la confirmation des demandes du procureur lors du procès en première instance, à savoir une condamnation de 10 ans de prison ferme contre les deux anciens Premiers ministres. 

Après les plaidoiries de la défense, l’affaire a été mise en délibéré et le verdict sera connu le 24 mai. 

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